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Les colonnes du temple

Touche pas à mon argentier! C’est avec une célérité exceptionnelle, quelques heures seulement après leur méfait, que la police débusquait et traquait, mercredi, les trois auteurs d’un audacieux braquage de banque dans une banlieue de la capitale; deux de ces derniers trouvaient d’ailleurs la mort en tentant de prendre la fuite. Pour l’occasion, le ministre de l’Intérieur annonçait un surcroît de mesures préventives face à la vague de criminalité résultant de la dégradation des conditions de vie dans notre infortuné pays.


Fort bien que tout cela, bravo les flics ! Mais qui donc, sur Terre, serait-il de taille à mettre en échec le hold-up du siècle, cette implacable entreprise de dépossession massive visant le peuple libanais et dont maintes banques ne sont guère innocentes ? Sur qui compter pour neutraliser enfin cette très peu sainte trinité responsable de nos malheurs et où l’on trouve une caste politique pourrie jusqu’à la moelle, une banque centrale couvrant bien des abus et des établissements financiers trahissant froidement la confiance du public ?


Aux illégales restrictions imposées aux déposants (un haircut en bonne et due forme, sans le nom) vient de s’ajouter un véritable marché de dupes. Sont ainsi proposés des taux de change se voulant alléchants, et donc propres à inciter le bon peuple à se défaire graduellement de ses devises séquestrées, ce qui réduirait d’autant les engagements des banques envers leurs clients. Or, du fait de la hausse continue des prix comme de la dépréciation de la livre libanaise, c’est en réalité de la monnaie de singe que l’on obtient en contrepartie. Pire encore, cet afflux de livres libanaises ne manquera sans doute pas de susciter une ruée sur les valeurs refuges en précipitant la monnaie nationale dans les profondeurs du néant.


Oui, une fois de plus, à quel saint se vouer pour que soit brisé un cercle on ne peut plus vicieux ? Les gouvernements étrangers, et non des moindres, n’ont certes pas manqué de flétrir, dans les mots les plus durs parfois, l’incurie et la vénalité de la ligue mafieuse qui monopolise le pouvoir au Liban. Mais rien n’y a fait : pas plus que les appels au respect des principes de moralité et de justice, pas davantage qu’une volée de sanctions frappant quelques-uns d’entre eux, l’insulte n’avait de prise sur ces personnages. Il ne restait plus d’autre choix alors que de s’attaquer au maillon faible de la chaîne : de tester le pouvoir dissuasif et contraignant de l’argent, non plus seulement sur les adorateurs du veau d’or qui nous gouvernent, mais sur les temples mêmes de l’argent, édifices aux colonnes soudain bien fragiles. Croisez les doigts, cela vient peut-être de commencer.


Significatif est en effet l’avertissement lancé jeudi à l’Association des banques du Liban par le département du Trésor américain : et plus précisément par le vice-ministre pour le Terrorisme et le Renseignement financier qui s’exprimait par visioconférence devant les patrons du secteur réunis en assemblée. Brian Nelson a usé de termes courtois, et néanmoins menaçants, pour inviter l’association à faire preuve désormais de plus de transparence en matière de lutte contre le blanchiment et le financement de groupes classés terroristes, sans oublier surtout cette incontournable, omniprésente corruption qui, au Liban, paraît indissociable de l’exercice de la politique. Le haut fonctionnaire n’a pas dévoilé de secrets en signalant que des personnages influents, suspectés de se livrer aux activités criminelles susmentionnées, figuraient au nombre des actionnaires de certaines de ces banques. Pour éviter des sanctions pouvant entraîner leur faillite, elles devraient, en toute logique, les prier d’aller caser ailleurs leur sale magot.


Plus que jamais, l’argent s’affirme comme le nerf de toute guerre. Et qui vit par le fric pourrait bien périr par le fric.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Touche pas à mon argentier! C’est avec une célérité exceptionnelle, quelques heures seulement après leur méfait, que la police débusquait et traquait, mercredi, les trois auteurs d’un audacieux braquage de banque dans une banlieue de la capitale; deux de ces derniers trouvaient d’ailleurs la mort en tentant de prendre la fuite. Pour l’occasion, le ministre de l’Intérieur...