Le président, Michel Aoun, a entamé mardi ses entretiens avec plusieurs chefs de file politiques, dans le cadre des "préparatifs" pour l'éventuelle tenue du dialogue national élargi auquel il avait appelé et que plusieurs formations opposées à son mandat ont déjà rejeté. Selon des informations en provenance du palais de Baabda, le chef de l’État ne se prononcera pas sur le maintien ou l'annulation de ce dialogue avant la fin de ses entretiens, qui doivent se poursuivre demain mercredi avec d'autres chefs de file du même bord politique que le camp de la présidence.
Fin décembre, le président Aoun avait appelé à un "dialogue national", perçu par ses détracteurs comme une ultime tentative pour lui de sauver son mandat de la crise politique actuelle. Le gouvernement de Nagib Mikati, formé le 10 septembre, ne s'est effectivement plus réuni depuis le 12 octobre, en raison de dissensions entre les différentes forces politiques concernant l'enquête sur la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020. Lundi, M. Aoun a affirmé que le dialogue auquel il a appelé n'a pas de fins "partisanes ou personnelles" et doit "dépasser les divergences politiques".
Dans ce cadre, le chef de l'Etat a reçu, mardi matin, le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, qui a réitéré que son parti est "en faveur du dialogue", et que tout appel à une telle initiative "en temps de pressions et de surenchères est plus que nécessaire", selon des propos rapportés par Baabda. "En temps de détresse, le dialogue ne doit pas être interrompu dans le pays (...) Nous appelons nos partenaires à faire preuve de raison et abandonner les surenchères, parce que nous devons protéger notre pays et ne pas l'emmener au fond du gouffre", a-t-il ajouté.
M. Aoun s'est entretenu, par la suite, avec le chef du Parti démocratique libanais, Talal Arslane, également un de ses alliés politiques qui, indique la présidence, a estimé que la crise actuelle "est un crime à l'égard des Libanais". "Cet affaissement économique et financier, ainsi que l'absence de contrôle sur le (taux de change du) dollar exige que tout le monde assume ses responsabilités", a-t-il plaidé, dénonçant le "chaos dans les institutions constitutionnelles, qui a mené à une perte de confiance, ce qui risque d'avoir des répercussions négatives sur l'unité" du Liban.
M. Arslane a assuré avoir soutenu l'appel au dialogue de M. Aoun, afin que de "sérieuses réformes" puissent être envisagées. "Il est injustifiable de refuser un tel dialogue", a-t-il encore affirmé appelant toutes les parties politiques à "discuter sérieusement pour trouver des solutions aux problèmes des citoyens".
Un dialogue doit avoir lieu "entre deux avis différents"
Le chef de l'Etat a également reçu le chef du courant des Marada, Sleimane Frangié, son ancien rival à la présidentielle de 2016 avec qui les contacts étaient jusqu'à présent quasiment gelés. "Nous sommes toujours prêts à répondre aux invitations du président Aoun, et n'avons aucun problème personnel avec lui. Au contraire, nous sommes même d'accord sur les questions stratégiques", a déclaré M. Frangié à sa sortie du palais présidentiel.
S'il a affirmé qu'il était en faveur du dialogue au sens large, M. Frangié a souligné que celui-ci devait avoir lieu "entre deux équipes avec des avis divergents, et non au sein d'une seule partie, sinon cela n'apporterait rien et il s'agirait seulement d'un dialogue pour la forme". "C'est pour cela que nous souhaitons au président toute la réussite, mais que nous ne participerons pas à la table de dialogue", a-t-il souligné, déclarant toutefois qu'il approuve, d'ores et déjà, toute prise de position adoptée à l'issue d'une telle réunion. Jusqu'à présent, aucun opposant à la majorité actuelle n'a en effet accepté ce dialogue.
Répondant à des questions de la presse, M. Frangié a salué le rôle du Hezbollah qui "œuvre pour de bonnes relations" entre le Courant patriotique libre (CPL, fondé par M. Aoun) et les Marada. Au sujet d'une éventuelle alliance électorale entre son courant et les aounistes en vue du scrutin législatif de mai 2022, il a indiqué que "cela dépend si Gebran Bassil (le chef du CPL) accepte de s'allier avec des +corrompus+". Les aounistes et les Marada se sont accusés, à plusieurs reprises, de corruption dans différents dossiers, notamment au cours des derniers mois en ce qui concerne l'affaire du "fuel frelaté" qui avait été livré à Electricité du Liban (EDL).
Relance du travail gouvernemental
Selon des sources de la présidence, les entretiens du chef de l'Etat ont principalement tourné autour des différents points qui devraient être abordés autour de la table de dialogue. Ces sources, citées par notre correspondante Hoda Chédid, soulignent qu'aucune décision ne sera prise concernant la concrétisation de l'invitation au dialogue avant la fin des entretiens du chef de l'Etat, qui doivent se poursuivre demain mercredi avec d'autres figures alliées, notamment des représentants des forces sunnites pro-Damas, du Parti social nationaliste syrien (PSNS), du Tachnag et avec le chef du CPL.
Les discussions ont également concerné les manières de relancer le travail des institutions de l'Etat, notamment celui du gouvernement, paralysé depuis trois mois sur fond de tensions entourant l'enquête sur les explosions du port. Si M. Arslane a insisté, dans ce cadre, auprès du président Aoun sur la nécessité d'organiser un Conseil des ministres, le député Raad a "souhaité que soient aplanis les obstacles" devant l'organisation d'une telle réunion. Comprendre que la revendication du Hezbollah concernant un dessaisissement du juge Tarek Bitar soit entendue.
Si le président Aoun exige depuis des semaines le retour des ministres autour de la table du Conseil, le Premier ministre Nagib Mikati refuse de convoquer son équipe tant qu'un compromis n'aura pas été trouvé. Il avait pourtant annoncé, en fin de semaine dernière, un semblant de déblocage, sur la base d'un compromis concernant entre autres l'ouverture d'une session extraordinaire du Parlement, mais les ministres chiites refusent jusqu'à présent de lâcher du lest.
Coups de pression
C'est dans cette perspective que doit être compris le nouveau coup de pression opéré lundi par Baabda concernant la reprise du travail gouvernemental, qui doit débloquer plusieurs dossiers, notamment celui du renouvellement des contrats d'entrepreneurs, ouvriers et journaliers travaillant pour l'Etat, dont les salaires sont retenus en l'attente d'une approbation de l'exécutif. La présidence s'était défendue de "geler" la signature de décrets relatifs à cette affaire, exhortant le cabinet à se réunir pour la résoudre, à l'instar d'autres dossiers "urgents en attente".
Un autre appel à une reprise des réunions du gouvernement a en outre été lancé dans la journée de Baabda, cette fois par l'ambassadrice de France à Beyrouth, Anne Grillo, avec qui M. Aoun s'est entretenu en marge de ses réunions politiques. Lors de cet entretien, Mme Grillo a communiqué au président libanais "les résultats de ses réunions à Paris et l'intérêt que porte le président français, Emmanuel Macron, à la situation au Liban", rapporte la présidence dans un tweet. L'ambassadrice a souligné, par ailleurs, "la nécessité d'organiser les législatives dans les délais prévus", indique notre correspondante. Elle a également insisté sur la nécessité de "mettre en œuvre un plan de redressement afin de négocier avec le Fonds monétaire international (FMI) et de débloquer la crise gouvernementale".
commentaires (9)
Il fait ce qu’il veut. Il ne représente rien sauf la fonction obtenue par la force des armes de ses alliés
Lecteur excédé par la censure
11 h 27, le 12 janvier 2022