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Culture - Entretien

Saleh Barakat, gardien de l’identité levantine

Alors qu’il fête les 30 ans de son espace Agial sis rue Abdel Aziz (Hamra), le galeriste raconte avec beaucoup de sincérité son travail, ses zones d’ombre comme ses moments de grande satisfaction, dévoilant une personnalité aussi passionnée que profondément attachante.


Saleh Barakat, gardien de l’identité levantine

Saleh Barakat : « Pour mener à bien ma mission, j’ai mis au point un programme étalé sur trois quinquennaux. » ©Sueraya Shaheen

Il a l’âge de la raison ou du moins celui de ses galeries plantées au cœur de Beyrouth, devenues sous sa direction de véritables institutions artistiques : Agial, rue Abdel Aziz (Hamra) et Saleh Barakat Gallery, un espace secteur Clemenceau de 900 m² inauguré en 2016.

Fondée en 1991, la galerie Agial est inaugurée le 14 mai par une exposition dédiée aux sculptures de l’artiste Sami Rifaï. Aujourd’hui, pour célébrer ses 30 ans d’existence sur le marché libanais, 150 œuvres issues des archives ainsi que divers catalogues d’expositions sont sélectionnés et mis à la disposition du public à l’espace Saleh Barakat Gallery, afin de ne jamais oublier l’importance des artistes dans la réécriture de l’histoire de l’art de cette partie du monde, le Levant. Mû par sa passion, son énergie, sa détermination et son intérêt grandissant pour les artistes libanais d’abord, ceux du monde arabe ensuite, le galeriste a mené sa barque avec un regard curieux, un sens de la mesure et en réflexion de l’évolution du monde artistique, de la nature et de la fonction tant de l’œuvre d’art elle-même que de l’artiste qui lui donne vie. Saleh Barakat n’a jamais hésité à introduire du sang neuf dans son écurie. En l’espace de quelques années, il a réussi à s’imposer comme l’une des personnalités dans la sphère artistique libanaise. L’art est au confluent de tout ce qu’il a toujours aimé et les artistes dont il assure le rayonnement sur les murs de ses galeries sont sa seconde famille. Fidèle à certains principes que les évolutions du marché de l’art bousculent souvent, il accorde une attention particulière à la qualité des œuvres, un attachement profond à la vocation de la galerie d’accompagner ses artistes sur la durée, une attitude de large ouverture, de conseil et d’accueil en direction des collectionneurs. Pour lui, la galerie est un lieu de rencontres matérielles et humaines. Son métier est là pour transmettre, pour désinhiber le public et démocratiser l’art. Un galeriste comme un ouvrier de l’ombre, un porte-voix et un traducteur, pour magnifier l’art et faire en sorte que la musique de l’œuvre continue de résonner.


Les archives et la collection de la galerie Agial exposées dans le grand espace de la Saleh Barakat Gallery. Photos DR

Comment Saleh Barakat est-il devenu galeriste ?

Je suis issu d’une famille qui a toujours œuvré pour la collectivité. Mon père, très attaché au pays, travaillait dans le domaine social. Il fut un temps où j’étais attiré par le domaine de l’impression. C’était l’époque où les imprimantes 3D faisaient leur première apparition. J’ai longtemps hésité, j’avais 22 ans. La guerre n’avait pas fini de faire rage et les galeries à Beyrouth avaient toutes fermé leurs portes, mais deux galeries dans la région de Jounieh résistaient encore. Alors pour servir l’art libanais, apporter une nouvelle image et ouvrir une nouvelle page à l’histoire de l’art en train de se faire, j’ai décidé d’embrasser cet univers et d’inaugurer ma première galerie Agial. J’ai beaucoup regardé, observé et lu pour m’imprégner de ce monde. J’ai découvert un univers enivrant, l’art est devenu une obsession, et devenir galeriste une certitude. Pour mener à bien ma mission, j’ai mis au point un programme étalé sur trois quinquennaux. Dans les premières cinq années, il fallait apprendre le métier, dans un deuxième temps il fallait m’installer sur le marché local et dans la troisième tranche, je devais m’exporter.


Cent cinquante œuvres ainsi que divers catalogues d’expositions racontent un pan de l’histoire de l’art au Levant.

Quelles sont les exigences incontournables pour réussir dans ce métier ?

D’abord il faut être passionné d’art, ensuite il faut une grande connaissance. Se plonger dans l’histoire de l’art, les théories, les différentes pratiques, les mouvements et ne jamais arrêter de se documenter. Ma bibliothèque est mon outil le plus important, elle est probablement aujourd’hui la plus complète par rapport à l’art du Liban et de la région. Le relationnel et la communication avec les artistes et les collectionneurs sont primordiaux aussi. Il faut du temps et de la patience pour créer un lien fort entre le galeriste et l’artiste, afin que la collaboration soit fructueuse. C’est tout un cheminement, entre le moment où l’on effleure un travail, car regarder un dossier c’est effleurer le travail, et la confirmation des attentes. L’art est un absolu et une rage que la création fait entendre. Il faut savoir être proche et distant à la fois.

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Qu’est-ce qui vous anime lorsque vous allez à la recherche de talents et selon quels critères faites-vous votre choix ?

Je n’applique pas de critères particuliers, car chaque rencontre est différente. Ce qui m’intéresse lorsque je fais la connaissance d’un jeune artiste, c’est de parler avec lui, de voir le travail produit et de sentir qu’il y a des promesses et que ces promesses seront tenues. Mes choix s’opèrent en fonction de mes connaissances en art et de ce que je souhaite ajouter au paysage artistique, en espérant bien sûr que l’artiste soit un jour reconnu. Ma mission est de braquer les projecteurs sur les artistes du Liban et de la région du Levant, et les porter afin qu’un jour ils aient un rôle important à jouer dans l’histoire de l’art.

Quel est le concept qui caractérise vos galeries ?

Depuis le premier jour, j’ai choisi de défendre les artistes modernes et contemporains du Liban et du Levant en général. J’ai particulièrement défendu la discipline de la peinture qui émane de Beyrouth, même pendant les années où l’on croyait que la peinture était morte. Je m’intéresse particulièrement aux artistes qui respectent la pratique de l’art dans le sens académique et classique.

Quelles ont été les rencontres déterminantes durant votre parcours ?

Certains artistes avec qui j’ai eus une très bonne communication ont nourri mon désir d’aller toujours plus loin. Samir Sayegh, Nabil Nahas, le galeriste Waddah Faris et bien sûr Ayman Baalbaki, avec qui j’avais de longues conversations sur la pensée artistique. Pour avoir cru en lui, je l’ai beaucoup soutenu. Je ne le regrette pas.

Votre première émotion artistique ?

J’avais 10 ans, nous étions à Paris et ma mère était enceinte de ma sœur. Partis pour visiter le musée du Louvre, ma mère prise de fatigue était restée se reposer dans un café. Je n’allais pas abandonner et décidais de faire la visite tout seul. J’ai parcouru le Louvre et ses labyrinthes la peur au ventre, mais il me fallait voir La Joconde. Mon premier rendez-vous avec l’art en solitaire était très émouvant.

L’expérience la plus enrichissante ?

Mon expérience de galeriste a toujours été éclairée par ma complicité avec les artistes.

J’ai vécu avec chacun d’entre eux des expériences uniques. Les artistes vous élèvent et vous permettent de voir le monde autrement. Mais mon expérience la plus inédite reste probablement ma rencontre avec Abdel Rahman Katanani dans les camps de Sabra et Chatila, où je le regardais travailler dans des conditions très difficiles pour enfin le voir réussir à l’international.

L’expérience la plus difficile ?

La perte suite à l’explosion du 4 août 2020 de Firas Dahwish, mon collaborateur le plus proche et mon ombre durant 22 ans. C’est un deuil que je porterai toute ma vie.

Combien de temps a-t-il fallu pour réussir à vous imposer sur le marché?

Au départ, j’apprenais les techniques : comment reconnaître une peinture à l’huile d’une peinture à l’acrylique ; me familiariser avec l’aquarelle et les mixed media ; comment faire la différence entre un faux et une œuvre authentique. Dans le deuxième quinquennat, je commençais à m’intéresser aux artistes irakiens, palestiniens, syriens, arabes en général. En 1999, nous avons participé, la galerie Janine Rubeiz et moi, à Europe Art, une foire internationale à Genève dans une rétrospective sur 40 ans d’art au Liban. C’était une des premières fois où ma galerie se démarquait avec une certaine notoriété.

Comment décririez-vous le public libanais ?

Dans le monde arabe, c’est le public qui s’intéresse le plus à l’art, le plus averti. Les collectionneurs et les artistes libanais sont toujours très présents dans les foires. Compte tenu de la petite superficie du Liban, nous restons le peuple le plus sensible et le plus concerné par l’évolution de l’art dans le monde.

Pourquoi l’art est-il essentiel à votre avis ?

La beauté est le point culminant du travail sur soi, de l’éducation de la civilisation. Il détermine le développement d’une société et l’appréciation de cette beauté, et reste l’indice ultime de la culture.

Un seul mot pour vous décrire.

Je suis un vrai passionné d’art et aime à penser que je suis le gardien de l’identité multiple, levantine, plurielle, multiconfessionnelle, ouverte et tolérante.

Votre état d’esprit actuel.

Beaucoup de confusions, celles de voir mon pays s’effondrer, un projet de 30 ans voué peut-être à prendre fin. Sauf que le Liban, sur 3 000 ans d’histoire, a vécu des milliers de crises et les a toutes surmontées. Alors, il ne nous reste plus qu’à persister dans notre volonté de combattre et résister une fois de plus.

Il a l’âge de la raison ou du moins celui de ses galeries plantées au cœur de Beyrouth, devenues sous sa direction de véritables institutions artistiques : Agial, rue Abdel Aziz (Hamra) et Saleh Barakat Gallery, un espace secteur Clemenceau de 900 m² inauguré en 2016. Fondée en 1991, la galerie Agial est inaugurée le 14 mai par une exposition dédiée aux sculptures de...

commentaires (1)

MERCi ,SALEH !

Marie Claude

09 h 36, le 29 août 2021

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Commentaires (1)

  • MERCi ,SALEH !

    Marie Claude

    09 h 36, le 29 août 2021

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