Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Les 10 et 11 décembre 2021 : 48 heures de courant électrique !

Je me réveille le 10 décembre à 6h du matin, étonnée de me sentir calme. Je tends l’oreille quand m’accueille un bienheureux silence. Je passe à la salle de bains et la lumière fut. Je fis rapidement mon café sans avoir à chauffer l’eau au gaz, je descendis la chienne en ascenseur, je n’eus pas à tirer ses 28 kilos en laisse de peur qu’elle ne surprenne un voisin inconfortable sur les escaliers. 40 minutes plus tard, l’ascenseur nous conduisit sans effort à l’étage. Je n’en revenais pas, quand cette situation dura toute la journée, accompagna mes allers et retours, mais aussi la sortie de la nuit. Le noir des rues était baigné d’une douce lumière qui nous autorisa à nous balader plus loin dans le quartier ! Mais ce qui me rendit détendue, apaisée voire joviale fut l’absence du bruit assourdissant du grand générateur qui nourrit certaines institutions de l’État aux côtés desquelles je vis. Ce bruit continu, ininterrompu, ce rouleau compresseur qui paralyse ma pensée, été comme hiver, ce mazout nauséabond que je subis à chaque fois que le générateur démarre, et contre lesquels rien ne put être fait… Les fonctionnaires s’y font et s’ils s’en plaignent, c’est pour mieux râler ; ils vivent avec, tout comme leurs directeurs, les ministres successifs, tout comme nous citoyens. C’est comme ça…

Face à ce calme surprenant, j’ai pensé alors que la situation du courant électrique s’améliorait et j’ai diffusé ce message, à défaut d’informations dramatiques, sondant par ailleurs les membres de ma famille sur

WhatsApp, pour vérifier s’ils relevaient une amélioration pareille dans leurs quartiers respectifs. Ma première pensée– tentative d’analyse – concerna le jeu politique qui s’articulerait à mon sens autour de ce courant qui n’est pas, puis qui d’un coup est, sans justification aucune. Je me suis ainsi demandé où le jeu pervers des politiciens voulait conduire le citoyen. À quoi cela servirait-il politiquement de le mener à bout, de l’asservir en le mettant en continu, depuis des mois déjà, dans le noir le plus complet, sous l’emprise de la cupidité des propriétaires de générateurs ? Quelle accalmie politique se tramerait donc ainsi à présent et à quel prix ?

J’ai alors appelé le fameux pourvoyeur de générateurs dans mon quartier, N. M., le 12 décembre, m’emportant contre lui quand il coupa comme d’habitude le générateur entre 13h et 15h. « Nous avons eu longtemps le courant électrique, tu n’as plus besoin de “reposer ton moteur”, c’est de l’abus. » Il me répondit : « Mais non ! c’est fini les vacances... Un câble électrique avait pété. Ils nous ont branchés alors provisoirement sur le câble qui nourrit le quartier de Badaro (là où se situe l’Hôpital militaire). Maintenant que le câble est réparé, nous revenons à la situation antérieure. » J’étais affreusement déçue, redevenue « Gros-Jean comme devant ». Je lui rétorquai alors que ses heures de gloire ne semblaient donc pas être finies bientôt et je lui demandai, tant que j’y étais, combien je lui devais pour les frais de générateur relatifs aux trois derniers mois écoulés. Il me répondit : 7,8 millions de livres libanaises ! Les chiffres que N. M. me balance toutes les fois sont délirants – vous devez savoir que lui fait partie des humanoïdes tout-puissants qui ont le monopole du courant dans le quartier et qui refusent notre droit au compteur, ainsi je n’ai jamais compris comment il comptabilisait ses factures – et reflètent depuis un moment déjà l’affolante incohérence dans laquelle vit le citoyen libanais qui se voit contraint de payer son droit au courant électrique plus cher que son loyer, plus cher que les frais de scolarité ou d’université de ses enfants, plus cher que le prix de l’essence, plus cher que tout. Mais il n’a pas le choix, c’est cela ou le noir, cela ou le froid, cela ou pas de réfrigérateur pour conserver la nourriture, cela ou pas de télévision, pas d’internet, pas de recharge des batteries de son portable et de son ordinateur.

Depuis le 12 décembre, j’ai ainsi de nouveau mal à la tête du fait du bruit assourdissant du grand générateur, je suis vite irritable et irritée, je chauffe l’eau de mon café au gaz, je tiens la chienne en laisse avec prudence sur les escaliers et je me contente de la balader la nuit à proximité…

Noël est dans quelques jours. Ma sœur et mes amies atterrissent bientôt, le temps de reformer un peu le cocon familial et amical que la situation politico-sécuritaire et économique a fait éclater. On boira, on trinquera, on s’offrira des cadeaux. S’enlacer, s’embrasser sera d’autant plus précieux, rire ensemble aussi… Ces gestes porteront désormais conjointement la douleur de la séparation prochaine et le goût de l’impuissance. Ma cousine, elle, n’a pas pu venir… L’année prochaine, peut-être que moi aussi je serai amenée à réfléchir à la possibilité que j’aurai ou non de pouvoir les retrouver et de retrouver aussi tous les gens que j’ai dans la peau, chez nous au Liban, pour Noël… Chez nous au Liban… Mais qu’ont-ils fait ? Quel Liban ? Qui nous ?

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Je me réveille le 10 décembre à 6h du matin, étonnée de me sentir calme. Je tends l’oreille quand m’accueille un bienheureux silence. Je passe à la salle de bains et la lumière fut. Je fis rapidement mon café sans avoir à chauffer l’eau au gaz, je descendis la chienne en ascenseur, je n’eus pas à tirer ses 28 kilos en laisse de peur qu’elle ne surprenne un voisin inconfortable...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut