La crise diplomatique qui a éclaté entre le Liban et les pays du Golfe a mis en exergue au cours du week-end écoulé l’escalade menée actuellement par le Hezbollah, probablement sous l’impulsion de Téhéran, sur les scènes locale et régionale. Une escalade qui semble aller jusqu’au point d’entraver toute solution qui permettrait de mettre fin à l’impasse. Vendredi dernier, l’Arabie saoudite avait annoncé des mesures sévères touchant le Liban après la publication récente de propos tenus en août dernier par l’actuel ministre de l’Information, Georges Cordahi, concernant la guerre au Yémen et l’implication des pays du Golfe dans ce conflit. Il avait alors pris fait et cause pour les rebelles houthis, soutenus par l’Iran.
Le gouvernement saoudien a ainsi décidé de rappeler son ambassadeur à Beyrouth, Walid Boukhari, pour consultations, de donner un délai de 48 heures à l’ambassadeur du Liban à Riyad, Fawzi Kabbara, pour quitter le royaume et de suspendre toutes les importations libanaises. D’autres monarchies du Golfe ont emboîté le pas partiellement à Riyad. Ainsi, Bahreïn a pris les mêmes mesures à l’égard de l’ambassadeur du Liban à Manama. De son côté, le Koweït a rappelé son ambassadeur à Beyrouth pour consultations et accordé 48 heures au chargé d’affaires libanais pour quitter son territoire.
Quant aux Émirats arabes unis, ils ont annoncé samedi le retrait de leurs diplomates à Beyrouth. « À la lumière des événements récents, les citoyens émiratis qui se trouvent au Liban sont appelés à rentrer aux Émirats le plus tôt possible », indique en outre le ministère émirati des Affaires étrangères dans un communiqué publié hier. Pour ce qui est du Qatar, récemment réconcilié avec l’Arabie, il a condamné, dans un communiqué publié samedi par son ministère des Affaires étrangères, les propos « irresponsables » de M. Cordahi. Doha a en outre appelé le gouvernement libanais à agir « pour surmonter les dissensions entre (pays) frères ». Le sultanat d’Oman s’est pour sa part abstenu de prendre des mesures de rétorsion à l’égard du Liban. Il a, en revanche, exhorté « les différentes parties à la retenue, à éviter l’escalade et à régler les différends à travers le dialogue et la compréhension ». Une position pour laquelle le chef de la diplomatie, Abdallah Bou Habib, a remercié son homologue omanais, Badr Bou Saïdi.
L’impasse diplomatique actuelle semble cependant dépasser de loin la personne de Georges Cordahi. Elle a pour cœur le rôle du Hezbollah sur la scène locale. C’est ce qui ressort des propos du chef de la diplomatie saoudienne, Fayçal ben Farhane. « Nous sommes parvenus à la conclusion que traiter avec le Liban et son gouvernement actuel n’est ni productif ni utile, en raison de la domination continue du Hezbollah sur la scène politique », a-t-il déclaré à la chaîne américaine CNBC. « Nous avons décidé que l’engagement n’est pas dans notre intérêt », a-t-il ajouté.
Cette prise de position intervient alors que plusieurs ténors du parti chiite se sont mobilisés durant le week-end pour défendre le ministre de l’Information. Il s’agit notamment de Hassan Fadlallah, député de Bint Jbeil, qui s’est opposé, dans un discours prononcé hier au Liban-Sud, contre toute « humiliation » du Liban de la part de l’Arabie saoudite, dans une allusion à une éventuelle démission forcée de M. Cordahi. « Nous n’accepterons pas que quiconque nous humilie. Nous refusons les pressions exercées sur le ministre de l’Information, qu’elles viennent de parties au sein du gouvernement ou de parties extérieures », a ajouté le député, affirmant que sa formation se tient aux côtés de M. Cordahi qui, selon lui, « n’a commis aucune erreur ». Le président du conseil exécutif du parti chiite, Hachem Safieddine, s’en est pris à l’Arabie saoudite l’accusant de provoquer sciemment la crise actuelle « pour dire aux Libanais que leur vie digne est entre ses mains et qu’elle est capable d’assiéger le pays ». Une nouvelle diatribe du Hezbollah contre Riyad devrait être attendue de la part du secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, qui doit s’exprimer ce soir à 20h30.
Contacts locaux et internationaux
En attendant, le Hezbollah s’est activement impliqué dans les contacts visant à faire barrage à toute démission du ministre de l’Information ou encore du gouvernement dans son ensemble. Selon des sources citées par notre chroniqueur Mounir Rabih, le Hezb aurait « conseillé » à M. Cordahi de ne pas rendre son tablier. D’où la position ferme du ministre sur ce plan. « Ma démission est exclue », a-t-il assuré hier dans une déclaration à la chaîne al-Jadeed, sans donner plus de détails. Reçu samedi par le patriarche maronite, Béchara Raï, le ministre n’avait pas annoncé sa volonté de jeter l’éponge. Plus tôt dans la journée, le chef de l’Église maronite avait reçu le leader des Marada, Sleiman Frangié, qui avait nommé Georges Cordahi au portefeuille de l’Information. À l’issue de la réunion, le leader maronite a naturellement pris fait et cause pour l’ex-vedette de la chaîne saoudienne MBC. « Je me tiens au côté de M. Cordahi en toutes circonstances », a assuré le leader chrétien, estimant que le ministre de l’Information était victime d’une « injustice ». M. Frangié a également fait savoir que Georges Cordahi a « proposé de démissionner depuis Bkerké ou le palais présidentiel de Baabda ». « Mais j’ai refusé parce que je lui ai dit que le président (Michel Aoun) va faire en sorte d’en récolter le prix auprès des Saoudiens », a soutenu M. Frangié, rappelant qu’il n’avait pas nommé M. Cordahi à son poste pour « le sacrifier au profit de quiconque ».
Ces propos reflètent sans doute la volonté du leader zghortiote de n’offrir aucun cadeau politique à Baabda, à quelques mois des législatives et à un an de la présidentielle. Le bras de fer politicien bat donc son plein alors que les relations du Liban avec le monde arabe sont en péril. Comble de l’ironie, Assaad Dergham, député du Akkar (Courant patriotique libre), a déclaré hier à al-Jadeed que le CPL a « laissé à M. Cordahi le soin de trancher » la question de la démission.
Ce qui est sûr pour le moment, c’est que le Premier ministre, Nagib Mikati, n’entend visiblement pas jeter l’éponge. Une décision qui s’explique par des contacts internationaux allant dans ce sens, et dans le cadre desquels s’inscrit un entretien qu’il devrait avoir aujourd’hui à Glasgow avec le président français, Emmanuel Macron, en marge de la COP26, comme le confie une source proche de M. Mikati à L’Orient-Le Jour.
De son côté, Baabda semble contempler de loin la crise diplomatique. Le chef de l’État, Michel Aoun, qui a affirmé samedi l’attachement du Liban à entretenir de bons rapports avec l’Arabie saoudite, avait formé une cellule de crise. Celle-ci avait tenu une première réunion samedi dernier au siège du ministère des AE, sous la présidence de Abdallah Bou Habib et en présence du chargé d’affaires américain à Beyrouth, Richard Michaels, Beyrouth ayant demandé la médiation de Washington pour résoudre la crise. Sans résultat jusqu’ici.
Fayçal ben Farhane al-Saoud dénonce « le contrôle exercé sur le Liban par les agents de l’Iran »
Le ministre saoudien des Affaires étrangères, l’émir Fayçal ben Farhane al-Saoud, est revenu hier à la charge au sujet de la crise au Liban, affirmant que « le problème au Liban va au-delà de propos tenus par un ministre et réside dans le contrôle qu’exercent les agents de l’Iran », comprendre le Hezbollah, sur le pays.
Vendredi, il avait exprimé son inquiétude face à la situation économique et politique au Liban, estimant que les affrontements meurtriers de jeudi à Tayouné entre des combattants armés du Hezbollah et des partisans des Forces libanaises « montrent que le pays a besoin d’un changement réel ».
« Les événements des deux derniers jours montrent que le Liban a besoin d’un changement réel et sérieux », a déclaré le chef de la diplomatie saoudienne lors d’une conférence de presse à Washington. Il a estimé que le pays devait « affronter ses problèmes structurels économiques, mais aussi politiques ». « Cela incombe à nul autre qu’aux dirigeants libanais, a-t-il insisté devant un groupe de journalistes. Ils doivent montrer qu’ils veulent vraiment sortir le Liban du marasme dans lequel il se trouve. Pour l’instant, nous n’avons pas constaté une telle détermination. »
commentaires (15)
Une seule solution pour le Liban: dénoncer officiellement la mainmise du Hezbollah sur le pays. Mais ion ne peut compter sur aucun des trois présidents pour avoir le courage de le faire.
Yves Prevost
07 h 44, le 02 novembre 2021