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Moyen-Orient - Focus

Face à la crise ukrainienne, l’épineux défi d’Ankara

Membre de l’OTAN, avec qui les relations sont parfois houleuses, et partenaire stratégique de Kiev, à qui elle fournit ses redoutables drones, mais aussi de Moscou, la Turquie est confrontée à un périlleux exercice d’équilibriste dans l’escalade de tensions entre les Occidentaux et la Russie à propos d’une éventuelle invasion de l’Ukraine par le Kremlin.

Face à la crise ukrainienne, l’épineux défi d’Ankara

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (à gauche) et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan assistent à une cérémonie de bienvenue avant leurs entretiens à Kiev, le 3 février 2020. Photo d’archives AFP

S’il est des pays qui craignent les retombées d’un conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine, la Turquie se hisse sans hésitation en haut du classement. Ces derniers jours, de nombreux observateurs ont décrit l’escalade des tensions actuelles entre Moscou et Kiev – soutenu par les Occidentaux – comme « le plus gros défi » posé au président turc Recep Tayyip Erdogan depuis des années. En cause, les alliances multiples et complexes nouées au cours des décennies passées par Ankara qui, quelle que soit l’issue d’un éventuel conflit militaire entre les deux parties, aura certainement beaucoup à perdre. « La crise en Ukraine est un défi pour la Turquie dans la mesure où Ankara tient à maintenir à la fois une relation pleinement fonctionnelle avec l’OTAN (dont elle est membre depuis 1952) et une relation stratégique avec la Russie, observe Marc Pierini, chercheur au centre Carnegie Europe et ancien ambassadeur de l’Union européenne en Turquie. Un tel exercice d’équilibriste est intrinsèquement difficile, mais il devient un défi lorsque la Russie et l’OTAN sont en “mode de crise” ».

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Les tensions entre Moscou et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord sur le dossier ukrainien ne sont pas récentes. Mais elles sont montées de plusieurs crans au cours des derniers mois au point de faire craindre à Washington et à ses alliés européens une invasion russe de son voisin pro-occidental au début du mois prochain. Mardi, le Kremlin a lancé une nouvelle série de manœuvres militaires dans le sud de la Russie et en Crimée, péninsule méridionale de l’Ukraine annexée en 2014 par Moscou, après avoir massé fin 2021 près de 100 000 soldats, des chars et de l’artillerie, aux frontières de l’ancienne République soviétique.

Des drones armés

Face à ces développements, l’attitude de la Turquie sera sans doute attentivement scrutée à mesure que la crise s’aggrave, non seulement à Washington, Bruxelles et Kiev, mais également du côté de Moscou. Désirant réparer ses relations avec les États-Unis et ses partenaires européens, Ankara s’est montré jusqu’à présent en phase avec les déclarations de l’OTAN condamnant les récents agissements russes. Dès 2014, la Turquie avait d’ailleurs vivement critiqué l’annexion de la Crimée par le Kremlin et défendu les droits des Tatars vivant dans cette région, une position qu’elle a depuis maintenue. Ankara joue également un rôle de premier plan dans cette crise, alors qu’il a vendu dès 2019 des drones armés Bayraktar TB2 à l’Ukraine et continue d’étendre sa coopération militaire avec ce pays. Fin octobre, l’un de ces drones avait d’ailleurs été utilisé par l’armée ukrainienne pour frapper une cible des rebelles prorusses, s’attirant les foudres de Moscou. La Turquie chercherait en outre à construire ses propres avions de chasse, nécessitant pour cela des moteurs, qu’une société ukrainienne serait en mesure de fournir, a récemment fait valoir Yörük Işık, un analyste géopolitique basé à Istanbul qui dirige le Bosphorus Observer au média basé à Washington, Defense Post.

Mais le parti pris de la Turquie dans ce conflit ne saurait cependant masquer le rapprochement stratégique opéré dès 2016 avec la Russie, poussant notamment Ankara à se doter des systèmes de défense antimissile russe S-400 en dépit des sanctions imposées par Washington. Dans une position délicate, la Turquie « essaie donc d’empêcher toute forme d’escalade militaire ou de conflit brûlant (en Ukraine), fait remarquer Bilgehan Ozturk, chercheur à la fondation SETA, un think tank basé à Ankara et réputé proche du pouvoir turc. Elle essaie d’abord de déterminer les intentions réelles de Moscou face à la mobilisation de ses troupes et, si possible, de convaincre les deux parties de désamorcer la crise sur la base des relations qu’elle entretient avec l’Ukraine et la Russie ».

Pour mémoire

Erdogan évoque une "possible visite" à Moscou prochainement

Au cours des dernières semaines, Ankara a ainsi proposé à plusieurs reprises de servir de médiateur entre Kiev et Moscou, invitant ces derniers jours les chefs d’État des deux puissances à se rendre en Turquie. Alors que M. Erdogan doit effectuer prochainement une visite à Kiev, le Kremlin a également salué hier l’invitation du président turc, indiquant par la voie de son porte-parole Dmitri Peskov que Vladimir Poutine et son homologue turc s’étaient « mis d’accord pour effectuer cette rencontre dès que l’épidémie de Covid-19 et les agendas mutuels le permettront ».

Ces offres de médiation s’expliquent à la fois par les intérêts touristiques, économiques et militaires qui unissent la Turquie aux deux parties, mais également par les répercussions qu’un conflit militaire dans cette région pourrait avoir sur sa propre sécurité. « En termes de contribution tangible à la sécurité de Kiev, Ankara a fait plus que le reste de l’OTAN. Alors qu’il partage le même voisinage avec la Russie et avec l’Ukraine, tout type de conflit aurait un impact négatif sur la stabilité de la Turquie en mer Noire, ajoute Bilgehan Ozturk. De plus, en cas de guerre, la Turquie ne pourrait satisfaire ni l’Ukraine ni la Russie car cela nuirait à ses relations bilatérales avec ces deux pays ».

Les conséquences économiques

Quelle que soit la position qu’il adoptera en cas de conflit armé, Ankara aura donc beaucoup à perdre, à l’heure où il est embourbé dans une crise économique sans précédent marquée par un effondrement de la livre turque face au dollar. « La Turquie est fortement dépendante du gaz naturel russe et surtout du nombre élevé de touristes russes », note Bilgehan Ozturk. « Si des drones armés de fabrication turque sont largement utilisés dans un conflit avec la Russie, Moscou pourrait nuire à Ankara en empêchant les touristes russes de visiter le pays », ajoute-t-il, alors que 2,13 millions de Russes avaient visité la Turquie en 2020. Le chercheur estime cependant qu’une interruption de la livraison de gaz n’est pas probable à court terme, le Kremlin n’ayant jamais emprunté cette voie, même au plus fort de la crise qui avait éclaté en 2015 entre les deux pays suite à l’incursion d’un appareil militaire russe dans l’espace aérien turc. « Cependant, Ankara est un énorme importateur de blé en provenance d’Ukraine et de Russie, donc, en cas de conflit, la livraison de blé serait interrompue et cela ferait grimper les prix des denrées alimentaires en Turquie de façon spectaculaire », ajoute-t-il. Sur le plan régional, Moscou pourrait également accroître la pression sur Ankara dans les théâtres de conflit où les deux puissances sont présentes, à l’instar de la Syrie.

Un dilemme que la Turquie n’a pas encore résolu, mais qu’elle pourrait avoir à trancher prochainement. « La phase suivante pourrait être plus problématique, si par exemple l’OTAN devait décider de sanctions collectives contre la Russie ou renforcer ses opérations aériennes et maritimes conjointes au-dessus ou autour de l’Ukraine », résume Marc Pierini.

S’il est des pays qui craignent les retombées d’un conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine, la Turquie se hisse sans hésitation en haut du classement. Ces derniers jours, de nombreux observateurs ont décrit l’escalade des tensions actuelles entre Moscou et Kiev – soutenu par les Occidentaux – comme « le plus gros défi » posé au président turc Recep Tayyip...
commentaires (2)

Ankara se fournit en blé de Russie et de Kiev. Donc problème délicat parait il. Non pas délicat: Comme aurait dit Marie-Antoinette: "s'ils n'ont pas du pain, qu'ils mangent des brioches" ( dans ce cas turc, donc qu'ils mangent des Beklawa) :) :)

LE FRANCOPHONE

18 h 12, le 28 janvier 2022

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Commentaires (2)

  • Ankara se fournit en blé de Russie et de Kiev. Donc problème délicat parait il. Non pas délicat: Comme aurait dit Marie-Antoinette: "s'ils n'ont pas du pain, qu'ils mangent des brioches" ( dans ce cas turc, donc qu'ils mangent des Beklawa) :) :)

    LE FRANCOPHONE

    18 h 12, le 28 janvier 2022

  • ERDOGAN devrait envoyer en UKRAINE tous les syriens se trouvant sur son sol afin qu ils puissent se venger sur les russes du genocide qu ils ont subi ……

    HABIBI FRANCAIS

    07 h 32, le 28 janvier 2022

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