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L’enfer du double jeu

Une fois n’est pas coutume, mais on ne peut que souscrire à presque tous les points qu’a soulevés le président de la République dans sa brève adresse de lundi soir aux Libanais. Car il a raison, Michel Aoun, de rappeler à ceux qui ont trop tendance à l’oublier le rôle primordial de l’État dans la conduite des affaires du pays, et très précisément en matière de défense. Il a encore raison quand il appelle à un dialogue national portant sur la décentralisation administrative et même financière ; ainsi que sur les réformes. Et il a sacrément raison quand il s’élève contre le blocage délibéré qui vise les institutions étatiques, le Conseil des ministres se trouvant même dans l’incapacité de se réunir.


Oui, toute cette rhétorique eût été parole d’or, si seulement… si seulement elle ne survenait pas beaucoup trop tard, presque au terme d’un mandat qui n’aura pas été des plus heureux. Si seulement elle ne se réduisait pas à une prudente plainte contre X, alors que les fauteurs de blocage se vantent, tous les matins, de leur forfait. Si, surtout, l’auteur du vertueux réquisitoire ne figurait pas lui-même au nombre des accusés, lui dont la tumultueuse carrière politique (comme, par ricochet, celle de son gendre et dauphin) n’avait précisément d’autre fil directeur que ce même et méthodique recours au blocage. Trop connues en sont les péripéties, étalées sur des décennies, pour qu’il soit encore besoin de les énumérer ici.


Si en définitive le présidentiel coup de gueule ne sonne pas très juste, c’est qu’il n’est en réalité qu’un double et pitoyable appel au secours. À sa clientèle chrétienne en proie à la désaffection, phénomène menaçant fortement de se manifester lors des élections législatives programmées pour le printemps, le chef de l’État entend démontrer que s’il doit largement son fauteuil au Hezbollah, il n’en est pas pour autant le vassal. Quant à la milice pro-iranienne, elle se voit tout à la fois sommée et ardemment priée, pressée, suppliée même, de contribuer, par quelque geste de conciliation, au renflouement du régime : tel est l’objet de discrets pourparlers en cours. En attendant le mot de la fin, promis pour le 2 janvier par la bouche de Gebran Bassil, c’est à une inconfortable gymnastique, à un acrobatique grand écart qu’est tenu le parti du président.


Double face, double langage, et au final double jeu ; mais au fond, n’a-t-on pas là le manuel de l’utilisateur adopté avec un bel ensemble par les tristes acteurs évoluant sur la scène politique libanaise ? Le tandem Amal-Hezbollah a porté à un degré de perfection inégalé la bonne vieille technique du gentil et du méchant flic. L’un exige ainsi la tête du juge Tarek Bitar, enquêtant sur la dévastatrice explosion de 2020 dans le port de Beyrouth, et l’autre accepterait bien de le laisser pêcher le menu fretin, avec stricte interdiction de jouer dans la cour des grands ; le résultat est cependant le même, le gouvernement se trouvant en effet condamné au chômage, dans un pays qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise.


Hier, c’était au tour du Premier ministre de descendre sur la piste pour jongler, sans grand succès, avec les dits et les non-dits. On l’a vu reconnaître, dans une conférence de presse, la faille structurelle dont souffre son cabinet, mais sans qu’il se décide pour autant à convoquer celui-ci, ou bien alors à démissionner. Nagib Mikati exclut toute ingérence officielle dans les affaires de la justice, mais c’est des juges eux-mêmes qu’il attend le tour de vis que mérite, selon lui, le magistrat Bitar. Mais c’est en abordant la question du Hezbollah que le jongleur a complètement raté ses quilles, ballons et cerceaux. Car s’il désavoue, sans toutefois le citer nommément, les équipées arabes du Hezbollah, le chef du gouvernement se refuse à y voir une quelconque hégémonie iranienne sur le Liban ; tout à ses problèmes d’optique, il voit, par contre, dans la milice un parti libanais comme les autres.


Comme les autres, vraiment, avec les cent mille combattants dont il se crédite et le formidable arsenal qu’il détient ? Rien que pour cette sidérante trouvaille, Nagib Mikati est assuré, lui, de passer à la postérité en Premier ministre pas, mais alors pas du tout, comme les autres.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Une fois n’est pas coutume, mais on ne peut que souscrire à presque tous les points qu’a soulevés le président de la République dans sa brève adresse de lundi soir aux Libanais. Car il a raison, Michel Aoun, de rappeler à ceux qui ont trop tendance à l’oublier le rôle primordial de l’État dans la conduite des affaires du pays, et très précisément en matière de défense. Il a...