Critiques littéraires Roman

Variations sur la question de l’accueil de la détresse humaine

Variations sur la question de l’accueil de la détresse humaine

D.R.

Depuis quelques années, la Grèce est devenue l’une des portes d’entrée des migrants clandestins en Europe. À certaines périodes, les bateaux, les barques et toutes sortes d’esquifs lancés sur la mer par des passeurs criminels abordent par dizaines les côtes des îles helléniques dont quelques-unes ont acquis une triste réputation pour leurs précaires camps de réfugiés. Là-bas, les débats sont fréquents sur la manière d’agir face à l’épineux problème de l’accueil de la misère et de la détresse humaine. C’est de cela qu’est fait le premier roman traduit en français de l’écrivain grec Konstantinos Tzamiotis, Point de passage.

Point de passage s’ouvre sur le récit éprouvant du naufrage d’un bateau durant une tempête, naufrage raconté et vécu non pas du point de vue des migrants, ou seulement de manière seconde, mais à partir de celui des habitants d’une île jamais nommée mais qui pourrait être n’importe laquelle des îles de la mer Égée. D’abord spectateurs impuissants du désastre, les insulaires vont ensuite porter aide à ceux qui parviennent à sortir de l’épave ballottée par la violence des vagues. Ils les accueillent ou recueillent les corps sans vie, et leur communauté se mobilise pour organiser le regroupement des malheureux rescapés dans un gymnase, pour récolter couvertures et nourriture. Mais cela n’est pas évident pour tout le monde et on comprend progressivement que le problème de la petite communauté qui vit sur l’île est qu’elle est effectivement très petite, à peine une centaine d’âmes qui très vite s’aperçoivent que les migrants rescapés sont plus nombreux qu’eux. La crainte, voire la peur, s’installe chez certains, tandis que d’autres tentent de garder la tête froide, et que d’autres encore refusent de faire autre chose que de porter secours, aider, comprendre. De l’hostilité grandissante à la pure empathie en passant par la quête d’une voie médiane faite de réalisme, les opinions et les attitudes des habitants de l’île varient, aiguisées par un facteur supplémentaire, qui donne en passant au récit un aspect fortement romanesque, générateur de suspense et d’inquiétude, à savoir le fait que la tempête empêche tout soutien d’arriver et isole l’île, ses habitants et leurs hôtes involontaires.

Le profond intérêt de l’ouvrage de Tzamiotis réside donc en ce qu’il ne nous raconte pas la terrible épopée des migrants, ni leur odyssée, mais explore plutôt la question tout aussi épineuse aujourd’hui de leur accueil, de ses potentialités et aussi de ses limites. Structuré de manière conventionnelle mais extrêmement efficace, le récit se déplace, de chapitre en chapitre, d’un personnage à l’autre et d’un point de vue à l’autre. Dénué de bons sentiments comme de toute forme de manichéisme, il se construit autour des diverses manières qu’ont les hommes et les femmes de supporter l’idée de la survenue de l’Autre, de la palette variée d’attitudes, de préjugés, de réflexes que cette survenue génère – compassion, peur, indifférence, voire désir de lucre et de profits. Mais ces diverses attitudes, Tzamiotis les analyse dans leur rapport à la routine et au quotidien des habitants. C’est alors la vie d’un village qui se trouve simultanément racontée en contrepoint, avec ses jalousies, ses petites mesquineries et ses affreuses bassesses, ses amours clandestines, sa vie de café, ses rivalités politiques. Et c’est sur une étonnante réflexion à propos de la société rurale grecque que s’achève le livre, lorsqu’un des vieux et sages du village déplore que l’on ne sache regarder en quoi l’arrivée des migrants, tous jeunes et porteurs de savoirs traditionnels pourraient être une chance pour les pays d’accueil, notamment pour des îles comme celles de la Grèce où la terre est à l’abandon, l’agriculture en friche et l’économie exsangue à cause du départ des jeunes – des problèmes à quoi des forces vives venues d’ailleurs pourraient aider à remédier. Étrange et belle manière de prendre à contrepied la détestable théorie du grand remplacement chère aux extrêmes droites européennes.

Point de passage de Konstantinos Tzamiotis, traduit du grec par Florent Lozet, Actes Sud, 2021, 224 p.

Depuis quelques années, la Grèce est devenue l’une des portes d’entrée des migrants clandestins en Europe. À certaines périodes, les bateaux, les barques et toutes sortes d’esquifs lancés sur la mer par des passeurs criminels abordent par dizaines les côtes des îles helléniques dont quelques-unes ont acquis une triste réputation pour leurs précaires camps de réfugiés. Là-bas,...

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