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Contre les éléments


Une pluie horizontale fouette ma fenêtre et l’arbre souple, rescapé de la double explosion au port de Beyrouth, se débat comme un chat dans un sac. La neige tombe à basse altitude ces derniers jours. Elle s’accroche à des flores qui n’ont pas l’habitude d’une telle compagnie. Dans nos foyers à peine chauffés – quand ils peuvent l’être –, il règne un froid spectral que seule adoucit la compagnie des livres. Il fait bon être en hiver, se laisser guider par la saison, adopter sa lenteur, ses nuits trop vite tombées, sa propension à ramener des souvenirs. Le thé n’est jamais aussi savoureux que quand les éléments se déchaînent, et rien n’est plus consternant qu’une année qui passe sans cette traversée salutaire entre toutes, où l’on se calfeutre pour mieux rejaillir. Cependant, quand on vous annonce des vagues de trois mètres et un brouillard épais en montagne, des réserves de fuel qui s’épuisent, un manque désespérant de moyens pour ouvrir les routes ou les déblayer un tant soit peu pour acheminer vers les agglomérations isolées le minimum vital, on se dit qu’elle y va trop fort cette tempête. S’il nous est arrivé, par le passé, de nous demander « où sont les neiges d’antan », cette année n’était décidément pas la bonne pour les voir revenir.


Quelles statistiques nous diront combien de personnes dont les habitations ont été détruites le funeste 4 août 2020 sont allées se réfugier dans des logis vétustes, sur ces contreforts de Beyrouth dans lesquels l’impitoyable tempête, ces derniers jours, enfonce son aiguillon avec la ténacité d’une sangsue ? Ici, tout territoire qui pivote autour de la ville-pays est en majorité mal équipé contre le froid. On connaît des quartiers entiers où les ruissellements font partie des murs et des meubles, et, en parallèle, combien de villages oubliés, combien de camps de fortune dont la neige écrase et détruit les tentes, où l’on finit par se laisser mourir d’épuisement ? À côté de cela, les soucis écologiques sont superfétatoires, et la quantité d’arbres abattus dont le bois est proposé sur le bas-côté des routes, pour choquante, ne peut être regardée que comme une condition de survie et se passe de commentaire. Il sera toujours temps, quand la neige aura fondu, de constater le crève-cœur du déboisement massif de l’hiver 2022. Mais qui se soucie encore du paysage dans un pays où tout lutte pour survivre.


Depuis l’effondrement économique que l’on s’entend à dater de 2019, bien que la sournoise reptation en ait été perçue bien avant, l’écart se creuse entre ceux qui ont le loisir de nourrir leur esprit, parce qu’ils ont moins froid et moins faim, et ceux qui sont engagés dans une course haletante pour trouver, au quotidien, quelque chose à mettre dans le ventre de leurs enfants pour qu’ils puissent dormir. Déjà deux sociétés se font face : celle, minoritaire, qui tient le coup parce qu’elle a accès au dollar, et celle qui s’écroule parce que la livre libanaise lui file entre les doigts. Bientôt ceux qui ont eu l’opportunité de partir ne se reconnaîtront plus en ceux qui restent. La souffrance du manque est différente de celle de la guerre que la génération adulte a connue. La guerre laisse des traumatismes, certes, mais la faim avilit. Si la classe politique actuelle remet le couvert aux prochaines élections, elle sera issue d’un peuple humilié. Et ses dérives n’auront plus de limites.

Une pluie horizontale fouette ma fenêtre et l’arbre souple, rescapé de la double explosion au port de Beyrouth, se débat comme un chat dans un sac. La neige tombe à basse altitude ces derniers jours. Elle s’accroche à des flores qui n’ont pas l’habitude d’une telle compagnie. Dans nos foyers à peine chauffés – quand ils peuvent l’être –, il règne un froid spectral que...

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POETESSE, VAS !

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 23, le 27 janvier 2022

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  • POETESSE, VAS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 23, le 27 janvier 2022

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