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Banques et BDL : cessez d’attendre Godot

Banques et BDL : cessez d’attendre Godot

Photo Nabil Ismaïl

Les banques et la BDL, depuis plus de deux ans attendent Godot ou l’Oncle Sam qui se trouve lui-même dans le coma. Pas de restructuration du secteur bancaire, ni d’autocritique à la BDL, ni de vraies concessions envers les déposants.

Une seule chose est requise : une procédure réaliste et applicable malgré la situation politique que l’on vit, afin de libérer une partie des dépôts et d’arrêter la tragique décote forcée provenant des circulaires successives de la BDL, car au train où vont les choses, le déposant continuera à recevoir des miettes gravement « décotées » en guise d’anesthésie.

La circulaire 158 traite sur une année 1,3 % seulement des fonds des déposants. Le reste des fonds ne seront remboursés que dans plusieurs années au meilleur des cas. Elle permet au déposant de récupérer progressivement une petite somme non sans une décote de 35 % au taux de change d’aujourd’hui. Pire encore, la circulaire 151 l’oblige s’il veut accéder à son argent de le retirer avec une décote de 70 %, ce qui réduit les dettes de la BDL du même ratio, une circulaire inéquitable et illégale à mon avis. Par manque de faire les choses qu’il faut, on fait n’importe quoi. C’est pour cela que j’estime que grâce à ces circulaires, grâce aux retraits à 1 500 LL pour ceux qui en ont besoin et grâce aux chèques lollars vendus, les dettes de la BDL se réduisent d’environ 1,5 milliard de dollars mensuellement au détriment des déposants !

Il n’est plus possible d’ignorer l’énorme sacrifice des déposants et des retraités qui ont travaillé au cours des années afin d’accumuler leur épargne qu’ils voient disparaître devant leurs yeux, alors que certains ont transféré leurs avoirs à l’extérieur du pays (9,4 milliards de dollars d’après Moody’s). Cette discrimination est immorale, certaines banques ayant ignoré le principe de la « fiduciary duty » qui leur impose de traiter tous les déposants avec égalité et de protéger leurs avoirs sans distinction. La BDL de son côté n’a pas trouvé bon de passer une circulaire (au moment où l’ABL avait décidé d’arrêter les transferts à l’extérieur,) imposant des sanctions sévères si les membres de l’ABL eux-mêmes font fi de leur propre décision. Un plan d’action pour les banques et la BDL, publié dans ces mêmes colonnes en date de 16 mars et du 30 mai 2020 afin qu’ils s’en inspirent n’a pas été pris en considération, au prix de laisser le déposant essuyer de lourdes pertes effectives (et non sur papier) contrairement aux autres.

Vu la situation d’aujourd’hui je propose que les banques et la BDL concèdent leurs avoirs immobiliers aux déposants sans porter atteinte à leur propre activité de base par l’application d’une procédure qui ne nécessite pas une décision politique, ce qui facilite le processus. Ainsi faut-il que les banques et la BDL fournissent aux déposants (en plaçant dans une société anonyme cotée en Bourse) une grande partie de ce qu’elles possèdent comme biens immobiliers tels que les tours des quartiers généraux, les bureaux, toutes les agences en leur possession (800 au total), les appartements et les propriétés commerciales récupérés des emprunteurs défaillants, l’immobilier à l’extérieur du Liban, et ceci pour les remplacer par les fonds des déposants au sein d’une société anonyme. Les banques et la BDL continueront à utiliser ce dont elles ont besoin en les louant par un bail annuel de 3 % de leur valeur. La valeur des propriétés des banques et de la BDL combinée est estimée à 10 milliards de dollars. Il faut clarifier ici qu’il n’y a aucune raison pour que les banques maintiennent une grande quantité de biens immobiliers car leur rôle principal est d’être l’intermédiaire financier entre les déposants, d’un côté, et les commerçants, les entreprises, les secteurs productifs et les investisseurs qui relancent l’économie, de l’autre.

Ce rôle s’appelle « intermédiation » faisant partie du secteur des services qui se base sur les compétences humaines, or les banques ont surtout joué (par facilité et par gourmandise) l’intermédiation entre les déposants et… l’État ! Les banques ne récupèrent-elles pas les biens d’un client qui n’arrive pas à rembourser son prêt ? Elles sont appelées à appliquer le même principe sur elles-mêmes et sur leurs déposants !

De son côté, la BDL n’a pas comme vocation de conserver ce type de biens mais de veiller à maintenir la stabilité monétaire, contrôler l’inflation et la masse monétaire, préserver le pouvoir d’achat des citoyens, s’assurer de la solidité des banques, protéger les dépôts. Selon le magazine français Challenges, la BDL possède 1 200 propriétés, ajoutons à ce nombre ses propres bureaux dans chaque ville.

Ainsi, la BDL et les banques ont une opportunité de rembourser à sa propre valeur une partie non négligeable de leur dette envers les déposants. La BDL a bien repris toutes les propriétés de la banque Intra et la banque al-Madina lorsqu’elles ont failli à leurs payements. Maintenant que la BDL n’est pas en mesure de rendre ce qu’elle doit, n’est-il pas normal qu’elle cède immédiatement ses biens immobiliers à ses créanciers ?

Ces propriétés seront transférées à une seule société opérant sur les marchés boursiers de Beyrouth, de Londres ou de Paris avec un dividende annuel de 3 % (provenant de la « re-location » auprès des banques et de la BDL). Le bail serait pour dix ans renouvelable deux fois au prix du marché, estimé par une société internationale. Chaque déposant jouira du droit d’échanger 10 % de son dépôt par ces actions et si la souscription est faible pour certains déposants, nous prévoyons de pouvoir augmenter la part de la souscription de ceux qu’ils souhaitent à 15 % avec 85 % lui restant dus par les banques. Techniquement, la BDL va octroyer ses biens immobiliers aux banques en remboursement des dépôts des banques auprès d’elle, qui elle les rétrocédera à ses déposants à travers cette société. Lorsque ces actions seront émises, les déposants pourront les vendre s’ils le souhaitent ou les hypothéquer afin de se liquéfier. Cette société sera dirigée par un conseil d’administration choisi par les déposants (vu que les fonds leur appartiennent) avec des clauses qui empêchent les grands déposants d’avoir le monopole de la décision. Ainsi le déposant évitera la décote forcée qu’il subit en ce moment, en détenant des actions d’une société anonyme dont la valeur reflète celle initiale de son dépôt, qui possède des propriétés de bonne qualité au prix du marché avec rendement annuel. Il bénéficiera aussi de la hausse des prix des actions lorsque le marché immobilier s’améliora, ce qui pourrait lui restituer ce qu’il va encore perdre par les « haircuts » à venir.

Il convient de souligner que beaucoup de déposants ont échangé leurs dépôts contre des propriétés dans l’ensemble du pays afin d’échapper à leur gel, à une décote, ou une ponction légalisée par une loi. Beaucoup se sont précipités aussi vers l’achat d’actions Solidere qui a vu ses actions augmenter de huit dollars à 30 dollars. Cette société attirera donc un grand nombre de déposants surtout ceux qui possèdent des dépôts de taille moyenne et grande. Ces déposants ont été les principaux contributeurs au financement de l’économie et de l’État libanais et seront le moteur de toute croissance économique future s’ils regagnent confiance. Les autorités financières ne doivent ni les négliger ni leur faire perdre espoir dans le secteur bancaire, comme elles le font actuellement.

Je propose donc un processus de récupération des fonds des déposants dans le but de réduire leurs pertes causées par les circulaires successives de la BDL et qui contribue à développer les marchés financiers sans créer de l’inflation. Elle ne nécessitera pas plus que cinq mois pour être mise en œuvre et restituera une valeur de 10 milliards de dollars aux déposants à comparer à la circulaire 158 qui restituera environ 1,1 milliard de dollars par an seulement.

Ceci permettra aux banques de gagner du temps pour rendre progressivement aux déposants une partie de leur liquidité. Ceci permettrait aussi de réduire l’intensité du « Bail In » proposé par Lazard et le FMI qui consiste à céder une majorité des actions bancaires aux déposants.

En période de crise une telle solution créative, intermédiaire s’impose. Quant à la BDL, ceci lui donnera le temps de se réorganiser et de restructurer le secteur bancaire et à l’État le temps d’organiser un « Bail Out » éventuel.

Même en assumant une mise en place d’un plan de redressement sérieux, il semble quasi impossible d’imaginer une restitution des dépôts dans un délai raisonnable et selon les lois en vigueur, c’est-à-dire dans la monnaie dans laquelle ils ont été déposés, d’où l’attrait de cette proposition.

Président honoraire de l’Association des diplômés de Harvard au Liban. Financier, économiste et ancien banquier à la banque JP Morgan à Wall Street

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

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