Maladroits, diront certains, et prononcés à un moment des plus délicats alors que le Liban tente de résorber la récente crise diplomatique avec Riyad, les propos du Premier ministre, Nagib Mikati, au sujet de l’influence iranienne au pays du Cèdre ont été interprétés dans le sens d’un signe de complaisance à l’égard du Hezbollah. Un avis que nuancent certains observateurs qui accordent au Premier ministre des circonstances atténuantes puisqu’il est condamné à ménager la chèvre et le chou.
Lors de sa conférence de presse mardi dernier, M. Mikati a démenti, en réponse à une question, toute emprise iranienne sur le pays et défendu le Hezbollah qu’il a placé au même rang que les autres partis libanais. « Je ne me permets pas de dire ou d’admettre la prééminence de n’importe quel pays étranger sur la scène libanaise », a-t-il dit en proclamant haut et fort l’indépendance du Liban.
« Pouvait-il faire autrement en tant que Premier ministre censé sauvegarder l’image du gouvernement qu’il préside et, dans la mesure du possible, l’image du Liban ? » s’interroge Mohammad Nemer, analyste politique proche de Riyad. Nagib Mikati, dont le discours avait été écrit à l’avance, n’aurait pas dû déroger du texte prévu qui était en lui-même politiquement correct, estime toutefois M. Nemer.
Le camp hostile au Hezbollah a aussitôt considéré ces propos comme relevant du pur déni. Une telle prise de position risque, selon eux, de susciter encore plus le courroux de l’Arabie saoudite qui a du mal à renouer avec le Liban et avec ses représentants officiels tant que le Hezbollah continue de sévir à l’intérieur comme à l’extérieur, notamment au Yémen où le parti de Dieu est accusé de constamment mettre de l’huile sur le feu. Deux jours avant la conférence de presse de Nagib Mikati, la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen avait accusé l’Iran et le Hezbollah d’avoir aidé les rebelles houthis à attaquer son territoire, au lendemain de frappes meurtrières. « Le Hezbollah forme les houthis à piéger et à utiliser des drones à l’aéroport de Sanaa », avait déclaré le porte-parole de la coalition, appelant à la « responsabilité de la communauté internationale » pour faire « cesser ces actes hostiles » contre le royaume. Des accusations que le Hezbollah a qualifiées de « ridicules » et ne méritant pas de réponses.
Remuer le couteau dans la plaie
Ayant vraisemblablement échoué à obtenir de la part des officiels libanais le moindre geste de bonne foi pour juguler ce que l’Arabie saoudite considère comme « l’effet de nuisance du Hezbollah » sur son pays, Riyad semble décidé à poursuivre l’escalade. En prenant de la sorte la défense du parti de Dieu, Nagib Mikati – avec qui le prince héritier Mohammad ben Salmane avait échangé lors d’un appel téléphonique au cours de la visite du président français Emmanuel Macron à Djeddah, début décembre – s’est ainsi hasardé à remuer le couteau dans la plaie à l’heure où un bras de fer corsé continue de se jouer entre l’Iran et l’Arabie. Hier, le roi saoudien Salmane ben Abdelaziz est revenu à la charge et a appelé les autorités libanaises à « stopper la mainmise du Hezbollah terroriste sur l’État ». Il a également assuré que son pays « se tient auprès du peuple libanais frère », exhortant les autorités locales à « faire primer les intérêts de leur peuple et à travailler afin d’instaurer la sécurité, la stabilité et la prospérité auxquelles ce dernier aspire ».
Lors de leur sommet à Djeddah, Emmanuel Macron et MBS avaient conditionné le rétablissement des relations entre Riyad et Beyrouth à « la nécessité de limiter la possession d’armes aux institutions légales de l’État », une allusion au Hezbollah. Alors qu’il était question, à l’issue de cette rencontre, d’envisager le retour de l’ambassadeur saoudien à Beyrouth, que Riyad avait rappelé en octobre alors que la crise née des propos du ministre aujourd’hui démissionnaire, Georges Cordahi, était à son apogée, ce retour paraît de moins en moins probable. On évoque même la possibilité pour l’Arabie de présenter une plainte devant le Conseil de sécurité contre l’ingérence du Hezbollah et de l’Iran dans la guerre du Yémen, selon des informations rapportées par le média électronique Asas qui cite de hauts responsables saoudiens.
Dans les milieux proches de Nagib Mikati, on estime que les réactions au discours sont infondées, sachant surtout que le Premier ministre a appelé à l’accalmie et au dialogue pour parvenir à assainir les relations avec l’environnement arabe. « Il a parlé de distanciation par rapport au conflit au Yémen et préconisé les bonnes relations avec le voisinage arabe. Il a même insisté sur le respect de Taëf (un accord conclu en 1989 en
Arabie saoudite et sous son parrainage pour mettre fin à la guerre libanaise), note Ali Darwiche, député du groupe parlementaire présidé par le Premier ministre. Évoquant la crise diplomatique avec les monarchies du Golfe, M. Mikati a en effet plaidé pour un dialogue national qui examinerait la politique étrangère du Liban en vue d’améliorer ses relations avec les pays arabes.
Sur une corde raide
« Nagib Mikati avance sur une corde raide et joue à l’équilibriste. D’un côté, il a essayé de satisfaire l’Arabie saoudite en évoquant des dossiers qui intéressent le royaume – la distanciation et le souhait d’améliorer les relations avec les pays arabes –, de l’autre, il ne peut pas rompre avec le Hezbollah qui est une composante de son gouvernement. Il cherche à gagner l’approbation des deux camps et à prolonger le plus possible la durée de vie de son gouvernement », commente un analyste politique issu du camp du 8 Mars. Le Premier ministre ne fait que tenir la barre et sauvegarder le statu quo, une requête formulée aussi bien par la France que les États-Unis, rappelle une source proche du Hezbollah. « Pour MBS, ce qui est important ce ne sont pas les paroles, mais les actes », affirme Khaled Batarfi, un analyste saoudien proche des milieux du prince héritier. Non seulement les derniers propos de M. Mikati ne jouent pas en sa faveur, mais Riyad serait désormais dans l’état d’esprit suivant : les activités extraterritoriales du Hezbollah – qui est partie intégrante du cabinet Mikati – devront être assumées par son gouvernement, dit l’analyste.
Pris en tenailles, Nagib Mikati ne semble plus capable à ce stade d’amadouer l’Arabie saoudite qui le considère à ce jour persona non grata, lui refusant une invitation à Riyad. Les rumeurs vont jusqu’à dire que le Premier ministre n’arrive même pas à obtenir un visa pour aller faire son pèlerinage à La Mecque. « Riyad n’irait pas aussi loin à mon avis. Tout musulman a le droit de se rendre aux lieux saints », commente néanmoins Mohammad Nemer, qui assure toutefois que l’Arabie saoudite avait refusé au Premier ministre de se rendre à Riyad avec la délégation française qui accompagnait Macron début décembre.
commentaires (5)
Le Hezbollah n’est qu’un prétexte pour ostraciser le Liban. Les pays du golfe ne veulent pas d’un retour de la splendeur de Beyrouth. Ils ont tous développer une industrie du tourisme, de la culture, des projets pharaoniques pour attirer les entreprises étrangères, ils ont créé des festivals de musiques , de techno…. Le port de Beyrouth a fait les frais de la normalisation avec Israël pour favoriser le transit par Haifa…. Et pourquoi interdire l’importation de légumes du Liban si ce n’est pour les remplacer par les légumes israéliens qui peinent à trouver des débouchés en Europe…. Ils recrutent nos médecins, nos financiers, banquiers, ingénieurs… Les exemples ne manquent pas pour confirmer le non sens de l’attitude des pays du golf vis à vis du Liban.
HADDAD Fouad
19 h 18, le 31 décembre 2021