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Nos Lecteurs ont la Parole

Rétrospective historique de l’éducation au Liban

De tout temps, les Libanais se sont distingués dans le monde par leur esprit libéral et versatile. Ils possèdent une densité intellectuelle remarquable qui leur permet de déployer fièrement leurs ailes dans diverses professions à travers les quatre coins de la planète. Mieux que quiconque, ils jonglent avec les langues et se positionnent singulièrement comme un trait d’union entre des cultures hétérogènes. Cette prouesse éclectique d’être des citoyens du monde est le fruit d’une éducation intrinsèquement riche qui s’étend sur de nombreuses décennies. Une brève rétrospective historique s’impose pour comprendre la genèse de l’éducation au Liban. Tout débute en 1536 lorsqu’une alliance stratégique entre le roi François Ier et le souverain Soliman le Magnifique octroie à la France le privilège de commercer librement dans tous les ports ottomans. Cette entente, une première entre un empire chrétien et un empire non chrétien, confère au roi de France le rôle de protecteur officiel et exclusif des chrétiens d’Orient. Dans la foulée de ce pacte, qui perdure étonnamment durant plusieurs siècles, des congrégations catholiques (comme les jésuites, les capucins, les lazaristes, les dominicains, les carmes et d’autres) débarquent de façon concomitante dans la région du Levant pour construire des églises et fonder des monastères. C’est aussi dans ce contexte favorable que le pape Grégoire XIII fonde le Collège maronite de Rome en 1585. Des jeunes gens du Mont-Liban se rendent à Rome pour acquérir une formation religieuse et intellectuelle. Ils retournent ensuite au pays pour assurer des fonctions au sein du patriarcat ou pour fonder des écoles religieuses. Grâce à cet échange religieux et culturel, une fenêtre sur le Levant s’ouvre à partir de l’Occident.

Cependant, il faut attendre le XIXe siècle pour que le système éducatif puisse enfin prendre son essor dans les territoires sous l’emprise de l’Empire ottoman. En 1846, l’État ottoman établit un conseil d’éducation générale. En 1869, une loi spéciale relative à l’éducation est édictée par les Ottomans pour distinguer entre école « publique », établie et gérée par l’État, et école « privée », gérée par des missions ou des individuels. Ces initiatives pédagogiques favorisent le développement du secteur d’éducation privée et communautaire.

En 1860, un conflit sanglant oppose les druzes aux maronites dans le Mont-Liban, culminant avec le massacre de nombreux chrétiens. Moult familles chrétiennes trouvent refuge dans les écoles et dispensaires des congrégations catholiques. De surcroît, un corps expéditionnaire français débarque à Beyrouth afin de mettre un terme aux massacres. Aussi, des mesures administratives sérieuses sont mises en jeu sous l’impulsion des forces occidentales pour l’amélioration du sort des populations chrétiennes, tous rites confondus, dans l’Empire ottoman. C’est dans ce contexte de protection des chrétiens orientaux que les missions européennes à vocation pédagogique déferlent par vagues régulières dans la région du Levant. Les Ottomans, avides de modernisation, laissent le champ libre aux missions catholiques chrétiennes d’outre-mer. En outre, l’implication directe et flagrante des puissances occidentales dans les affaires de l’Empire ottoman octroie aux missions catholiques une grande marge de liberté. Des écoles sont fondées par les couvents, notamment à Ehden, Achqout, Baskinta et Beit Chabab.

Dans la foulée de cette expansion des congrégations catholiques, les missionnaires britanniques obtiennent des Ottomans l’autorisation d’ouvrir des écoles au Liban. Les missions américaines protestantes (connues sous le nom de « quakers ») en profitent pour s’implanter dans la région car elles sont détentrices du passeport britannique. D’autres congrégations aussi déferlent dans la région, comme par exemple les missions orthodoxes soutenues par la Russie. Toutefois, pour les missions catholiques francophones de la région, le grand vilain est l’intrus anglo-saxon et, ô sacrilège, de surcroît protestant.

Les différentes fractions concurrentes catholiques (comme, par exemple, les jésuites et les lazaristes) décident alors d’enterrer leurs haches de guerre afin de présenter un front commun face au grand importun protestant. Il s’ensuit une guerre d’influence pédagogique entre les missions protestantes et les missions catholiques. Chaque fois que les missions protestantes fondent une école dans une région, les missions catholiques répliquent promptement en ouvrant un établissement scolaire concurrentiel dans la même zone, et vice versa.

Supplantés dans le domaine scolaire par les catholiques francophones, les « quakers » décident alors de changer drastiquement de stratégie. Ils focalisent leur effort sur l’enseignement supérieur. Sous l’impulsion du révérend Daniel Bliss, le Syrian Protestant College ouvre ses portes en 1866 à Beyrouth (cette institution deviendra l’Université américaine de Beyrouth). Quelques années plus tard, en 1875, les jésuites déménagent leur séminaire-collège de Ghazir à Beyrouth pour en faire l’Université Saint-Joseph. Cette concurrence académique farouche entre protestants anglo-saxons et catholiques francophones contribue au foisonnement intellectuel et culturel du Liban. Beyrouth devient ainsi le noyau culturel de la région.

L’effet de la Première Guerre mondiale est tragique pour le Liban. En 1915, les gens meurent de faim, succombent aux maladies, décèdent à cause du froid ou périssent par manque d’hygiène. Une grande composante de la population ne tarde pas à émigrer massivement vers d’autres horizons plus cléments, laissant sur les lieux du drame une fragile cohorte de survivants. Dans ce climat délétère, nombreux sont les établissements académiques qui se voient contraints de fermer leurs portes par force ou par incapacité.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le régime ottoman (l’homme malade de l’Europe) s’effondre, mettant ainsi un terme à un empire qui aura duré 400 ans. La France prend la relève au Liban. Le pays mandataire s’attelle à la tâche de restaurer le réseau scolaire ainsi que l’infrastructure du pays dans un paysage de grande désolation. En 1943, alors que la Seconde Guerre mondiale fait encore rage, le Liban obtient son indépendance de la France. La jeune République libanaise prend ainsi possession d’un réseau impressionnant de plus de 400 écoles francophones de très grande qualité pédagogique, bel héritage en perspective d’un mandat français somme toute éphémère.

Jusqu’à nos jours, les écoles privées libanaises continuent de se positionner comme un vecteur puissant de pédagogie performante. De même, les établissements d’enseignement supérieurs continuent d’aiguiser la fierté nationale. Dans le dernier classement de la Q.S. World University Ranking 2022, trois institutions académiques libanaises peuvent se targuer d’être parmi les 540 meilleures universités de ce monde. Elles sont, par ordre d’importance, l’Université américaine de Beyrouth, l’Université de Balamand et l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. De plus, ces institutions continuent inlassablement leur cheminement vers le haut, malgré une conjoncture socio-économique très difficile et très complexe. C’est dans ce contexte de progrès pédagogique considérable qu’une lueur d’espoir continue de briller dans les heures les plus sombres du pays. Incontestablement, l’avenir du pays appartient aux jeunes.

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De tout temps, les Libanais se sont distingués dans le monde par leur esprit libéral et versatile. Ils possèdent une densité intellectuelle remarquable qui leur permet de déployer fièrement leurs ailes dans diverses professions à travers les quatre coins de la planète. Mieux que quiconque, ils jonglent avec les langues et se positionnent singulièrement comme un trait d’union entre des...

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