Le Liban avait beau s’attendre à la décision de Saad Hariri de renoncer à présenter sa candidature pour les prochaines législatives, la nouvelle qui devrait être officialisée aujourd’hui risque de provoquer un choc au sein de la communauté sunnite et dans le pays en général. Même si le terrain avait été plus ou moins préparé à cette nouvelle à travers de nombreuses fuites dans les médias, celle-ci n’en constitue pas moins un grand changement dans le paysage politique et électoral.
Rentré à Beyrouth jeudi, après de longs mois d’absence, le leader du courant du Futur a pris soin de mettre au point un scénario qui donne à sa décision un impact à la fois politique, populaire et émotionnel. En effet, à l’issue de toutes les rencontres qu’il a effectuées depuis son retour, Saad Hariri s’est bien gardé de donner des indications sur la décision qu’il compte annoncer aujourd’hui. Il a voulu maintenir le suspense jusqu’au moment qu’il a lui-même choisi et selon le scénario qu’il a lui-même établi. Il a donc fallu se contenter des confidences faites par certaines personnes ayant participé aux réunions tenues à son domicile au centre-ville. Elles affirment toutes que l’ancien Premier ministre a clairement parlé de son intention de ne pas se présenter aux prochaines élections, ni lui ni le courant du Futur en tant que tel. Selon elles, la décision est prise et il n’est pas venu au Liban pour en discuter mais pour l’annoncer et essayer d’en contrôler les effets. Toujours selon ces mêmes sources, tout ce qui a été dit sur des tentatives de la part du président du Parlement Nabih Berry et du leader druze Walid Joumblatt de le faire changer d’avis n’est pas fondé, car cette décision n’est pas dictée par des considérations intérieures, la réalité étant qu’il n’a pas obtenu le feu vert saoudien nécessaire pour participer aux élections.
L’opposition saoudienne à toute participation de M. Hariri à la vie politique libanaise est ancienne, elle s’est surtout manifestée lorsqu’il a été désigné pour former le gouvernement en octobre 2020. Le président de la Chambre le savait d’ailleurs, puisque le Premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi lui avait fait parvenir cette information après avoir eu une rencontre avec le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane. Mais à ce moment-là, MM. Berry et Joumblatt ainsi que d’autres figures espéraient pouvoir convaincre les dirigeants saoudiens de changer d’avis. Et même lorsque les efforts locaux ont échoué, ils ont attendu le résultat d’une médiation française à cet effet, qui s’est elle aussi heurtée à une position saoudienne claire. Aujourd’hui donc, les efforts internes se concentrent sur la volonté de réduire l’impact du retrait (même provisoire) de Saad Hariri de la scène politique. L’ancien président du Conseil Tammam Salam a ainsi pavé la voie à ce retrait en parlant d’une volonté de laisser la scène à de nouvelles figures, et il est probable que l’actuel Premier ministre Nagib Mikati fasse de même.
Sauf que toutes ces démarches ne parviennent pas à calmer le malaise au sein de la rue sunnite. D’ailleurs, des manifestations populaires se sont déroulées samedi à Tarik Jdidé, fief sunnite de Beyrouth, et des slogans hostiles au royaume saoudien y ont été lancés pour la première fois. Certes, le courant du Futur s’est empressé de publier un communiqué pour condamner les lanceurs de tels slogans et réaffirmer son allégeance au royaume. La manifestation hier devant le domicile de Saad Hariri était destinée à effacer l’image négative des protestations populaires de Tarik Jdidé, mais ces mouvements populaires contradictoires donnent déjà un aperçu de la confusion qui règne dans la rue sunnite. Saad Hariri, qui selon des sondages récents continue de représenter près de 35 % de l’électorat sunnite, compte-t-il pousser ses partisans à voter pour des listes précises, ou les laissera-t-il sans indications concrètes ? Telle est la grande question qui se pose et à laquelle aussi bien Nabih Berry que Walid Joumblatt ont essayé d’obtenir des réponses claires. Car si le chef du courant du Futur décide de se retirer complètement de la vie politique, cela signifie que sa base populaire considérable sera éparpillée et divisée en petits groupes, chacun d’eux choisissant un camp selon les intérêts du moment. Or, dans cette période particulièrement complexe au Liban et dans la région, avec le regain d’activité de Daech en Irak et en Syrie, en perdant son principal leader, la scène sunnite n’en sera que plus fragilisée et pourrait être tentée de se rapprocher des courants extrémistes. Par contre, si Saad Hariri décide de mener la bataille électorale à travers des alliés ou des personnalités proches de son courant, cela pourrait limiter l’éparpillement des voix sunnites et barrer la voie à une éventuelle expansion des courants extrémistes.
La rue sunnite attend donc la position officielle de Saad Hariri qui sera annoncée aujourd’hui, sachant aussi que la confusion au sein de la communauté touche aussi Dar el-Fatwa, haute instance sunnite, qui a gardé le silence tout au long des derniers jours. Traditionnellement considéré comme un proche de Saad Hariri, le mufti Abdellatif Deriane fait ainsi face à une vague de critiques de la part de cheikhs et ulémas qui lui reprochent de s’être trop aligné sur la politique du courant du Futur.
Le Liban avait beau s’attendre à la décision de Saad Hariri de renoncer à présenter sa candidature pour les prochaines législatives, la nouvelle qui devrait être officialisée aujourd’hui risque de provoquer un choc au sein de la communauté sunnite et dans le pays en général. Même si le terrain avait été plus ou moins préparé à cette nouvelle à travers de nombreuses fuites...
commentaires (7)
Scarlett Ben Aouniste à son meilleur! Pas une de ses prédictions ou analyses ne se sont avérés. À part blanchir et seconder l'usurpateur et son gendre le Député Iranien de Batroun... Rien de bon ne sort de cette plume ! Toutes ses études et expériences jetées aux poubelles journalistiques !
Marwan Takchi
18 h 59, le 24 janvier 2022