Critiques littéraires Coup de cœur

Nada Chaoul entre rire et tendresse

Nada Chaoul entre rire et tendresse

Clin d’œil de Nada Nassar Chaoul, L’Orient des Livres, 2021, 232 p.

On les avait lus, au fil des mois et des numéros, en y prenant le même plaisir qu’apporte la dégustation d’une gourmandise (les kilos en moins), ou les rendez-vous réguliers avec une copine malicieuse et pleine d’esprit avec qui on a plaisir à échanger. On les avait lus avec légèreté, et ils nous avaient fait sourire. On les retrouve à présent dans un livre, ces clins d’œil, accompagnés d’une savoureuse préface de Percy Kemp, toute en finesse et en pertinence, et de délicieux dessins de Zeina Abirached qui sait si bien croquer ici un geste, là une parole ou un son (oui, oui, elle sait restituer les sons, la diablesse !) et on s’aperçoit qu’on ne les lit plus de la même façon.

Quelque chose de nouveau se dessine à présent dans la juxtaposition des textes, leur organisation en thèmes, l’indication des années… Quelque chose qui a à voir avec l’observation sociologique d’une catégorie sociale, comme le fait si justement remarquer Percy Kemp, mais pas seulement. On y lit, courant dans l’ensemble du livre, une immense nostalgie pour un monde qui s’achève, pour un mode de vie, une culture, des valeurs, vivaces certes mais dont Nada Chaoul perçoit avec acuité le décalage avec les nouveaux usages de la vie globalisée qui est devenue la nôtre. Et avec la nostalgie se manifeste, derrière la mise en boîte, la dérision, la facétie, une immense tendresse. Dans un aéroport bondé de familles nombreuses venues attendre le voyageur qui rentre au pays, elle dit son désir de « partager avec les autres parents la joie des retrouvailles ». Devant le regard critique de ceux qui ont pris leurs distances avec le pays, ses usages, ses traditions, Nada Chaoul écrit que « devenant les parents de ce cher Liban, on le défend passionnément, aveuglément, sans objectivité aucune, camouflant ses faiblesses, mettant en avant la clémence de son climat et sa douceur de vivre à l’orientale ». Et si elle décrit les travers des domestiques sri-lankaises qui ont transformé la cuisine en « salle des marchés », accrochées en permanence à Viber, Facebook ou WhatsApp, elle décrit aussi Soma qui « trouve tout, s’occupe de tout et sait tout grâce au mystérieux réseau qu’elle forme avec ses compatriotes. Avec elle, on a un foyer même si on passe la journée au bureau ». Souvent, on le devine sous sa plume, il s’agit de rire pour ne pas pleurer, car on vit dans « un pays au passé houleux, sans gouvernement et sans avenir », que la jeunesse a déserté, et dont il va bientôt falloir vendre les meubles, comme le font les personnages de Tchekhov dans La Cerisaie.

L’amour du Liban est chevillé au corps de l’auteure, et même lorsqu’elle évoque la guerre et la vie sous les bombes, c’est pour en restituer des moments de bonheur. L’autre objet de son amour est la langue française à travers, par exemple, cet hommage à L’Orient-Le Jour dont les quatre pages « écrites à la hâte, sans doute à la lueur d’une bougie, avant de fuir un bombardement meurtrier étaient la preuve que nous n’étions pas seuls au monde, que les valeurs qu’on nous avait enseignées n’avaient pas encore tout à fait disparu et que le monde que nous avions connu pourrait un jour renaître, et en français ».

Les clins d’œil de Nada Chaoul livrent ainsi le pudique autoportrait d’une femme qui refuse de céder à la désillusion et la tristesse et pour ce faire, s’efforce de cultiver le bonheur et le rire. Pour notre plus grand plaisir.


Clin d’œil de Nada Nassar Chaoul, L’Orient des Livres, 2021, 232 p.On les avait lus, au fil des mois et des numéros, en y prenant le même plaisir qu’apporte la dégustation d’une gourmandise (les kilos en moins), ou les rendez-vous réguliers avec une copine malicieuse et pleine d’esprit avec qui on a plaisir à échanger. On les avait lus avec légèreté, et ils nous avaient fait...

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