À peine un mois. C’est le temps qu’il aura fallu pour que le gouvernement Mikati implose. Le Premier ministre, qui avait annoncé la formation de son cabinet le 10 septembre, après treize mois de blocage, était censé remettre le pays sur les rails. Les plus optimistes faisaient même état de la possibilité de trouver un accord avec le Fonds monétaire international avant « la fin de l’année ». Mais tout cela paraît désormais bien loin – même si le FMI a annoncé hier avoir entamé des discussions préparatoires avec le Liban. Le Conseil des ministres ne s’est pas réuni depuis le 12 octobre dernier, les ministres chiites ayant décidé de le boycotter tant que Tarek Bitar, le juge en charge de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth, ne sera pas écarté. À cela s’est ajoutée le 14 octobre la crise de Tayouné, où des affrontements ont opposé des sympathisants du tandem chiite à des éléments armés réputés proches des Forces libanaises. Puis s’y est imbriquée l’escalade saoudienne, après que le royaume a annoncé le 29 octobre la quasi-rupture de ses relations diplomatiques avec le pays du Cèdre.
Nagib Mikati est connu pour sa capacité à arrondir les angles les plus pointus. Mais le milliardaire de Tripoli est cette fois-ci confronté à un imbroglio de crise qui pourrait le contraindre à la démission. Pour l’instant, il exclut cette option. Du moins, officiellement. En visite à Glasgow pour assister à la COP26, le Premier ministre a pu trouver du soutien auprès de ses alliés. Pas question, pour eux, de laisser tomber le gouvernement après tous les efforts qui ont été menés pour le former. Le sujet de sa démission n’aurait même pas été abordé lors de ses entretiens avec le secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, et le président français, Emmanuel Macron, selon un diplomate occidental qui a requis l’anonymat. « Mikati a demandé à Macron de prendre contact avec les Saoudiens pour tenter de régler la crise, ce que le président a fait », confirme de son côté une source diplomatique française. Le magnat des Télécoms mise également sur le soutien de l’Égypte et du Qatar, deux pays qui ne sont pas alignés sur la position saoudienne vis-à-vis du Liban. À Glasgow, le Premier ministre est allé lui-même demander de l’aide au cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, afin que Doha joue le rôle de médiateur. Mais le Qatar, qui s’est « réconcilié » il y a quelques mois avec ses frères du Golfe, souhaite obtenir en amont un feu vert de l’Arabie saoudite et des assurances de la partie libanaise que les concessions nécessaires à la sortie de crise seront faites.
« Mikati veut la tête de Cordahi »
De retour mercredi à Beyrouth, Nagib Mikati a pu constater que le climat au sein de la capitale était pour une fois beaucoup plus glacial qu’à Glasgow. La crise est profonde et relève d’enjeux qui dépassent parfois ses prérogatives. Le ministre de l’Information, Georges Cordahi, qui a critiqué l’intervention saoudienne au Yémen dans une émission diffusée par al-Jazeera et réalisée avant qu’il n’entre au gouvernement, refuse de démissionner. S’il a conscience du fait que l’escalade du royaume n’est pas véritablement liée aux propos de l’ex-vedette de télévision, Nagib Mikati considère tout de même que sa démission est un premier pas nécessaire pour regagner la confiance de Riyad. Le ministre de l’Information doit « faire primer l’intérêt national et prendre la décision adéquate », a-t-il déclaré hier depuis le Grand Sérail, dans un nouvel appel implicite à son départ. L’urgence consiste à gagner du temps et à calmer le jeu. « Mikati veut la tête de Cordahi », confirme un proche du Premier ministre. « Il souhaite également relancer le gouvernement, comme la communauté internationale le lui a demandé », ajoute la source précitée. Lors de leur entretien, Emmanuel Macron a conseillé à Nagib Mikati de se « remettre au travail » pour convaincre les partenaires internationaux du sérieux du nouveau gouvernement, a appris L’OLJ auprès de la source diplomatique française précitée. L’annonce de la reprise des discussions avec le FMI semble s’inscrire dans cette logique.
Si le Premier ministre libanais n’obtient pas ces deux avancées, il menace de démissionner. « Mikati a fait passer le message à tous les intéressés », assure un de ses conseillers. Mais cette menace, celle d’un nouveau vide gouvernemental, suffira-t-elle à faire bouger les choses ? Rien n’est moins sûr pour le moment. Le puissant Hezbollah ne semble avoir aucune intention de lâcher le ministre de l’Information. « Le bloc refuse et condamne les ordres venus de l’extérieur concernant les mesures que doit prendre le gouvernement », a assuré hier le parti chiite dans un communiqué. « Le Hezbollah rejette catégoriquement la démission de Cordahi », confirme à L’OLJ un cadre du parti qui se défend toutefois de faire pression sur le ministre. Le parti de Hassan Nasrallah fait de cette affaire un symbole qui dépasse largement le Liban et ne veut surtout pas donner le sentiment qu’il cède aux desiderata de son ennemi saoudien. Déterminé à défendre sa mission jusqu’au bout, le Premier ministre a levé le ton hier contre la formation chiite, pour la première fois depuis sa nomination. « Le pays ne peut être gouverné par le langage du défi et de l’arrogance. Ceux qui pensent qu’ils peuvent imposer leur opinion par la force du blocage et de l’escalade verbale se trompent. Ceux qui croient pouvoir mener les Libanais vers des choix qui les éloignent de leur histoire et leur appartenance arabe et qui portent préjudice aux bonnes relations avec les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, se trompent aussi », a-t-il ajouté. Le bras de fer est entamé. Et le Hezbollah veut imposer ses conditions. « Il refuse de revenir aux séances du cabinet avant de trouver une solution à la question de l’enquête sur l’explosion du port », dit le cadre du parti chiite. Tarek Bitar a été une nouvelle fois dessaisi de l’enquête hier et les experts craignent que cette décision judiciaire l’écarte définitivement de l’affaire.
Amputé de la couverture saoudienne
Seule éclaircie au tableau pour le Premier ministre, le chef du Parlement Nabih Berry et le président de la République Michel Aoun sont plutôt de son côté. « Berry ne veut pas de problème avec le Golfe, mais il ne peut pas confronter le Hezbollah sur cette question », dit un proche du chef d’Amal. Ce dernier a toutefois informé M. Mikati, via le leader druze Walid Joumblatt, que les ministres d’Amal au sein du gouvernement ne claqueraient pas la porte en cas de démission de Georges Cordahi. Michel Aoun, de son côté, est favorable au départ du ministre, mais ne veut pas mener cette bataille en première ligne. Toutes ces affaires sont imbriquées, si bien que même si les ministres chiites cessent de boycotter le gouvernement, Nagib Mikati n’a pas intérêt à réunir le cabinet dans ces conditions. « Il ne peut pas s’afficher à côté de Cordahi, ce sera perçu comme une provocation par les Arabes », dit le proche de Mikati cité plus haut. « Dans tous les cas, Mikati veut repartir sur des bases saines après avoir trouvé un accord global qui préserve le gouvernement d’une nouvelle crise », ajoute la source.
Le Premier ministre est clairement sur la sellette. Celui qui affirmait au moment de sa nomination bénéficier de « garanties extérieures » se retrouve aujourd’hui confronté aux limites de celles-ci. Son gouvernement a bénéficié dès le départ d’un double appui, français et iranien, mais a été amputé de la couverture saoudienne. L’Arabie saoudite n’a pas vu d’un bon œil la formation d’un gouvernement qu’elle considère être une nouvelle fois sous la coupe du Hezbollah. « Mikati a essayé de rentrer en contact à trois reprises avec l’ambassadeur saoudien au Liban (Walid Boukhari). Sans succès », assure un diplomate occidental. La crise s’est accentuée après les déclarations de M. Cordahi qui ont conforté le royaume dans son analyse de la situation. Conscient qu’il lui sera très difficile de poursuivre sa mission sans le soutien des pays du Golfe, Nagib Mikati a ouvertement évoqué la possibilité de sa démission avec les autres barons sunnites. Si le chef du courant du Futur, Saad Hariri, continue de le soutenir, l’ancien Premier ministre Fouad Siniora considère qu’il doit rendre son tablier si M. Cordahi s’obstine à refuser de le faire. En 2012, Nagib Mikati avait attendu cinq mois après l’assassinat du général Wissam el-Hassan pour démissionner. Les circonstances sont différentes, et la communauté internationale tient cette fois-ci à ce qu’il reste, mais le Premier ministre est peut-être en train de répéter la même erreur : s’accrocher à un pouvoir qu’il a déjà perdu.
commentaires (14)
Mikati devrait sortir toutes les cordes de son arc comme le juge Bitar s'il souhaite mener sa mission: faire une assemblée de ministres et avancer le dossier des reformes et de l'audit, et l'enquête sans les chiites en nommant les remplaçants provisoires est pertinent quand le besoin du pays prime sur la constitution et les moutons chiites. On est plus en 2012.
Alors...
00 h 11, le 06 novembre 2021