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Culture - PORTRAIT

Carole Dagher, passerelle humaine et humaniste

La remise de la médaille d’or du Rayonnement culturel à Carole Dagher, par La Renaissance française, ce soir à 18h à l’hôtel Le Gabriel, est un témoignage de reconnaissance pour cette auteure libanaise qui a toujours œuvré pour le rapprochement des cultures.

Carole Dagher, passerelle humaine et humaniste

Carole Dagher a toujours cette soif d’apprendre, de comprendre. Photo DR

Carole Dagher a le don d’ubiquité. Elle peut danser aux sons de la bossa nova au Brésil tout en écoutant de la musique celtique en Irlande ; fréquenter les Magyars de Hongrie en se faisant inviter par les peaux-rouges d’Amérique. L’écrivaine aime à voyager dans son imaginaire, rêver de mondes lointains sans avoir même à se déplacer, mais aussi rapprocher ces mondes-là en découvrant des similitudes dans leurs différences. Ouverte à toutes ces cultures, ces particularismes ethniques, elle voyage parfois mieux en se documentant, lisant, écoutant. Tour à tour étudiante en droit, championne d’athlétisme, et de lancer de poids et de javelot, chercheuse, journaliste et écrivaine, Carole Dagher défriche, renoue avec le passé, fait fusionner l’Orient et l’Occident, véritable terreau de son inspiration.

Sa silhouette fine et légère arpente la terre sur la pointe des pieds d’un pas sûr et déterminé en dessinant un tracé… humaniste. Elle aurait pu vivre au siècle des Lumières, côtoyer les écrivains et les philosophes, car son vrai combat s’inscrit dans la lutte contre l’obscurantisme et l’iniquité, dans le rétablissement non seulement de la justice, mais de ce qui est « juste ». C’est pourquoi la médaille d’or du Rayonnement culturel, qui lui est décernée aujourd’hui par la délégation du Liban de la Renaissance française (une institution fondée en 1915 ayant pour mission de participer au rayonnement de la langue française et des valeurs de la francophonie), a une saveur particulière. Ses romans historiques et ses essais ont été auparavant couronnés de différents prix, dont le prix Michel Tournier 2021 du roman historique, décerné à L’invité des Médicis (Éditions Philippe Rey, 2020). L’écoute a toujours été l’essence, la moelle épinière de son parcours. Sonder le monde, écouter la souffrance des autres, lire dans le silence d’autrui les non-dits et traverser les couloirs du temps en reliant passé et présent pour témoigner et transmettre. C’est ce que cette amoureuse du mot a toujours su faire. « Quand mon père m’a offert un premier ouvrage de poésie, j’ai tout de suite su que j’allais écrire. Enfant, j’étais très influencée par Victor Hugo, Baudelaire et les romantiques Alfred de Vigny, de Musset. C’est cette poésie française qui a été pour moi le premier vecteur du mot et de la pensée. J’ai moi-même écrit un recueil à l’adolescence – j’avais 16 ans – qui verra le jour bientôt. Et j’ai déjà publié des poèmes dans L’Orient-Le Jour », poursuit-elle en riant.

À l’ombre d’une bibliothèque chaleureuse et conviviale, « un lieu de méditation », Carole Dagher grandit, ouvre grands les yeux et absorbe. Il lui était doux de feuilleter les pages des ouvrages des grands poètes et écrivains, entendre le froissement du papier et écouter ces illustres personnages lui chuchoter à l’oreille et lui révéler les vrais secrets de la vie. « Les livres vous accompagnent, car c’est une vie parallèle à la vie réelle. Pour moi, la lecture est une nourriture spirituelle, formatrice, de la personnalité. Ce ne sont pas seulement les voyages qui forment la jeunesse, les lectures aussi. » Et d’enchaîner : « Le monde a délaissé les sciences humaines pour le marché du travail et de la technologie, or, celles-ci sont utiles sur le marché de la vie. Si on n’est pas armé intellectuellement et moralement, on ne peut pas affronter la vie. Le monde deviendrait alors une jungle où les hommes sont des loups. Les jeunes aujourd’hui sont plus portés vers la science, poursuit-elle avec regret, or, comme disait Rabelais “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme”. »

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Sur les bancs de l’université où elle fait des études de droit, Carole Dagher avait griffonné un jour sur son classeur une citation de Tagore qu’elle s’était faite sienne et qui l’a accompagnée tout au long de son parcours : « Seigneur, que seulement je fasse de ma vie une chose simple et droite, pareille à une flûte de roseau que tu puisses emplir de musique. » « Or, la vie n’a pas été simple et droite au Liban, continue Dagher, mais j’essaye et je n’arrête pas de la remplir de ma propre musique. »

« Mon amour immodéré de la France, de sa culture et de son histoire a toujours été une partie intrinsèque de mes activités et de mes engagements. Il est inséparable de mon amour pour le Liban. Ce sont les deux versants, indissociables et complémentaires, de mon identité », dit-elle de sa voix fine et délicate, comme si elle avait peur d’écorcher cette langue à laquelle elle est dévouée. Son parcours en témoigne.

Journalisme, recherches et romans

Après des études de droit d’abord à l’USJ puis à l’Université de Nice (droit international public), elle suit une formation en journalisme aux États-Unis, à l’Université de Brown, Rhode Island. « J’ai grandi dans un contexte de guerre au Liban, et pour moi, défendre la loi dans un État de non-droit me paraissait paradoxal. Je me suis donc tournée vers le reportage de guerre pour témoigner et raconter la souffrance des gens. » Carole Dagher alimente ainsi les pages de L’Orient-Le Jour puis d’as-Safir (quotidien en langue arabe) de 1992 à 1997. « Je me considère d’ailleurs toujours comme appartenant à la famille de L’Orient-Le Jour  », affirme-t-elle. Sa carrière de journaliste la pousse vers un travail de chercheuse qui l’emmène aux quatre coins du monde, et notamment à l’Université de Georgetown à Washington (1998-2000). Elle devient ainsi membre du secrétariat général du synode maronite qui s’est tenu au Liban de 2004 à 2007 puis membre fondateur du Centre maronite de documentation et de recherche (CMDR-Bkerké et CMDR- France) qu’elle a dirigé de 2010 à 2014. Elle participe ainsi à des colloques et des forums sur le dialogue islamo-chrétien. Attachée culturelle près l’ambassade du Liban en France de 2012 à 2017, elle devient présidente de l’Association des amis de la bibliothèque Orientale de Beyrouth, basée à Paris, de 2013 à 2019.

« Faites tomber les murs », une phrase lancée au Liban par le pape Jean-Paul, sera le titre d’un de ses livres. « Tout commence par le dialogue des communautés, dit-elle, car dans tout le Moyen-Orient, il y a cette mémoire blessée de chaque communauté qui, une fois au pouvoir, ne peut s’empêcher de prendre sa revanche sur les autres. Le jour où nous dépasserons nos identités communautaires en nous épaulant, là nous aurons une allégeance citoyenne à l’État. »Les romans historiques sont la troisième étape de ce riche parcours. C’était pour Carole Dagher à la fois un hasard de la vie et une orientation personnelle. « Quand j’étais chercheuse à Washington, j’ai écrit mon livre Bring Down the Walls. Mon éditeur américain a envoyé mon ouvrage en France pour le traduire. J’ai alors reçu une contre-proposition émanant de Plon qui était intéressé de faire un livre historique sur le Liban. Ma devise étant “ Tu dois savoir d’où tu viens pour construire l’avenir”, je me suis lancée dans cette épopée qui a donné naissance à une trilogie sur l’émirat qui commence avec Le Couvent de la Lune. »

Carole Dagher a beaucoup d’idées et l’inspiration facile, mais elle souffre en écrivant. C’est une perfectionniste. Elle cisèle les mots, élague les phrases, défriche le bavardage pour atteindre la pensée pure. « J’ai un tel amour de la langue et de sa musicalité que j’ai une exigence envers moi-même. Je ne veux pas uniquement me contenter de raconter. J’avoue que je replonge dans mon amour pour la poésie. » Pourquoi s’est-elle orientée vers le passé ? « Car Fakhreddine représente le fondement du Liban, le dépat du rêve, et du rêve réalisé. Cet homme a unifié le Liban par la force de la ruse, il a créé un mini-État qui a tenu tête à l’Empire ottoman. Il porte en lui la quintessence du Libanais ouvert à l’Occident. Il n’a pas tenu compte des communautés des uns et des autres, mais seulement de la loyauté des citoyens. Donc, si nous pouvions retourner à l’esprit des origines, à ce rêve, cela pourrait aider à un nouveau démarrage. » Carole Dagher a toujours cette soif d’apprendre, de comprendre. « Si nous n’avons plus de curiosité dans la vie, nous devenons une personne éteinte, affirme-t-elle. En accumulant le savoir, nous sommes simplement des érudits ; or, il faut rayonner autour de soi, et autant que possible. » Essayer de mener une réflexion sur soi et de tracer une voie pour l’avenir, de débroussailler comme un guide dans la jungle pour éviter que ceux qui nous succèdent ne s’écorchent sur les ronces, telle est sa mission. Carole Dagher est après tout une militante malgré elle et un phare qui éclaire dans le noir total d’un pays qui se cherche encore.

Les 7 dates jalons de Carole Dagher

- « En classe de 6e (je fais l’impasse sur l’année par vulgaire coquetterie), le jour où la prof de français a choisi de faire de ma dissertation libre en français un modèle d’écriture et de dictée à la classe. J’ai compris que je serai écrivaine. »

- « À l’âge de onze ans, quand j’ai appris que le père Noël n’existe pas. Tout un pan du ciel m’est tombé sur la tête, j’en ai pleuré ! Ceci dit, il a refait son apparition dernièrement. Mais c’est un secret. »

- «Mon entrée en journalisme, en 1988, à L’Orient-Le Jour. Je n’ai jamais cessé d’être journaliste depuis. C’est une manière d’être constamment à l’écoute du monde. »

- «Ma rencontre avec le père Youakim Moubarak, au sortir de la guerre, au début des années 90. J’étais en colère contre mon pays. Il m’a réconciliée avec ma maronité et ma libanité, et m’a fait découvrir la Vallée sainte de la Qadicha. Ce fut comme un second baptême pour moi. »

- «Ma découverte de l’Amérique, en 1993, puis mon entrée en tant que chercheuse à la Georgetown University, en 1998, dans un monde universitaire foisonnant. L’équivalent, pour moi, de la conquête de l’Ouest. Cette découverte exaltante s’associe à celle du jazz que j’écoute en écrivant. »

- « Mon entrée en littérature romanesque en 2002, avec ma trilogie du Couvent de la Lune (Plon). Une immersion totale dans l’âme du Liban. La Lune fut vraiment ma compagne d’écriture à Deir el-Qamar. »

- « Ma rencontre avec mon mari et notre mariage en 2008. Un cadeau surprise de la vie pour lequel je suis reconnaissante. »

Carole Dagher a le don d’ubiquité. Elle peut danser aux sons de la bossa nova au Brésil tout en écoutant de la musique celtique en Irlande ; fréquenter les Magyars de Hongrie en se faisant inviter par les peaux-rouges d’Amérique. L’écrivaine aime à voyager dans son imaginaire, rêver de mondes lointains sans avoir même à se déplacer, mais aussi rapprocher ces mondes-là en...

commentaires (5)

la fierté du Liban est son rayonnement culturel à travers le monde. Bravo et merci à Carole Dagher au parcours si impressionnant

CAMAYOU / INEOS

09 h 54, le 14 décembre 2021

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Commentaires (5)

  • la fierté du Liban est son rayonnement culturel à travers le monde. Bravo et merci à Carole Dagher au parcours si impressionnant

    CAMAYOU / INEOS

    09 h 54, le 14 décembre 2021

  • Merci, les amis ??. Très touchée. Salutations spéciales à Marie-Claude , mon amie de la fac !

    Carole Dagher

    15 h 02, le 13 décembre 2021

  • Magnifique! jai lu tout ses livres ...un mes préférés, Le Couvent de La lune

    Jack Gardner

    11 h 19, le 13 décembre 2021

  • Superbe hommage

    Tabet Ibrahim

    11 h 11, le 13 décembre 2021

  • BRAVO,Carole...mon amie des bancs de l université de droit a l USJ.

    Marie Claude

    10 h 01, le 13 décembre 2021

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