Mahdi Fleifel pensait avoir réalisé un petit documentaire intimiste. 92 minutes d’archives personnelles, de réflexions et de balades à Aïn el-Héloué, le camp de réfugiés de la banlieue de Saïda, au Liban-Sud, où ce fils de réfugiés palestiniens grandit dans les années 80. A World Not Ours était donc avant tout destiné à la famille et aux amis. Par choix, mais aussi par contrainte : à sa sortie en 2012, les autorités libanaises censurent le film qui met en scène de manière explicite les abus de l’armée à l’encontre des Palestiniens.
L’histoire se serait arrêtée là si un nouvel invité n’avait pas fait irruption sans prévenir. Netflix, la célèbre plateforme américaine de streaming, a lancé à la mi-octobre une nouvelle collection intitulée Histoires palestiniennes, rassemblant 32 films réalisés par des Palestiniens ou traitant de récits palestiniens. Sélectionné dans le cadre du programme, le documentaire de Mahdi Fleifel est depuis accessible à plus de 210 millions d’abonnés répartis dans plus de 190 pays à travers le monde… Une annonce en forme de pied de nez à tous ceux qui souhaitaient mettre le cinéma palestinien au placard, estiment certains commentateurs.
Annemarie Jacir, Elia Suleiman ou encore Basil Khalil : les grands noms du grand écran y côtoient d’autres émergents, comme Ameen Nayfeh ou Hind Shoufani. Alors que des productions israéliennes à succès, telles que Fawda ou Shtisel étaient disponibles depuis plusieurs années sur la plateforme, les films palestiniens étaient jusque-là absents ou mal répertoriés, et donc difficilement accessibles. « Ces films ont été réalisés il y a longtemps, mais le fait qu’un service de streaming comme Netflix les présente pour ce qu’ils sont – palestiniens – leur donne une visibilité monumentale », remarque Livia Alexander, directrice du département d’art visuel et d’histoire de l’art à l’Université Montclair (États-Unis).
Si la nouvelle a eu un écho à travers toute la région, c’est du côté de la jeunesse et de la diaspora palestiniennes que la plateforme basée en Californie a frappé le plus fort, faisant l’effet d’un miniséisme. « C’est une grande étape, une opportunité historique pour faire voyager nos récits à travers les continents. Nous avons enfin une chance de raconter notre propre histoire – nos histoires plurielles », explique, au téléphone, Abir el-Khatib, palestinienne issue d’une famille de réfugiés, résidant aujourd’hui en Jordanie.
Pourtant, beaucoup ont aussi conscience que cette annonce ne sera pas la panacée. « Il faudra plus pour que les choses évoluent sur le terrain », reconnaît Abir el-Khatib, pour qui le véritable changement ne saurait faire l’impasse du politique. « Aucune évolution n’est à elle seule capable de faire basculer l’opinion publique internationale, ajoute Livia Alexander, mais certains développements, comme cette nouvelle collection, peuvent être considérés comme des points d’inflexion : le signal d’un basculement en cours. »
« À la merci des autres »
La visibilité nouvelle de ces productions paraît d’autant plus importante que le cinéma palestinien, jeune et fragmenté, ne dispose pas des infrastructures traditionnelles de soutien à l’industrie. « Il a véritablement pris forme à partir de l’établissement de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1964. C’est à ce moment qu’un “cinéma de la révolution” émerge », remarque Hend Alawadhi, professeure à la Kuwait University. « Par rapport à d’autres, beaucoup de films palestiniens sont réalisés dans la diaspora, loin du terreau national », poursuit l’universitaire.
Les thèmes abordés, en lien avec la mémoire des évènements de 1948, l’exil ou les difficultés liées à l’occupation, semblent vouloir redonner une visibilité aux phénomènes et réalités invisibles, ou difficilement visibles, dans les médias étrangers. « Nous sommes un peuple en exil, faisant du cinéma en exil. Cela rend le financement encore plus difficile, nous sommes toujours à la merci des autres, des fonds occidentaux et de leur perception du monde », regrette Mahdi Fleifel.
L’ensemble de ces particularités font du cinéma palestinien un ensemble composite de productions individuelles, éparpillées à travers les pays et évoluant sans cadre institutionnel. « Jacir, Suleiman… tous sont des réalisateurs extraordinaires. Mais ils ne constituent pas une industrie à proprement parler, dans le sens de ce qui existe ailleurs : des exemples certes brillants, mais ce sont des individus », observe Abir el-Khatib.
En pesant sur les perceptions et en créant de nouveaux intérêts, l’arrivée en ligne des 32 œuvres pourrait faire bouger les choses, notamment en « informant le public sur ce que cela signifie d’être Palestinien », estime Hend Alawadhi. D’autant que la décision de Netflix intervient quelques mois après les évènements du printemps 2021 à Jérusalem et à Gaza, au cours desquels l’opinion internationale s’est émue des violences subies par les Palestiniens. Tout cela « indique qu’il y a un glissement, même balbutiant, au sein de l’opinion publique américaine vis-à-vis du conflit israélo-palestinien », explique Livia Alexander. « Nous avons commencé à l’observer en mai dernier, lors des violences à Jérusalem suite aux évictions à Cheikh Jarrah et aux prises d’assaut de la mosquée al-Aqsa, à Jérusalem, par les forces israéliennes – c’était la première fois que des condamnations des actions israéliennes et des manifestations propalestiniennes aux États-Unis étaient retransmises en direct sur les écrans lors du journal télévisé du soir », poursuit cette dernière.
Au-delà des changements de perception, les acteurs du secteur espèrent surtout que ces évolutions ouvrent la porte à de nouvelles opportunités de financement. « Netflix a un budget colossal, et il serait intéressant de voir si la plateforme a l’intention de commissionner des films spécialement produits in-house », remarque Hend Alawadhi. La décision du géant du streaming pourrait également inciter d’autres plateformes à faire de même, en incluant des films palestiniens ou en proposant des fonds de financement pour du contenu original.
commentaires (3)
I applaud this article for shedding light on the gems of Palestinian cinema recently made available for streaming on Netflix. It is unfortunate that OLJ has decided to publish comments by readers that are clearly racist and discriminatory: "Palestinians are the enemy"; "Chiites only deserve to hold low-income jobs such as picking up luggage at the airport". We need to enact education reforms and implement civic education in our schools that promote human rights, fairness, justice, and equality among people of all sects, ethnicities, and nationalities. Syrian and Palestinian refugees are victims and not the enemy. The novelty in the recent economic collapse in Lebanon is that Lebanese have also become victims. We need to fight back against the real enemy, in this case, the elite political class, to reclaim and rebuild our country.
Mireille Kang
22 h 33, le 25 octobre 2021