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Nos Lecteurs ont la Parole

Où est le Beyrouth d’antan ?

Où est le Beyrouth d’antan ?

Anwar Amro/AFP

Dans un quartier parisien… Beyrouth où le carillon des cloches croise le chant du muezzin, Beyrouth où du crépuscule à l’aube l’on fête les mariés, Beyrouth où l’on danse et l’on boit jusqu’au bout de la nuit, Beyrouth où éclatent les mille couleurs de l’art et de la culture, « Beyrouth est en Orient le dernier sanctuaire où l’homme peut toujours s’habiller de lumière » (Nadia Tuéni). Nombreux sont les Libanais désabusés suite à l’infructueuse quête de cette éternelle image mythique de Beyrouth, déception d’autant plus exacerbée par les problèmes structurels et conjoncturels qui sévissent au Liban. Comment apaiser la frustration liée à cette quête non aboutie ? Quitter le pays semble être l’unique solution…

Un tour dans la rue Montmartre… Des viandes grillées sur le brasero s’exhale un parfum familier qui chatouille voluptueusement les narines des passants. Parfum qui embaumait, tous les dimanches midi, le Beyrouth mythique d’antan. Du houmous qui fond sous les langues, du taboulé dont l’agréable acidité émoustille les papilles, des feuilles de vigne farcies, des petits pains chauds aussi doux que des chairs d’enfant, autant de petits plats pour recouvrir, telle une mosaïque, une table rectangulaire qui s’étend à l’infini. Des palabres en libanais qui s’échauffent au gré de l’ébriété des buveurs invétérés d’arak, des rires qui s’entremêlent, des fourchettes et des couteaux qui s’entrechoquent… « Toi, à Paris ! » Il a fallu qu’une amie d’enfance vienne rompre le charme du filtre de la nostalgie beyrouthine pour me rappeler que je n’étais guère à Beyrouth, mais à Paris, dans la rue Montmartre, tout éberluée de retrouver la Beyrouth que j’aime, qui m’aime et qui me comprend dans un restaurant, dans un coin de rue parisien…

Quelques mois plus tôt, à Beyrouth, dans un supermarché… Je m’avançais péniblement vers la caisse en poussant un chariot ne contenant que des produits de première nécessité. Le son émis par le scanner des codes-barres tonnait pesamment tel celui d’un glas. Un montant exorbitant pour quelques boîtes de conserve, un sac de pain, un paquet de riz et un autre de lentilles. Mille calculs assaillirent mon esprit : si je dépensais tant d’argent au supermarché, comment ferais-je pour payer mon loyer à la fin du mois ? Je ne pouvais vraisemblablement pas me permettre une telle dépense. J’essayai alors de trouver, non sans me sentir quelque peu humiliée, des équivalents moins chers à ces produits alimentaires on ne peut plus frugaux. Je quittai le supermarché, rouge de frustration, de colère et de honte… L’air à Beyrouth pesait et devenait de plus en plus irrespirable ; je ne pouvais pas laisser étouffer mon avenir dans ces médiocres calculs d’épicier ; à vingt-cinq ans, on a de plus folles ambitions…

Toujours à Beyrouth, au cœur d’une discussion entre jeunes adultes… Un professeur de littérature française annonce avec beaucoup de verve : « Je viens tout juste d’obtenir mon visa pour la France ! Je vais enfin pouvoir quitter ce pays. À coup sûr, je retrouverai famille et amis à Paris, la diaspora libanaise ne cesse de s’y étendre. Je suppose que vous me rejoindrez tous bientôt ; à mon sens, il est impossible d’édifier un avenir solide au Liban. Supposons que d’ici à cinq ans nos déboires touchent à leur fin et que vous puissiez un tant soit peu vous construire une petite fortune, celle-ci ne tardera pas à être voluptueusement aspirée par les éternelles oligarchies qui nous oppriment ; il vaut mieux éviter de réitérer l’erreur de nos parents, un Libanais qui consent à rester au Liban est condamné à rouler le rocher de Sisyphe. »

« Je suis fatiguée de combattre l’oppression, l’injustice, la corruption ; j’ai longtemps marché dans le cortège des manifestants lors de la révolution du 17 octobre. Mais ça part dans tous les sens, je ne vois pas où pourrait déboucher un soulèvement populaire qui n’a pas de stratégie politique clairement dessinée ; je te rejoindrai sans doute bientôt à Paris, il devient insoutenable de continuer à demander justice dans le vent », lâcha impuissamment une jeune diplômée en relations internationales.

« Et moi qui ai une fille en bas âge, je peine à lui trouver du lait. Je me lève à l’aube pour aller faire le plein, ensuite, je dépense la quasi-totalité de mon essence en faisant le tour de tous les supermarchés et de toutes les pharmacies de Beyrouth et ses banlieues pour tenter de dénicher une boîte de lait en poudre… Je ne veux pas que ma fille grandisse dans la misère et l’indigence, je ne veux pas que son potentiel soit étouffé par l’incertitude du lendemain. Si ça se trouve, demain on nous annoncera tout bonnement qu’on coupera tous les moyens de télécommunications ! »

J’écoutais diligemment tous ces propos et je restais silencieuse parce que le verbe ne pouvait exprimer le dégoût et la frustration incommensurables que j’éprouvais à l’égard des chefs de guerre qui buvaient notre sang jusqu’à la lie. S’il y avait une chose dont j’étais sûre, c’était que moi aussi je partirais…

Du côté de l’aéroport… De l’entrée de l’aéroport s’élèvent de déchirants sanglots. Il fait froid et gris, il pleut sur Beyrouth comme il pleut dans les cœurs des émigrants et sous le porche de la porte d’entrée, des couples, des amis, des membres d’une même famille s’arrachent péniblement à leurs dernières étreintes. J’avançais dans le cortège de ceux qui partaient, la tête basse et traînant derrière moi deux grosses valises ; je ne pensais qu’à une chose, retrouver à Paris la dignité que le Liban m’a ravie, et, du même coup, j’espérais y retrouver des épaves du Beyrouth d’antan. Oui, je crois bien que j’étais en exil dans mon propre pays parce que « le véritable exil n’est pas d’être arraché de son pays, c’est d’y vivre et de n’y plus rien trouver de ce qui le faisait aimer… » (Edgard Quinet).


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Dans un quartier parisien… Beyrouth où le carillon des cloches croise le chant du muezzin, Beyrouth où du crépuscule à l’aube l’on fête les mariés, Beyrouth où l’on danse et l’on boit jusqu’au bout de la nuit, Beyrouth où éclatent les mille couleurs de l’art et de la culture, « Beyrouth est en Orient le dernier sanctuaire où l’homme peut toujours s’habiller de...

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