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Société - Crise au Liban

Les prix des médicaments flambent, les Libanais pris de court

Sont concernés, les médicaments contre les maladies chroniques, les antidépresseurs et les tranquillisants, tout comme celui du lait pour enfants. Le ministre Abiad et d’autres responsables rappellent toutefois que des alternatives existent pour alléger la facture santé. 

Les prix des médicaments flambent, les Libanais pris de court

Malgré la flambée des prix, certains médicaments sont toujours difficilement trouvables au Liban. Photo d’archives João Soussa

« Ma mère a 89 ans, la facture mensuelle de ses médicaments s’élève désormais à 2 340 000 livres libanaises, alors qu’ils me coûtaient auparavant 900 000 LL. Comment font ceux dont le salaire ne dépasse pas les deux millions de livres ? » Les propos de cette Libanaise, qui a requis l’anonymat, résument la souffrance de millions de Libanais, après la levée soudaine d’une grande partie des subventions sur des médicaments jusque-là considérés comme intouchables, à l’instar de ceux prescrits pour traiter des maladies chroniques ou encore des antidépresseurs et des tranquillisants.

Le 9 novembre, le ministre de la Santé Firas Abiad avait annoncé que « les subventions sur les médicaments pour les maladies chroniques seront partiellement levées », mais que celles relatives aux produits contre le cancer, pour les dialyses, les maladies incurables et psychologiques, ou qui sont utilisés dans les hôpitaux, seraient maintenues.

Sous couvert d’anonymat, un pharmacien de Beyrouth explique à L’Orient-Le Jour que les prix ont soudain été multipliés par dix après la publication de la liste des prix par le ministre de la Santé mardi. En gros, le lait pour enfant n’est plus subventionné qu’à 50 % et les médicaments précités à 45 %. Même le lait pour enfants de moins d’un an n’a pas échappé à l’envolée des prix : de 13 000 LL en moyenne, il est passé à 95 000. Seuls les médicaments contre le cancer échappent encore à cette flambée des prix, selon lui. Même s’il ne s’agit pas encore d’une levée totale des subventions, ce nouvel épisode de la crise alourdit encore le fardeau qui pèse, depuis plus de deux ans maintenant, sur la population dans un Liban plongé dans une grave crise. 

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« Un militaire a appelé un confrère pour lui demander le prix d’une boîte de lait pour enfant deuxième âge, raconte un autre pharmacien à L’OLJ. Quand il lui a été répondu que le prix était de 245 000 livres, il a raccroché. Un peu plus tard, le père du militaire a rappelé le pharmacien, un ami de la famille. Il lui a annoncé que son fils avait décidé de déserter, ayant compris que sa solde ne lui servait plus à rien. »

Dans une pharmacie de Baabda, un client commande ses médicaments. Quand il apprend que sa facture dépasse les 300 000 livres, il s’étonne. « Qu’est-ce qui est si cher ? » demande-t-il au pharmacien. « Tout a renchéri d’un coup, nous n’y pouvons rien », répond ce dernier. Le client a payé la facture avant de sortir le visage grave. « Ce client a quand même décidé d’acheter ses médicaments, mais d’autres repartent sans rien », poursuit le pharmacien. D’autres encore demandent à n’acheter qu’un sachet, renonçant à acquérir toute une boîte.

Dans d’autres pharmacies, on raconte à L’OLJ que la plupart des clients ne se présentent même plus en personne, mais demandent les prix au téléphone. Très souvent, ils renoncent même à acheter des médicaments très essentiels, comme les antibiotiques par exemple, dont les prix ont également flambé. Dans toutes les pharmacies, on relève les réactions choquées des clients.

Pas une solution pour les pénuries
« Nous ne nous attendions pas à ce que les médicaments pour maladies chroniques, et surtout les tranquillisants et antidépresseurs, soient concernés par la levée des subventions, poursuit le pharmacien de Baabda. Prenez le Cypralex par exemple, il est passé de 28 750 à 172 000 LL d’un coup ! »

Le pire, c’est que cette levée partielle des subventions ne résout pas le problème des pénuries sur le marché. Les médicaments ne sont toujours pas disponibles dans les quantités nécessaires, assurent plusieurs pharmaciens. « Les prix actuels, avec la levée partielle des subventions, ne reflètent toujours pas les prix réels des médicaments suivant le taux du dollar sur le marché parallèle, explique un pharmacien. Or, les importateurs refusent de livrer leurs stocks tant que la banque centrale ne leur paie pas ce qu’elle leur doit, sachant que leurs fournisseurs à l’étranger exigent d’être payés directement et en dollars, n’ayant plus confiance dans le marché libanais. Le citoyen, lui, est pris entre deux feux. Les vrais responsables de cette catastrophe, ce sont les politiciens ! » s’emporte-t-il.

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À la question de savoir pourquoi la pénurie persiste alors que les prix ont grimpé et que les subventions ont été partiellement levées, Karim Gebara, président du syndicat des importateurs de médicaments, explique que « rien n’a vraiment changé ». « Le problème, c’est que les importations sont à l’arrêt depuis environ quatre mois, dit-il. La Banque du Liban n’a plus de budget pour les subventions, d’où le fait que le ministre de la Santé ait dû recourir à cette baisse partielle des subventions afin que le budget restant puisse tenir plus longtemps. »

Balayant les accusations de « stockage de médicaments dans les dépôts », M. Gebara insiste sur le fait que « les quantités actuellement en stock sont infinitésimales par rapport aux besoins du marché ». « Les maigres stocks qui nous restent, nous les écoulons toujours au prix ancien, c’est-à-dire à un dollar à 1 500 LL », assure-t-il. Avant d’ajouter : « Pour vendre au prix actuel fixé par le ministère, il nous faudra importer à nouveau et renflouer nos stocks. Pour cela, nous attendons les autorisations du ministère et de la BDL. Je crois que vu l’urgence de la situation, ils devraient les donner assez rapidement. Après cela, ce sera une question de semaines. » Pour sa part, la présidente du syndicat de l’industrie pharmaceutique au Liban, Carole Abi Karam, s’est engagée mercredi, au nom du secteur, à assurer aux Libanais des médicaments de qualité, à des prix abordables et de manière durable, offrant ainsi une alternative aux patients. Les usines locales produisent près de 700 médicaments pour les maladies chroniques répandues au Liban, et 500 autres ne requérant pas d’ordonnances médicales tels que les vitamines, a-t-elle rappelé.

Contre-attaque du ministre
Dans cette affaire, le ministre Firas Abiad a été très vite pris à partie par une population mécontente. Même Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur la pauvreté extrême et les droits de l’homme, qui a fait une tournée la semaine dernière au Liban, a tweeté sur l’affaire : « La récente levée des subventions sur les médicaments au Liban, qui n’a pas été accompagnée d’un plan pour aider les gens à s’y adapter, est une mesure aussi inopportune qu’irresponsable. Multiplier les prix par cinq ou par six accroîtra encore davantage la pression qui handicape déjà le système de santé. ».

Mercredi soir, le ministère de la Santé n’avait pas répondu aux sollicitations de L’Orient-Le Jour. M. Abiad s’est toutefois exprimé dans la matinée à la radio, un entretien au cours duquel ses réponses s’apparentaient davantage à une contre-attaque. Il a ainsi dénoncé « le stockage dans des dépôts, dans des pharmacies et dans les maisons », révélant que plusieurs perquisitions ont été effectuées mardi dernier dans des dépôts d’importateurs et dans des pharmacies. Il a confirmé que des médicaments qui coûtaient auparavant 7 à 8 000 LL sont désormais à 40 000 LL.

Le ministre a également martelé qu’il existe des alternatives locales ou moins chères aux médicaments importés de certains laboratoires. « Le pharmacien doit aider le patient à se diriger vers les génériques », a-t-il souligné. Concernant les médicaments génériques, notamment de fabrication libanaise, dont le prix n’a pas beaucoup varié, un des pharmaciens précités assure les conseiller à ses clients, mais précise qu’ils sont loin de couvrir toute la gamme de médicaments demandés.

Autre solution : le ministre a rappelé que plus de 450 médicaments toujours subventionnés se trouvent dans les centres de soins de santé primaire relevant du ministère dans les régions. Les Libanais doivent s’y inscrire le plus tôt possible, a-t-il insisté. Plus de 240 centres de soins de santé primaires répartis sur l’ensemble du territoire assurent des services de qualité allant de la prévention jusqu’au traitement. Ces centres assurent les médicaments des maladies chroniques (diabète, hypertension artérielle, maladies cardio-vasculaires…) et aiguës (troubles gastriques, maladies pulmonaires et dermatologiques, infections…) à tout résident, toutes nationalités, communautés et classes sociales confondues. Ces médicaments sont administrés dans le cadre de bouquets de services de santé. Ce sont des génériques fournis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) grâce à un soutien de l’Union européenne. Ils sont donc conformes aux normes fixées par l’OMS. « L’Unicef et l’ambassade des États-Unis ont livré 97 tonnes d’équipements médicaux qui seront distribués aux centres de soins primaires », a encore indiqué, mercredi, Firas Abiad. En ce qui concerne la pénurie qui se poursuit, le ministre s’est dit « prêt à ouvrir une ligne d’importation d’urgence, à condition de respecter les critères de sécurité publique ».Le Dr Charaf Abou Charaf, président de l’ordre des médecins, va dans le même sens que le ministre. « Il y a une solution à ce problème, et elle a déjà été discutée entre les ministères de la Santé et des Finances, et l’Organisation mondiale de la santé, affirme-t-il à L’Orient-Le Jour. Il faut convaincre les Libanais de fréquenter les centres de soins de santé primaire relevant du ministère, ainsi que les dispensaires, où l’on trouve les médicaments génériques et à prix moindre. Ils doivent également rechercher les génériques en pharmacie, dont l’efficacité est tout aussi prouvée que pour les marques auxquelles ils sont habitués. Des médicaments contre les maladies chroniques ou encore liés aux dialyses ont également été distribués aux hôpitaux. »

Le médecin fustige par ailleurs ce qu’il appelle « le chaos qui règne dans les pharmacies ». « On vend trop souvent les médicaments sans ordonnance, d’où le fait que les personnes qui en ont les moyens s’achètent plusieurs boîtes, tandis que les autres se retrouvent sans rien », lance-t-il.

Le Dr Abou Charaf assure aux Libanais qu’il n’y a aucune raison de se résigner à payer des factures exorbitantes de santé. « Dans les centres de soins de santé primaire, le patient peut débarquer avec une ordonnance de son médecin et se faire ouvrir un dossier, dit-il. D’une certaine façon, cela aidera à réguler le chaos que l’on observe actuellement. » 

« Ma mère a 89 ans, la facture mensuelle de ses médicaments s’élève désormais à 2 340 000 livres libanaises, alors qu’ils me coûtaient auparavant 900 000 LL. Comment font ceux dont le salaire ne dépasse pas les deux millions de livres ? » Les propos de cette Libanaise, qui a requis l’anonymat, résument la souffrance de millions de Libanais, après la levée soudaine d’une...

commentaires (3)

Je pense qu il n'y a pas de commentaires assez fort pour exprimer ce que vit le Libanais quotidienement, rendre la santé aussi chère est criminel

Christian Kammermann

20 h 37, le 19 novembre 2021

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Commentaires (3)

  • Je pense qu il n'y a pas de commentaires assez fort pour exprimer ce que vit le Libanais quotidienement, rendre la santé aussi chère est criminel

    Christian Kammermann

    20 h 37, le 19 novembre 2021

  • nouvel epilogue de l'incurie, l'inconscience et l'intelligence criminelle entre le cartel des medicaments & les responsables de la sante au Liban depuis une etrenite, qui avaient combattu a mort toute tentative d'importer des generiques. ONT ILS JAMAIS ETE INQUIETES CES ASSASSINS ? pas du tout , meme qu'un ministre de la sante avait choisi de se recuser parce que impuissant face a leur cartel.

    Gaby SIOUFI

    09 h 04, le 18 novembre 2021

  • Inacceptable. Criminel. Vite la désobéissance civile. Ne payons plus rien, ni taxes, ni services, notre argent est gloutonné par la mafia au pouvoir.

    Esber

    13 h 03, le 17 novembre 2021

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