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Culture - Résidence d’artistes

Quand des artistes du monde entier se retrouvent dans une vieille maison, à Hammana

L’élégante demeure aux volets bleus sur les hauteurs à l’est de Beyrouth accueille depuis quinze jours une pépinière d’artistes francophones venus du monde entier pour échanger autour de leurs pratiques théâtrales, et affûter leurs sensibilités créatrices.

Quand des artistes du monde entier se retrouvent dans une vieille maison, à Hammana

« À Hammana Artist House, on a créé un territoire en commun, un territoire de création, plein de rêve et de fantaisie, mais aussi d’amour », témoignent les artistes en résidence. Photo Walid Saliba/Hammana Artist House

Depuis presque deux semaines, le village de Hammana, à 26 kilomètres à l’est de Beyrouth, grouille d’une activité inhabituelle en cette période hors saison estivale.

C’est que Hammana Artist House, grande maison à l’architecture traditionnelle libanaise et aux volets bleus éclatants, ne désemplit pas. Venant de pays francophones (France, Belgique, Luxembourg, Canada, Mali, Congo, Bénin), 16 artistes du théâtre (auteurs, comédiens, metteurs en scène) y résident depuis le 28 septembre sous l’encadrement des artistes Aurélien Zouki et Sonia Ristic.

Itinérances, voyager léger et s’abreuver d’ailleurs est le titre de la proposition artistique sur laquelle se penchent les invités jusqu’au 10 octobre.

C’est à l’initiative de la Commission internationale du théâtre francophone que s’est organisé ce projet de rencontre théâtrale riche et porteur. Frédéric Moreau Servin, qui est le secrétaire général de la CITF, en rappelle les fondements. « La Commission est fondée sur une entente de plus de trente ans entre plusieurs pays francophones et l’Organisation internationale de la francophonie, pour financer et accompagner des projets de recherches, de création et de diffusion en théâtre francophone, portés par des équipes d’au moins trois pays, sur au moins deux continents. » Jusqu’ici, plus de 300 projets ont été soutenus pas ce biais. En parallèle, tous les deux ou trois ans, la CITF organise la rencontre d’une quinzaine d’artistes internationaux autour d’une thématique de travail en lien avec les artistes du territoire où se déroule la rencontre, telle est l’idée fondatrice de la Pépinière. Et c’est le projet de Valérie Cachard pour organiser la Pépinière de 2021 qui a été retenu. « Je suis experte dans la Commission depuis cinq ans, et coprésidente depuis deux ans. Dans ce cadre, j’ai découvert beaucoup d’artistes, de textes et des manières de faire qui ont questionné mes différentes pratiques. J’ai eu la chance de participer à une pépinière à Ottawa et, depuis, je rêve d’en organiser une au Liban. Ce type de projets incarne les valeurs les plus importantes à mes yeux : la rencontre, l’écoute et le faire-ensemble », explique l’autrice, qui a pris les rennes de ce projet en tant qu’artiste indépendante. Elle a ainsi demandé à Hammana Artist House d’être son partenaire, et aux artistes Sonia Ristic et Aurelien Zouki, du collectif Kahraba, d’encadrer les laboratoires de travail. « Nous avons imaginé ensemble le déroulé des journées et les différents types de rencontres possibles avec la scène artistique locale », indique la lauréate du prix RFI théâtre, en 2019. De son côté, l’Institut français du Liban a accueilli les pépins et la délégation de la CITF, dans son antenne de Deir el-Qamar, pour une journée de rencontres.

Sans surprise, c’est le thème de l’hospitalité qui a été choisi pour articuler le travail d’artistes venus du monde entier : Lénaïc Brulé, Antoine Neufmars, Gabriel Cloutier Tremblay, Mélissa Merlo, Charlotte Escamez, Paul Pascot, Sanae Assif, Diane Albasini, Christine d’Andrès, Christine Muller, Laure Roldan, Julles Ferry, Lévis Togo, Mireille Gandebagni, Natalie Feheregyhazi et Xavier Gould.

Itinérances, voyager léger et s’abreuver d’ailleurs est le titre de la proposition artistique sur laquelle se penchent les invités jusqu’au 10 octobre. Photo Walid Saliba/Hammana Artist House

« Ils portent en eux la nécessité de créer »

Sonia Ristic, qui a participé à l’élaboration du programme, insiste sur la variété des activités proposées. « Une série de laboratoires se sont succédé, avec des travaux de recherche autour de l’écoute, des rapports entre le corps, l’espace et l’objet et, bien sûr, autour de l’écriture théâtrale individuelle et collective. Notre sortie de résidence a eu lieu hier, à Hammana ; nous avons partagé avec le public des morceaux choisis de ce que nous avons parcouru pendant ces deux semaines », explique l’autrice serbo-croate. La Pépinière libanaise de cet automne propose également aux habitants de Hammana, mais aussi de Deir el-Qamar, de Beyrouth et de Mtein, une série de rencontres organisées ou informelles, auxquelles de nombreux artistes libanais ont été conviés, poursuit-elle, alors qu’Aurélien Zouki souligne la nécessité d’organiser de tels projets au Liban. « Bien sûr, les complications ont été nombreuses, elles nous ont demandé beaucoup d’efforts d’adaptation. Mais ces échanges sont l’occasion de partager avec des artistes étrangers les nombreuses richesses de notre pays, qu’elles soient humaines ou artistiques, estime-t-il. Ils nous permettent de mettre en lumière, au-delà de l’image transmise dans les médias d’un effondrement total de notre pays, l’effort constant de la société civile, des artistes et des organisations culturelles libanaises qui se battent pour que soient préservés des espaces de liberté, de rêve et de créativité. »

Les artistes de la Pépinière ont pu assister à plusieurs spectacles, à Hammana, mais aussi à la bibliothèque de Mtein, où a été présenté le spectacle de danse Espèces ou comment être dehors sans se perdre, dirigé par Isabelle Hervouet, avec Omar Bakeer et Aurélien Zouki. Ils se sont également rendus au théâtre Monnot pour assister à la représentation de Love Letters.

Pour mémoire

À Hammana, il y en a pour tous les goûts, tous les âges, tout l’été

La Pépinière semble déjà avoir porté ses fruits, et les participants ne tarissent pas d’éloge sur cette formule féconde et innovante. « Dans cette maison, la création résonne à tous les étages grâce aux artistes qui nous accueillent. Ils portent en eux la nécessité de créer ; chaque matin, je sais que la surprise m’attend, confie la metteuse en scène française Charlotte Escamez qui s’estime chanceuse de participer à des laboratoires auxquels elle n’est pas habituée ; j’ai mis mon corps en jeu, et suis parvenue à lâcher prise en me laissant guider par les propositions. Nous avançons ensemble, à tâtons, avec une confiance assez rare pour un groupe qui ne se connaît pas. Il nous reste encore quelques jours de joie à partager autour du théâtre, j’en savoure chaque instant. »

Le dramaturge belge Antoine Neufmars interroge pour sa part la pratique théâtrale au fil de cette rencontre. il dit être venu avec l’objectif de nourrir et affiner sa pratique d’écriture dramaturgique, en croisant ses travaux avec d’autres écritures venant d’Europe, d’Afrique, du Canada, afin de comprendre si dans « nos multimulticulturalités, il y a une essence commune qui nous anime, qui transcende les préjugés, note-t-il. À travers les différents ateliers pratiques, nous croisons nos questionnements, nos croyances, nos cultures si différentes, nos corps, nos voix, nos regard. C’est nécessaire de revenir à ces qualités d’échanges, surtout après des mois d’isolement forcé dû à la pandémie, qui nous a poussé dans nos ornières, dans nos frontières, dans nos communautarismes. Ici, on écoute d’abord, on inverse son regard, puis on se met à table, et on écrit », constate-t-il.

L’auteur Lévis Togo, installé à Bamako, a, quant à lui, apprécié « la découverte des lieux qui portent l’histoire du Liban pour inspirer nos verbes ». Il évoque la multiplicité de ses découvertes avec enthousiasme. « J’ai été frappé par solidarité, les bons plats et le tour du monde à travers le Liban et les villages que nous avons visités. La première chose qui m’a frappé, c’est Joseph, un coiffeur qui nous offre un café dans son salon alors que nous étions de passage. Il y a aussi le temple dans cette forêt de Hammana, la maison du bonheur, les techniques d’écriture développées, les films, l’exposé de Lena Osseiran, le village de Deir el-Qamar... », poursuit le dramaturge.

« À Hammana Artist House, nous avons créé un territoire en commun, un territoire de création, plein de rêve et de fantaisie, mais aussi d’amour », renchérit l’auteure marocaine Sanae Assif en estimant qu’une telle rencontre réussie n’aurait pas été possible sans la générosité et l’ingéniosité des organisateurs et des hôtes. « On nous a souvent demandé d’écrire à partir des éléments du territoire dans lequel nous sommes, le Liban et plus particulièrement Hammana. Nous sommes ici, mais nous ne sommes pas d’ici. Comment écrire sur ici, sans appropriation de ce qui ne nous appartient pas ? C’est un exercice délicat, que je ne me serais jamais permise sans l’invitation ouverte et la bienveillance des artistes libanais qui nous entourent », conclut-elle.

La comédienne luxembourgeoise Laure Roldan a, elle aussi, été stimulée par « l’urgence et la nécessité du travail des artistes libanais ». Quant à Christine Muller, metteuse en scène au Luxembourg, elle a été inspirée par des domaines artistiques qui ne lui étaient pas familiers, comme les chants de cérémonie des premières nations au Canada, les contes du Congo Brazzaville, le monde des drag queens… « Ce sont les éléments artistiques qui sont a priori les plus éloignés de mon approche artistique et de ma pratique qui animent particulièrement mon imagination, pour aller vers de nouveaux projets », commente la jeune femme avec conviction.

Après deux semaines bien chargées à Hammana, Valérie Cachard participera à une résidence d’écriture à la villa Gillet, à Lyon, dans le cadre du programme Nafas. « J’y explorerai l’identité et la double nationalité, sous la forme d’un mode d’emploi. Parallèlement, je collabore avec Hadi Deaibess sur une lecture-performance de Victoria K, Delphine Seyrig et moi ou la petite chaise jaune qui vient de paraître aux éditions Esse en version bilingue », conclut celle qui n’a pas ménagé ses efforts pour un projet d’envergure, aux couleurs libanaises.

Depuis presque deux semaines, le village de Hammana, à 26 kilomètres à l’est de Beyrouth, grouille d’une activité inhabituelle en cette période hors saison estivale. C’est que Hammana Artist House, grande maison à l’architecture traditionnelle libanaise et aux volets bleus éclatants, ne désemplit pas. Venant de pays francophones (France, Belgique, Luxembourg, Canada, Mali, Congo,...

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