8 mars 2021, « lundi de la colère » ; 16 décembre 2021, « jeudi de la colère »… entre ces deux dates beaucoup de colère, mais très peu de coléreux. Les exhortations en continu des quelques dizaines de manifestants, appelant les foules à les rejoindre, relayés par les TV locales et même régionales, ne servent plus à rien. Les foules de ce fameux octobre 2019, déclenché par une taxe de quelques centimes sur le service WhatsApp, se sont, mystère, volatilisées.
Or, paradoxalement depuis, la valeur de leur monnaie a entamé une chute libre de presque 2 000 % à ce jour, leurs dépôts dans les banques en devises étrangères se sont avérés virtuels, du moins pour le moment, leur capitale Beyrouth détruite… mais toujours rien ne bouge sous le ciel de la « thawra » (révolution) ; et une question obsède tous les esprits : « Où sont partis les “thouwars” ? »
C’est en s’inspirant d’une célèbre peinture intitulée La trahison des images du peintre surréaliste belge René Magritte et de sa légende « Ceci n’est pas une pipe », que l’on peut avancer que « ceci n’est pas une thawra ». C’était juste l’image d’une « thawra ». TV et médias aidant, à la limite même falsifiant (pour sa toile qui suscita bien des polémiques, Magritte s’est justifié un jour : « La fameuse pipe, me l’a-t-on assez reprochée ! Et pourtant, pouvez-vous la bourrer ma pipe ? Non, n’est-ce pas, elle n’est qu’une représentation. Donc si j’avais écrit sous mon tableau “ceci est une pipe”, j’aurais menti ! ») et donc, paradoxalement, avortant. La majorité des 17 « octobristes » appartenaient à la classe moyenne. Éduqués, au style de vie un brin sophistiqué, sympas… cris, chants, musique, blocage des routes, occupation des places et surtout des écrans de TV, chaînes humaines sur des dizaines de kilomètres… pendant que l’« establishment », impressionné un moment et alerté, gagnait du temps et organisait avec brio sa parade.
En fait, ce mouvement était plutôt un « hirak », ou une mobilisation, aux meilleures des dénominations. Lui avoir assigné trop tôt des attributs dignes des assaillants de la Bastille, dont des Garibaldi et des Guevara seraient jaloux, a naturellement déclenché dans l’opinion de ses foules les plus grandes attentes. Ce qui s’est avéré être bien au-dessus des dispositions de ce mouvement, des visions de ses théoriciens et portait en soi les germes de son implosion. La déception de ses fils fut alors proportionnelle aux grandioses attentes propagées et non à celles, réalistes, réelles et beaucoup moins prétentieuses, d’un simple « hirak ».
Dans les esprits s’est alors ancrée la futilité d’une révolution, alors que celle-là n’a jamais eu lieu. En fait, à force de l’avoir peint en « thawra », c’est cette étape suprême, ou opportunité absolue, qui fut avortée avant même d’avoir vu le jour.
Alors les actions ultérieures visant à mobiliser de nouveau les masses sont devenues une entreprise laborieuse et probablement vouée d’avance à l’échec. La preuve...
Avoir insisté à le décrire et en faire la promotion, jusqu’à ce jour, en l’exposant en tant que « thawra » et « thouwars » s’est avéré être une lourde erreur de communication, ayant eu au final un effet contraire à celui peut-être escompté.
Un autre 17 octobre verra le jour, à condition de ne pas se laisser anesthésier par ces lamentables cartes « tamwilyeh » en gestation. Une « thawra », une révolution, une vraie avec ses vrais « thouwars » naîtra parmi ceux qui auraient vraiment le ventre vide.
Ce jour-là, comme un tsunami, ils balaieront tout sur leur passage. Ils le feront certainement sans insultes, ni retransmission TV, ni DJ, ni selfies, ni Instagram, ni sandwiches… mais affamés, déterminés, prêts à mourir, murés dans un rugissant silence, à la force de leur poignet et éventuellement dans le sang.
Cependant, d’une part, il faudrait alors qu’ils soient capables d’empêcher les anarchistes, taupes et simples casseurs, ainsi que nos millions d’étrangers, entre déplacés syriens et réfugiés palestiniens, de s’y mêler. Cela se jouera à un cheveu entre la révolution et la pagaille. D’autre part, hélas, l’histoire nous a appris qu’au Liban il n’y a point de révolution… mais plutôt des guerres !
L’unique révolution sociale de nos cinq mille ans d’histoire, qui a réussi d’ailleurs à secouer un certain ordre établi, était celle des paysans d’une partie du Kesrouan, au milieu du XIXe siècle. Appuyée par la base du clergé maronite, elle était menée par le fameux Tanios Chahine.
Ce dernier a fini par être (presque) excommunié…
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ainsi une question est posee ici : serait ce possible de voir une vraie thawra emerger au Liban ou pas ?
10 h 55, le 05 janvier 2022