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Monde - Éclairage

En Ukraine, l’UE ne joue pas sa survie, mais sa crédibilité internationale

Les menaces européennes de sanctions ne font aucunement peur au Kremlin, ce dernier étant plus enclin à considérer que seule la force peut résoudre les conflits.

En Ukraine, l’UE ne joue pas sa survie, mais sa crédibilité internationale

Des militaires ukrainiens lors d’un entraînement près de Kiev, le 25 décembre 2021. Sergei Supinsky/AFP

Bruits de bottes en Ukraine ? Près de 100 000 soldats russes seraient déployés à sa frontière est, alors que les Occidentaux accusent Moscou de préparer une invasion de cette ex-République soviétique désormais proche du camp européen.

Le président russe, Vladimir Poutine, a multiplié les menaces la semaine dernière, promettant une réponse « militaire et technique » si ses rivaux occidentaux ne mettaient pas fin à leur politique jugée agressive, à la frontière ouest de la Russie, notamment en Ukraine, en Géorgie et dans la mer Noire. « On est sur le pas de notre porte, nous ne pouvons pas reculer », a lancé M. Poutine il y a quelques jours. Le Kremlin multiplie depuis des années la rhétorique affirmant que la Russie est entourée d’ennemis, mobilisant ainsi les Russes en faisant usage d’un nationalisme et d’un patriotisme accentués, préparant ainsi l’opinion publique à une éventuelle guerre pour se défendre, selon lui, des agressions étrangères. Le Kremlin juge les Occidentaux responsables de la rupture de confiance, l’OTAN s’étant élargie à l’est à partir des années 1990, violant, selon Moscou, des promesses faites après la chute de l’Union soviétique. « La Russie de Poutine est rancunière. Elle perçoit ainsi la chute de l’Union soviétique comme une catastrophe géopolitique. En outre, elle se sent menacée par l’élargissement de l’OTAN », explique à L’Orient-Le Jour le politologue Wissam Saadé.

Atouts non militaires

De leur côté, les Occidentaux multiplient les messages contradictoires. Américains et Européens menacent Moscou de sanctions économiques sans pareilles en cas d’offensive en Ukraine. Toutefois, ils n’envisagent pas d’envoyer de troupes pour soutenir militairement Kiev. « Les Européens utilisent en Ukraine leurs propres atouts non militaires : soutien aux finances publiques ukrainiennes, sanctions économiques et diplomatiques contre la Russie, assistance technique aux réformes administratives en Ukraine, etc. Mais ils ne feront pas la guerre pour défendre Kiev contre une hypothétique attaque. C’est la vocation de l’OTAN qui est la plus grande alliance militaire au monde », explique Cyrille Bret, enseignant à Sciences Po Paris et expert de la Russie.

Or les menaces de sanctions ne font aucunement peur à Moscou, le Kremlin étant plus enclin à considérer que seule la force peut résoudre les conflits. « Pour la Russie, les guerres menées pour limiter l’expansion de l’OTAN ont été un succès, notamment en Géorgie en 2008, puis le soutien aux séparatistes ukrainiens au Donbass et l’annexion de la Crimée en 2014 », estime Wissam Saadé. La guerre en Syrie est un autre exemple où Moscou est intervenu militairement avec succès pour sauver le régime de Bachar el-Assad, alors que les Européens s’égosillaient à appeler à une solution politique en Syrie.

Mais pour Cyrille Bret, la Russie peut atteindre ses objectifs stratégiques dans la région sans déclencher une guerre véritable. « Il lui suffit de déstabiliser l’Ukraine et de tenir le rapport de force avec l’OTAN pour atteindre son but : empêcher l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique et à l’UE. Et pour ce faire, elle dispose de tous les moyens utiles en dehors de l’action militaire. »

Parallèlement aux menaces militaires, la Russie a présenté aux Américains et à l’OTAN deux traités précisant ses exigences pour une désescalade. Ces textes visent à interdire l’élargissement de l’OTAN, à l’Ukraine en particulier, et à limiter la coopération militaire occidentale en Europe de l’Est, dans le pré carré de l’ex-URSS. Les Américains ont estimé que certaines de ces exigences sont « inacceptables », tout en appelant à des discussions incluant leurs partenaires européens et l’OTAN.

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Poutine satisfait de la réaction américaine à ses exigences

Washington et ultérieurement Berlin ont affirmé que des rencontres devraient avoir lieu en janvier pour apaiser les tensions avec Moscou. Des propos qui semblent satisfaire Vladimir Poutine. « J’espère que la première réaction positive (des États-Unis), avec l’annonce du début des négociations (à Genève) en janvier, va nous permettre d’aller de l’avant », a-t-il dit. Dans la foulée, le ministère russe de la Défense a affirmé que plus de 10 000 militaires russes sont rentrés dans leurs bases après des exercices d’un mois dans les régions russes de Volgograd, de Rostov, de Krasnodar et de Crimée annexée.

L’Ukraine est toujours la petite Russie

Ces derniers mouvements militaires éloignent l’imminence d’un conflit militaire, mais la menace russe reste entière. « La Russie a accepté à contrecoeur l’élargissement de l’OTAN vers les pays baltes, estime M. Saadé. Mais le nationalisme grand-russe a du mal à considérer les pays slaves comme la Biélorussie et l’Ukraine loin du giron russe. Pour ces nationalistes, l’Ukraine est toujours la petite Russie, et ces deux pays doivent rester soudés. »

Parallèlement, malgré leurs tergiversations et leur manque de fermeté, les Européens ne peuvent pas lâcher l’Ukraine. En revanche, ils ne peuvent pas lui assurer une protection. La réaction mesurée européenne face au va-t-en-guerre de Poutine montre que l’UE n’est pas prête à entrer en guerre avec la Russie, du moins concernant l’Ukraine. « L’UE a fait de l’Ukraine une question de principe : celui de l’intangibilité des frontières, explique ainsi Cyrille Bret. Mais stratégiquement, l’Ukraine est surtout un laboratoire où la géopolitique de l’Union s’élabore. C’est là que les Européens testent leur capacité à résister à la Russie et à attirer d’anciennes Républiques soviétiques vers Bruxelles. En Ukraine, l’UE ne joue pas sa survie, mais sa crédibilité internationale. »

« Les Occidentaux – États-Unis, OTAN et UE – ne peuvent accepter ou justifier l’annexion de la Crimée. Et une Russie, même post-Poutine, ne peut plus revenir sur cette annexion », ajoute pour sa part Wissam Saadé. Selon lui, il faut penser à deux modèles : la Norvège ou la Finlande. « On se souvient ainsi de la neutralité finlandaise, qui ne faisait pas partie de l’OTAN durant les années de la guerre froide. En revanche, la Norvège faisait partie de l’OTAN, mais elle ne permettait pas le déploiement d’armes non conventionnelles sur son territoire, qui était limitrophe de l’URSS », ajoute-t-il.

Il revient ainsi aux Ukrainiens de voir s’ils aspirent à être radicalement du côté occidental en faisant partie de l’OTAN – au risque de devenir un pays divisé – ou à être un nouvel exemple comme la Finlande ou la Norvège.

Bruits de bottes en Ukraine ? Près de 100 000 soldats russes seraient déployés à sa frontière est, alors que les Occidentaux accusent Moscou de préparer une invasion de cette ex-République soviétique désormais proche du camp européen. Le président russe, Vladimir Poutine, a multiplié les menaces la semaine dernière, promettant une réponse « militaire et technique »...

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