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Idées - Commentaire

Face au Hezbollah, Paris est aux antipodes de l’approche maximaliste

Face au Hezbollah, Paris est aux antipodes de l’approche maximaliste

Le président Michel Aoun recevant son homologue français Emmanuel Macron à Baabda, le 1er septembre 2020. Photo d’archives ANI

Ces dernières années, le président français Emmanuel Macron est intervenu à plusieurs reprises pour influencer la scène politique libanaise : dans la foulée de l’explosion du 4 août 2020 ; lors du processus de formation du gouvernement au début de l’année dernière ; et plus récemment quand il a cherché à persuader le prince héritier saoudien Mohammad ben Salman de se réengager au Liban.

Tout au long de ce processus, le président Macron a été confronté aux critiques des « maximalistes » qui, à l’intérieur ou à l’étranger, reprochent au président français de traiter avec le Hezbollah et de travailler dans les limites d’un système corrompu. Il est vrai que ce dernier a trébuché l’année dernière en pensant que la classe politique libanaise accepterait facilement son initiative de pousser à la réforme économique et à la mise en place d’un gouvernement qui travaillerait dans ce sens.

Syllogisme

L’un des principaux arguments avancés par les maximalistes est que l’État libanais est contrôlé par le Hezbollah ; et que par conséquent, donner quoi que ce soit à cet État ne fait que renforcer le Hezbollah. Tel est, par exemple, le syllogisme employé dans un rapport publié en juin 2020 par le Congressional Republican Study Committee, un groupe conservateur de membres de la Chambre des représentants, pour appeler à réduire le financement de l’armée libanaise et à s’opposer à tout soutien américain à un plan de sauvetage du FMI.

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Mais ce syllogisme est-il correct ? Si le Hezbollah exerce une grande influence sur les affaires nationales du Liban et de l’État libanais, il est aussi régulièrement confronté à des réactions de forte opposition confessionnelle ou institutionnelle. Deux exemples récents l’illustrent. Le Hezbollah tente depuis des mois, sans succès, d’empêcher l’enquête du juge Tarek Bitar sur l’explosion au port de Beyrouth. La raison de cet échec tient notamment au fait que les chrétiens, y compris les familles de nombreuses victimes, trouveraient cela scandaleux, étant donné que la plupart des personnes tuées ou blessées étaient issues de cette communauté. Parallèlement, les efforts visant à faire dérailler l’enquête de Bitar ont été contrés par les juges, un signe rare de blocage de l’intervention politique par le pouvoir judiciaire.

Les affrontements armés meurtriers d’octobre dernier à Aïn el-Remmané constituent un second exemple. Lors de ces événements, le Hezbollah et Amal ont franchi deux lignes rouges : ils sont entrés dans un quartier chrétien de manière intimidante en criant « Chia ! Chia ! », puis ont défilé autour de Aïn el-Remmané avec leurs armes. Le fait que l’armée soit intervenue directement pour empêcher les affrontements confessionnels, après s’être entendue la veille avec le tandem chiite pour éviter de telles provocations, a été considéré comme la raison pour laquelle les deux parties ont fait preuve de retenue dans leur réaction.

Ces deux exemples n’entrent pas dans le cadre d’explication rigide adopté par les maximalistes qui persistent à voir le Liban en noir ou en blanc. À la décharge du président Macron, les Français ont tendance à penser en gris, qui est la couleur qui prévaut au Liban. Il n’est pas surprenant que le gris ne soit pas une couleur qui plaise au Hezbollah, qui a pris un ton de plus en plus dur face à la résistance à son projet pour le Liban. Des initiatives telles que celles proposées par les Français, ainsi que l’aide américaine continue à l’armée libanaise, reflètent toutes une approche plus raisonnée du problème libanais, fondée sur la conviction que, puisque des transformations radicales ne sont pas possibles, les puissances extérieures doivent s’appuyer sur des changements progressifs. Si certains réclament la fin de l’« occupation » du Liban par l’Iran – un souhait certainement louable –, l’Iran est trop ancré dans une importante communauté libanaise pour que de tels slogans puissent mener quelque part.

Approche raisonnable

Aujourd’hui, la priorité des pays opposés à la déstabilisation iranienne doit être de préserver et de renforcer les parties du Liban qui échappent au contrôle des alliés de Téhéran. Leurs efforts doivent également consister à encourager les États arabes qui se sont retirés du Liban à rebâtir des relais d’influence dans le pays, afin de limiter celle du Hezbollah, comme Macron a tenté d’en convaincre Riyad. Dans le même temps, si les gouvernements arabes renforçaient leurs propres mises dans le pays, ils obligeraient l’Iran à prendre leurs intérêts en considération et à accepter que le Liban ne soit pas uniquement une préoccupation iranienne.

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Les souverainistes libanais peuvent frémir devant de telles propositions, craignant que le Liban ne soit à nouveau submergé par des acteurs extérieurs. Cependant, comme les maximalistes, ils ne peuvent pas laisser le mieux devenir l’ennemi du bien. Aujourd’hui, la souveraineté libanaise est une chimère. Incapables de mettre en œuvre les résultats souhaitables, les souverainistes doivent poursuivre ceux qui sont réalisables.

Enfin, il y a des maximalistes qui devraient se libérer d’une forme de pureté idéologique qui les a rendus indifférents à la souffrance dans leur pays. En prônant une ligne dure sur le plan politique et économique, ils semblent ignorer le sort de millions de personnes qui ont sombré dans la pauvreté. La France et d’autres pays ont soutenu l’aide humanitaire en partant du principe que si le pays se désintègre, cela encouragera aussi bien la migration illégale vers l’Europe que le renforcement de l’emprise iranienne sur le Liban.

Contrairement aux maximalistes, Macron rejette l’idée qu’un Liban détruit par la pression extérieure affaiblira d’une manière ou d’une autre le Hezbollah et l’Iran. S’il ne croit pas qu’un Liban libéré de l’Iran soit un objectif réaliste, il n’accepte pas pour autant que le Hezbollah contrôle toutes les dimensions de l’État libanais, et cherche des moyens d’atténuer l’influence du parti. Il ne pense pas non plus qu’un Liban abandonné par ses frères arabes soit capable de limiter les activités de l’Iran et du Hezbollah.

L’approche française a été imparfaite, mais elle est restée raisonnable et défendable. À l’heure où les Libanais font face à une crise financière et économique aux proportions historiques, ils devraient se réjouir du fait qu’il y a quelqu’un sur la scène mondiale qui considère encore, et parfois plus qu’eux-mêmes, la préservation de leur pays comme une priorité.

Ce texte est une traduction synthétique d’un article publié en anglais et en arabe sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.

Par Michael YOUNG

Rédacteur en chef de « Diwan ». Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square : an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).

Ces dernières années, le président français Emmanuel Macron est intervenu à plusieurs reprises pour influencer la scène politique libanaise : dans la foulée de l’explosion du 4 août 2020 ; lors du processus de formation du gouvernement au début de l’année dernière ; et plus récemment quand il a cherché à persuader le prince héritier saoudien Mohammad ben Salman de se...

commentaires (13)

M. Young est-lui meme un maximaliste de l'interventionnisme arabe. Les souverainistes ne sont nullement maximalistes mais pragmatiques: a l'aune des divergences et de l'echec de la gestion des 10452, il faut acter la partition du pays et avancer.

Khoueiry Marc

15 h 38, le 11 janvier 2022

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Commentaires (13)

  • M. Young est-lui meme un maximaliste de l'interventionnisme arabe. Les souverainistes ne sont nullement maximalistes mais pragmatiques: a l'aune des divergences et de l'echec de la gestion des 10452, il faut acter la partition du pays et avancer.

    Khoueiry Marc

    15 h 38, le 11 janvier 2022

  • Méfions nous de Macron, c'est un personnage très dangereux et très douteux. Il n'a ni finit d'emmerder les Français, ni les Libanais. Il n'aime que lui-même. Macron ce n'est pas la France, c'est même plutôt le contraire.

    Nicolas ZAHAR

    22 h 56, le 08 janvier 2022

  • UN GOUVERNEMENT FRACO/IRANIEN GARDÉ PAR LE CONCIERGE MIKATI QUI A REÇU L’ORDRE À NE RIEN FAIRE EN ATTENDANT QUE BITAR SOIT VIRÉ, À PART BIEN SÛR QU’IL S’OCCUPE DE SES AFFAIRES PERSONNELLES FLEURISSANTES

    Gebran Eid

    14 h 00, le 08 janvier 2022

  • Soit partition , soit cantons ! Rien d’autre n’est plus possible. Arrêtons de tourner en rond. Dans 200 ans , quand les chiites du hezb auront complété leur traversée du moyen âge, on reparlera d’unité …

    LeRougeEtLeNoir

    13 h 53, le 08 janvier 2022

  • C'est justement le sujet du colloque que la section Liban de l'Ong La Renaissance Francaise organise le 20 janvier a l:Esa dont le titre est " l'Initiative Francaise et le Liban"

    Tabet Ibrahim

    12 h 38, le 08 janvier 2022

  • Si les français, les américains et les pays arabes ont l’intention de sauver le Liban, il faut qu’ils n’aient qu’une seule phrase à la bouche. Le désarmement de cette milice terroriste armée dans le seul but d’affaiblir notre pays. Ils ont eu tout le loisir de le faire mais pour une raison que la raison ne peut pas comprendre on continue à tourner autour du pot. Lorsque tous ces états déclarent ouvertement qu’ils sont disposés à traiter avec les leaders chiites à condition qu’ils soient comme toutes les autres factions non armées le peuple chiite comprendrait peut être que personne ne veut leur peau mais qu’au contraire ils veulent leur assurer des droits sans être ni menacés ni contraints pour exercer leur devoir de citoyens libres de choisir leurs leaders patriotes qui ne veulent que leur bien. Ainsi on arrivera à gommer le sectarisme et on arrivera peut être à installer des piliers solides pour cet état qui se verrait à nouveau démocratique et libre de toute influence étrangère. Les autres fléaux inféodés se verront moins menacés et ainsi pourront proposer des nouvelles têtes de leaders politiques qui n’auront de force que leur patriotisme et leur compétence pour convaincre et qu’ils mettront à l’œuvre pour sauver le pays et son peuple.

    Sissi zayyat

    11 h 14, le 08 janvier 2022

  • La meilleure façon de Contrer le Hezbollah c'est d'eduquer les Shiites. Regardez ce que Hariri a fait au sunnites. Dans les annees 80. Il a elevé toute une generation de sunnites en classe moyenne avec ses bourses. Depuis, les sunnites libanais ne sont plus "islamisables", or sont devenus pro-liban. Il faut faire de meme avec les Shiites. Il faut donc un Rafic Hariri Shiite. Tout le reste c'est des gesticulations inutiles.

    Tina Zaidan

    10 h 01, le 08 janvier 2022

  • je rajouterais à cette analyse pertinente que la préoccupation de la France est aussi la sécurité des chrétiens d'Orient or ceux du Liban ont souvent tendance à regarder ailleurs et à chercher des alliances auprès des ennemis de leurs ennemis par pur dogmatisme et donc des projets de court-terme. Or la France bien que grise soit sa politique, elle porte souvent sur le long terme, ce qui explique aussi le dialogue noué avec toutes les parties. Il n'en demeure pas moins qu'il manque au Libanais un certain sens du patriotisme. Il passe son temps à critiquer le projet des autres pour lui alors que lui-même n'en a aucun pour son pays...

    Carlos El KHOURY

    09 h 48, le 08 janvier 2022

  • Il ne faut pas se voiler la face et plutot que de discourir pour ne rien dire, je n'ai rien compris aux propos de M. Young, la seule issue possible aujourd'hui au Liban est de copier le modèle chypriote, nous avons ici également deux communautés antinomiques, ou je préfère deux approches de l'Etat incompatibles. Mais pour y arriver, il faudra une force capable de contrebalancer l'influence néfaste du seul parti armé du pays... C'est à mon avis de profane, l'unique solution. Ne cherchez pas, il n'y en pas d'autre.

    Roborm

    09 h 13, le 08 janvier 2022

  • CONTINUER A AIDER UN ETAT INFEODE AU HEZBOLLAH C,EST AIDER INDIRECTEMENT OU PLUTOT DIRECTEMENT LE HEZBOLLAH ET SES PARAVENTS. AIDER A L,APPLICATION DES REFORMES DEMANDEES PAR CEUX QUI VONT AIDER OU PRETET ET INVESTIR, FMI INCLUS, SOUS DES CONDITIONS DRASTIQUES DONT L,APPLICATION DES 1559 ET 1701 C,EST AIDER L,ETAT ET AFFAIBLIR LE HEZBOLLAH ET SES PARAVENTS AVEC LE BUT DE LE DESARMER PUIS LE DISSOUDRE. L,INTERVENTION FRANCAISE A DONC DEUX VOLETS ET MACRON EST BRANCHE SUR LES ONDES DU DEUXIEME VOLET. LES LIBANAIS DOIVENT AIDER ET PRESSER SUR L,APPLICATION DU SECOND VOLET. DERACINER LA TRINITE DIABOLIQUE DU MAL D,UN COUP DE BAGUETTE MIRACULEUSE EST DU DOMAINE DE L,ILLUSION MEME SI C,EST LE SOUHAIT PREFERE DE TOUS LES VRAIS LIBANAIS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 53, le 08 janvier 2022

  • " les efforts visant à faire dérailler l’enquête de Bitar ont été contrés par les juges,'. En partie seulement! Le président Aoun, en acceptant l'ouverture d'une session parlementaire extraordinaire, vient de donner une nouvelle immunité aux députés impliqués. Il est surprenant que la France qui, parmi les pays occidentaux (USA excepté) a le plus souffert du Hezbollah (1983: Drakkar, 58 soldats tués, et d'autres attentats, notamment en 1986, sur le sol français), soit celle qui ait la position la plus conciliante envers la milice iranienne, faisant un distinguo assez acrobatique entre parti politique et branche militaire.

    Yves Prevost

    07 h 43, le 08 janvier 2022

  • Parfois la solution est tellement simple qu’on refuse de la voir. Seule une petite moitié de chiites est réellement attachée aux armes du Hezbollah, et l’immense majorité des autres communautés y est hostile. Donc logiquement des élections législatives doivent amener une majorité « souverainiste ». Sauf que systématiquement on veut inclure le Hezbollah au gouvernement, et là est le fond du problème. On dit que tout gouvernement sans le Hezbollah romprait l’esprit d’entente entre les communautés. Mais ce ne sont pas plutôt les armes au dessus de l’autorité de l’état et aux mains d’une seule communauté qui rompent cet esprit d’entente ? Pourquoi personne n’a jamais eu le courage de dire au Hezbollah: tu veux gouverner avec nous, ok mais sans tes armes ? Alors qu’on arrête une fois pour toutes de dire que les Libanais sont dépourvus de moyens concrets face au Hezbollah. Cette langue de bois n’est qu’une justification pour les compromissions des traitres locaux: Hariri Joumblatt et Aoun, et des marchands des accords internationaux de viennoiseries: Macron et Biden.

    Citoyen libanais

    07 h 37, le 08 janvier 2022

  • Tres bonne analyse Michael comme d'habitude. Il faut certainement resister par plusieurs moyens et l'aide internationale et reformes sont indispensables....

    Sabri

    04 h 10, le 08 janvier 2022

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