Elles s’appellent Joy, Eva, Charlotte, Pénélope ou Anaïs... Elles sont toutes en courbes et rondeurs. L’allure libre et décorsetée des bonnes vivantes, elles évoquent fortement les fameuses silhouettes de Botero. Sauf qu’elles sont de plus petit format (entre 15 à 35 cm de hauteur), souvent dotées d’une paire d’ailes dans le dos et toujours affublées de pattes de chat. Ou, pour être plus exact, des pieds massifs du fameux Chat du dessinateur belge Guluck.
Inutile de préciser qu’elles dégagent par leur seule présence quelque chose d’éminemment sympathique et apaisant.
« Elles » sont la première cuvée de sculptures qu’expose Karine Hochar, une nouvelle artiste passée, avec une aisance déconcertante cette dernière année, des moules à cake au moulage du bronze. La jeune femme, qui concevait des gâteaux personnalisés dans son atelier pâtissier du quartier Saint-Nicolas à Achrafieh*, y aligne aujourd’hui ses savoureuses figures de femmes modelées dans l’argile et coulées dans du bronze de différentes patines.
Tout a commencé (il serait plus judicieux de dire: tout a repris) en mars dernier. Son commerce ne pouvant plus surmonter la crise économique, elle décide de baisser définitivement le rideau sur les couleurs et saveurs sucrées qui ont occupé une bonne tranche de sa vie pour revenir à sa passion première : l’art, la peinture et en particulier la sculpture, à laquelle Karine Hochar s’adonne, en toute discrétion, depuis très longtemps.
« J’ai grandi entre un grand-père peintre à ses heures perdues et une tante sculptrice (Andrée Fattal) qui m’ont transmis leur fibre artistique. Je dessine et peint depuis l’enfance. J’ai même réalisé des peintures sur meuble pour enfants et j’avais commencé à sculpter bien avant de me lancer dans la pâtisserie. Mais comme je suis totalement autodidacte, j’avais des appréhensions à montrer mes œuvres », confie la sculptrice, qui révèle par ailleurs travailler sans croquis préalable. « En me basant uniquement sur les expériences et les émotions qui s’enrichissent jusqu’à ce que le mouvement ultime soit trouvé et que chaque pièce prenne forme. »
Saveurs sucrées vs bronze patiné
« Et puis pendant 13 ans, je me suis totalement investie dans le travail de création pâtissière », ajoute-t-elle. « Comme je faisais tout moi-même, c’est-à-dire la production des gâteaux et leur entière décoration – ce qui était, en soi, une forme de sculpture –, je n’avais plus le temps de sculpter. Ce n’est que ces deux dernières années que, le confinement aidant, je m’y suis remise. »
Elle qui n’avait jamais vraiment voulu dévoiler auparavant ses œuvres au public se laisse convaincre ces derniers mois par Jacques Ouais, un ami galeriste, d’exposer quelques-unes de ses pièces chez lui. « Elles ont eu tellement de succès que ça m’a encouragée à monter ma première exposition en ouvrant les portes de mon atelier durant 3 jours. »
Réalisées en édition de 8 exemplaires chacune, la trentaine de sculptures que Karine Hochar présente jusqu’au samedi 6 novembre dans son atelier de la rue Tuéni, sont –
à l’exception d’un unique aigle noir (on ne fera pas de psychologie de comptoir !) – immanquablement féminines. Une prédilection marquée pour les filles d’Ève que la sculptrice explique par le fait qu’elle aime créer, « en modelant l’argile, des silhouettes toutes en courbes et volumes généreux, qui évoquent un monde serein et joyeux ».
Hommages à Marion et Beryte
Parallèlement à ses délicieuses créatures replètes et enjouées, l’artiste dévoile aussi, dans cette exposition, des pièces plus douces aux rondeurs atténuées par des surfaces légèrement angulaires. Des figures aux attitudes tendres et pensives, à travers lesquelles elle transmet une émotion plus mélancolique en lien avec le vécu tourmenté du pays du Cèdre. L’arbre symbolique du Liban revient d’ailleurs dans deux œuvres particulièrement touchantes. La première, baptisée Marion, représente une femme ange tenant dans ses bras un cèdre. Enrobée d’une patine gris clair, Karine Hochar l’a voulue un hommage à sa tante Marion Hochar Ibrahimchah, disparue dans la tragique explosion au port de Beyrouth. Et la seconde, intitulée Beryte, du nom de l’antique Beyrouth romaine, prend les traits d’une pleureuse, à genoux, serrant l’arbre éternel contre son cœur. Un bronze noir particulièrement éloquent…
*Dans l’ancien local de Cup’n Cake, quartier Saint-Nicolas à Achrafieh ; jusqu’au samedi 6 novembre, de 11h à 18 h
Très belle exposition. Les sculptures degagent beaucoup de sensibilité. Quel talent!
13 h 45, le 07 novembre 2021