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Culture - Exposition

Pour Saleh Barakat, aujourd’hui plus que jamais, « The Show Must Go On »

Des œuvres spectaculaires ! Comme un pied de nez à la sinistrose ambiante et à tous les hiboux de mauvais augure qui proclament Beyrouth ville morte... Voici ce que vous propose de découvrir le galeriste dans son espace éponyme de la rue Justinien.

Pour Saleh Barakat, aujourd’hui plus que jamais, « The Show Must Go On »

« The Wave » de Katanani (200 x 190 x 100 cm ; 2021). Photo DR

Il les a choisies pour leur démesure. Pour leurs dimensions inaccoutumées qui s’accordent avec les temps inhabituels que nous traversons, pourrait-on avancer si l’on voulait philosopher. En réalité, il les a choisies tout simplement pour en jeter plein la vue à ceux qui disent la scène artistique beyrouthine finie. Pour leur prouver qu’il y aura toujours à Beyrouth et chez ses artistes matière à éblouir et à fasciner !


« Beit Beirut », acrylique sur toile libre de Ayman Baalbaki (407 x 214 cm ; 2015), ouvre la spectaculaire exposition à la galerie Saleh Barakat. Photo DR

« Au cours des derniers mois, j’ai tellement senti la déprime et l’abattement des gens autour de moi que j’ai voulu, clairement et consciemment, leur offrir comme un bref moment de répit dans le quotidien sombre et préoccupant où nos vies sont plongées. À travers ces œuvres spectaculaires qui provoquent l’émerveillement, je tenais aussi à affirmer qu’aujourd’hui plus que jamais, The Show Must Go On. D’où le titre de l’exposition », indique Saleh Barakat qui reste convaincu « que la seule manière de combattre la déliquescence du pays, c’est de persister, chacun dans son domaine, à faire ce qu’il sait faire le mieux ». Pour sa part, ce sont les expositions de belle envergure qu’il s’évertue à présenter, en dépit de tous les aléas, comme autant d’actes de résistance d’un galeriste attaché à préserver à l’art libanais sa place centrale dans la région.

D’ailleurs, si l’idée de départ de Saleh Barakat était d’organiser une exposition collective rassemblant uniquement de très grandes œuvres, la thématique beyrouthine s’est rapidement imposée à lui au fil des pièces récoltées auprès des artistes. Comme si ces derniers avaient d’un commun accord consacré les formats gigantesques de leurs toiles et (dans une moindre mesure) de leurs sculptures à la représentation, voire la célébration même dans sa déchéance actuelle, de cette ville captivante et au destin tragique…


Ayman Baalbaki, Abdel Rahman Katanani : deux visions de la monumentalité... Photo DR

Une expérience de la monumentalité

Une expression puissante, forcément en lien avec la mémoire collective, sans pour autant verser dans la nostalgie d’avant-guerre, se dégage ainsi de la majorité des pièces qui occupent jusqu’au 20 novembre le vaste espace de la Saleh Barakat Gallery*.

À commencer par l’immense Beit Beirut d’Ayman Baalbacki. Une acrylique sur toile libre (407 x 214 cm ; 2015) reproduisant d’une touche énergique la façade criblée et cerclée d’échafaudages du célèbre bâtiment devenu, post-guerre, le musée emblématique des fractures et des divisions passées de la ville…

Si cette flamboyante peinture saute d’emblée aux yeux du visiteur, c’est une œuvre plus discrète placée à l’entrée de l’exposition qui en ouvre le parcours. Il s’agit du portrait de Firas Dahwish, qui a été durant 22 ans l’un des plus fidèles collaborateurs du galeriste avant de s’inscrire brutalement sur la liste des victimes de la tragique double explosion au port le 4 août 2020. Une délicate dédicace exécutée en noir sur blanc par la talentueuse Hala Ezzeddine en hommage au jeune homme auquel est dédiée cette exposition « aussi belle que son âme », signale avec émotion Saleh Barakat.

Certes, avec seulement onze pièces, le parcours de cette exposition n’est pas chargé. Il propose en revanche aux visiteurs une expérience tout aussi émouvante qu’impressionnante de la monumentalité. Et cela à travers des œuvres véritablement choisies, signées par onze des plus fameux artistes contemporains de l’écurie du galeriste beyrouthin.


Les murs surdimensionnés de la galerie Saleh Barakat accueillent des œuvres monumentales. Photo DR

Beyrouth encore et toujours...

Des pièces picturales et sculpturales qui interpellent tout autant par la profondeur de leur discours sous-jacent que par l’ampleur de leurs dimensions. Car la plupart, réalisées au cours de ces deux dernières années, renvoient le spectateur à la situation actuelle du pays du Cèdre…Et de sa capitale fracassée par les désastres successifs ainsi que la dépeignent Hala Shoucair dans une acrylique sur toile ; Ziad Abillama à travers une installation de béton et de fer rouillé ; ou encore Serwan Baran dans son immense scène de déblayage des débris de a double explosion à Mar Mikhaël (acrylique sur toile ; 440 x 175 cm ; 2020).

Une terre devenue un Bourbier dans lequel s’enlisent ses habitants, ainsi que semble l’évoquer Nadia Saffieddine dans une huile sur toile aux couleurs brunes et ocre … Et qui, d’autre part, n’offre plus qu’un horizon noir traversé de lignes incandescentes comme le laisse entrevoir le Beirut Red Sky de Hala Ezzeddine (acrylique sur toile, 200 x 200 cm ; 2021).

Un pays et une ville engloutis par cette douloureuse vague de feu et de fer symbolisée par la magnifique Wave de Abdel Rahman Katanani, sculpture en fil barbelé (200 x 190 x 100 cm ; 2021). Et où le cri des martyrs se fige comme un monument muet, en l’occurrence celui des martyrs de la place du même nom, revisité par le pinceau enflammé de Tagreed Darghouth, ou encore à 6h09 min, heure des anges traduite en sculpture par Hady Sy.

Un Beyrouth aux souvenirs des belles nuits éclairées sur lesquelles Oussama Baalbacki revient dans un sublime panorama de 2 m 50 x 4 m, traité à l’acrylique sur toile comme un arrêt sur image… Ces arrêts de vie que la sculptrice Jinane Makki Bacho figure, pour sa part, à travers la reproduction en acier d’un Bourj el-Murr (176 x 35 x 25 cm) à la construction éternellement inachevée…

Pour mémoire

Saleh Barakat, gardien de l’identité levantine

Une ville qu’on quitte en emportant ses oripeaux de souvenirs et de bonheur comme semble y faire allusion Saïd Baalbacki dans son huile intitulée Heap ou comme l’illustre Anas el-Braehe dans sa toile représentant des migrants … Mais une ville à laquelle on revient toujours, attiré par sa perpétuelle renaissance de sous les décombres. Une ville belle et impressionnante comme un obus paré de mille éclats de débris de verre (sculpture signée Katya Traboulsi) et toujours célébrée par ses artistes. À l’instar de Hiba Kalache qui lui déclare sa flamme dans I Love You Because…, un gigantesque poème tracé à l’encre et à l’acrylique sur papier et composant 4 éclatants panneaux (240 x 120 cm chacun) placés sous vitre.

Pour toutes ces raisons, The Show Must Go On...

* « The Show Must Go On », Saleh Barakat Gallery, rue Justinien, secteur Clemenceau, jusqu’au 20 novembre. Tél. : 01- 365615.

Il les a choisies pour leur démesure. Pour leurs dimensions inaccoutumées qui s’accordent avec les temps inhabituels que nous traversons, pourrait-on avancer si l’on voulait philosopher. En réalité, il les a choisies tout simplement pour en jeter plein la vue à ceux qui disent la scène artistique beyrouthine finie. Pour leur prouver qu’il y aura toujours à Beyrouth et chez ses...

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