Peu avant une campagne électorale plus périlleuse que prévu, Emmanuel Macron souhaitait un succès au Liban. En plus de ses difficultés économiques, le pays du Cèdre est en proie à une crise politique : aucune décision qui affecterait les intérêts de l’Iran ne peut être entreprise au Liban. Or, au Yémen et en Syrie, l’Iran a obtenu des victoires, humiliant le prince Mohammad ben Salmane (MBS) qui exerce la réalité du pouvoir.
Il décréta alors un embargo sur le Liban, jugeant notamment intolérables les propos d’un ministre libanais (tenus avant sa nomination) qui critiquait son aventure au Yémen, aventure ayant engendré une catastrophe humanitaire. Toutefois, MBS se rapproche de son ennemi syrien en raison de l’échec des jihadistes sunnites… C’est à cet homme, isolé depuis l’assassinat d’un de ses opposants, que le président français veut redonner sa place au Liban.
On rétorquera que le président Macron ne fait qu’obéir aux exigences de la realpolitik et ne cherche pas à mélanger des considérations sur les droits de l’Homme aux nécessités de la politique entre États. D’ailleurs, la partie opposée aux intérêts saoudiens au Liban, à savoir le Hezbollah et certains de ses alliés, reconnaît que la politique française est plus équilibrée qu’autrefois, en 2005 par exemple. En outre, la position française par rapport à l’Iran et à son potentiel nucléaire est différente de l’approche américaine. Qui pourrait ainsi reprocher à la France de tenter d’apporter de l’harmonie dans ce jeu d’équilibre interne au système libanais, à un moment où le pays connaît tant de difficultés ?
Pourtant, du point de vue des intérêts de la France, il faut critiquer l’initiative du président Macron. L’Arabie saoudite ne fait pas qu’exporter son pétrole : elle exporte aussi une idéologie mortifère, à mille lieux d’un islam des lumières. Ceci nourrit le communautarisme et le terrorisme en France même. Le royaume a même voulu exploiter aussi la crise syrienne à son avantage, quitte à rendre encore plus compliqué la résolution du conflit. Il va de soi qu’une telle remarque ne justifie nullement les comportements sanguinaires du régime syrien.
Plus encore, le président français aurait-il oublié la nationalité saoudienne de la plupart des auteurs du 11-Septembre 2001 ? Il faut regarder ce qui est encore diffusé, sous les auspices saoudiens, au sein même des foyers en Europe : une propagande qui ne cesse d’attiser les haines religieuses. Se révèle ainsi une dimension de l’initiative française : le président Macron ne croit plus en son pays. Il a dit qu’il n’y avait pas de culture française (seulement des cultures en France) et ne cesse de parler de « souveraineté européenne », alors qu’il n’y a pas de peuple européen. Ce président-idéologue cherche à cultiver les préférences communautaires et cette démonstration d’amitié envers l’Arabie saoudite est une façon de préparer les élections à venir, le royaume wahhabite s’étant posé comme l’un des parrains des musulmans de France. Si le président français cherche un intérêt électoral, il ne s’agit pas de l’intérêt de la France.
État collusif
Quant au Liban, rappelons que l’État y est une gouvernance de communautés : toutes les parties prenantes doivent être prises en compte. Ce système est l’une des origines des graves difficultés actuelles. En effet, c’est par l’inflation de la dette publique, le clientélisme et la corruption que se soldent les compromis politiques. De surcroît, les chefs de guerre de cet « État collusif » restent des relais des influences étrangères et recherchent des appuis extérieurs face à leurs partenaires locaux, ce qui permet ainsi à diverses puissances régionales et internationales de s’immiscer dans le jeu politique intérieur. Il n’y a pas de peuple souverain au Liban. Or l’Arabie Saoudite tient au maintien de ces accords et exige d’avoir son mot à dire dans ce système dans lequel le chef de la communauté sunnite a toujours été son obligé.
C’est contre ce système que la jeunesse s’est insurgée le 17 octobre 2019. L’effondrement économique, la répression et la crise sanitaire ont eu raison du mouvement. On a pu d’ailleurs mesurer à ce moment que le Hezbollah est devenu le défenseur de ce système qu’il critiquait naguère. Pourtant, la population éprouvait largement de la sympathie pour ces jeunes militants. Comment être ainsi l’ami du Liban, si ce n’est en donnant des moyens à ce peuple permettant d’accéder enfin à la souveraineté pleine et entière, la démocratie et la liberté ? Il ne peut s’agir de reproduire une gouvernance de communautés donnant leurs parts aux États étrangers.
Sortir du modèle Hariri
C’est pourquoi la première des politiques en faveur du Liban est de l’aider à combattre cette crise économique : rien ne peut être construit sur la misère. D’autant que les éléments les plus dynamiques de la société s’exilent, condamnant les plus pauvres à demeurer soumis à ce système mafieux. Les élections doivent donc se tenir dans un climat favorable. De telles perspectives contribueraient à redonner espoir à la population et à freiner l’émigration, ce qui permettrait à une opposition démocratique au système des factions de se constituer.
Or il existe des méthodes qui pourraient être mises en œuvre, avec beaucoup plus de résultats que les recettes néolibérales. Il n’est pas possible d’en donner ici le détail. Disons que tout dépend de la stabilisation du taux de change. La France, comme d’autres États européens s’ils le souhaitent, pourraient jouer un rôle décisif dans un mécanisme de stabilisation monétaire. On pourrait ainsi abonder un fonds d’autant plus facilement que le taux d’intérêt est faible et qu’on retiendra un taux de change réaliste de la livre libanaise (seul un niveau de change permettant une compétitivité-prix praticable peut permettre de reconstruire l’économie).
Les contreparties demandées ne consisteraient pas en des privatisations infinies et du libre-échange toujours plus débridé : il faut sortir du modèle de Rafic Hariri qui a conduit le Liban dans l’impasse. Il conviendrait ainsi d’appliquer rigoureusement le droit du travail, d’assurer la transparence des comptes de la banque centrale et de dénoncer des accords de libre-échange inéquitables qui sont responsables du gigantesque déficit des comptes extérieurs des deux dernières décennies et de l’hémorragie de devises ayant causé la crise financière actuelle.
Sur le plan politique, il serait demandé à toutes les factions de cesser de terroriser leurs opposants politiques. La France, loin de ses mauvais génies, pourrait alors retrouver son génie véritable d’amie de la liberté des nations et des droits de l’homme, sans tomber dans des pratiques d’ingérence. Il importe que le Liban retrouve sa vocation méditerranéenne, bien loin des systèmes théocratiques et tyranniques qui règnent au Proche-Orient. En renaissant, le Liban peut redevenir ce qui fait une composante de son identité culturelle et politique : un pont entre les mondes.
Par Georges KUZMANOVIC
Président du parti politique République souveraine et candidat à l’élection présidentielle française de 2022.
"(Or il existe des méthodes qui pourraient être mises en œuvre, avec beaucoup plus de résultats que les recettes néolibérales. Il n’est pas possible d’en donner ici le détail. Disons que tout dépend de la stabilisation du taux de change. ) Très bien pensé. Et beaucoup d'économistes pensent la même chose. Il suffirait de vouloir.
13 h 27, le 09 janvier 2022