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Moyen-Orient - Irak

Comment Moustapha el-Kazimi tente d’assurer ses arrières avant les législatives

Arrivé au pouvoir en mai 2020 sur la base d’un accord tacite entre Washington et Téhéran, le Premier ministre irakien ne dispose d’aucun ancrage solide sur le terrain, mais mise sur son partenariat avec Moqtada el-Sadr et sur sa légitimité internationale pour prolonger son mandat après les élections législatives prévues ce dimanche.

Comment Moustapha el-Kazimi tente d’assurer ses arrières avant les législatives

Le Premier ministre irakien Moustapha el-Kazimi s’exprime lors d’une conférence de presse conjointe avec le président français au bureau du Premier ministre à Bagdad, la capitale irakienne, le 28 août 2021. Photo AFP

Le premier tente de mettre à profit la force du second dans l’espoir de rester à la tête du gouvernement irakien après les élections législatives anticipées prévues ce dimanche. Le second, quant à lui, exploite la faiblesse du premier pour accroître son emprise sur l’État. La presse locale et régionale avait déjà rapporté, en avril, l’existence d’un troc entre les deux hommes : Moqtada el-Sadr soutiendra la prolongation du mandat de Moustapha el-Kazimi au poste de Premier ministre, mais à une condition – que celui-ci s’engage à ne pas rejoindre la course électorale afin d’empêcher l’émergence d’un énième front chiite concurrent.

Certes, M. Kazimi dispose bel et bien d’une formation politique – el-Marhala – qui devait théoriquement lui servir d’appui en vue du scrutin. Elle a toutefois été suspendue il y a près de cinq mois, officiellement en raison de bisbilles internes et de querelles financières. « Un accord potentiel postélections profiterait aux deux, car Moqtada el-Sadr pourrait ne pas être en mesure de bénéficier de tractations en faveur de l’un des siens pour le poste de Premier ministre, même s’il a précédemment affirmé que c’était l’une de ses ambitions », explique Lahib Higel, chercheuse sur l’Irak au sein du Crisis Group. « Moustapha el-Kazimi pourrait à nouveau correspondre parce qu’il est accepté par la communauté internationale et qu’il a été approuvé comme candidat de compromis par toutes les parties lors de la démission de Adel Abdel Mahdi (en novembre 2019). Il s’agirait d’un deal gagnant-gagnant pour lui car Moqtada el-Sadr rassemble un électorat important et une base dont il est dépourvu. »

Médiateur

Nommé en mai 2020 grâce à une entente tacite entre les États-Unis et l’Iran, Moustapha el-Kazimi ne dispose ni d’appareil politique ni d’ancrage sur le terrain. Il peut en revanche se prévaloir d’une légitimité certaine dans l’arène internationale où il a su jouer de ses qualités de diplomate pour apparaître aux yeux des Occidentaux comme un véritable interlocuteur, sans jamais tourner le dos à Téhéran qui s’était résolu, faute de mieux, à sa désignation au poste de chef de gouvernement malgré sa proximité avec Washington. M. Kazimi est même parvenu à se poser en médiateur d’une éventuelle réconciliation irano-saoudienne à travers l’organisation en Irak d’une série de pourparlers visant à la restauration des relations bilatérales entre les deux rivaux dont les liens ont été rompus en janvier 2016. Le Premier ministre irakien a en outre activement œuvré à la constitution d’un nouveau front arabe rassemblant Bagdad, Le Caire et Amman, et peut se targuer d’un dialogue stratégique renouvelé avec Washington ainsi que de l’organisation à Bagdad, le 28 août dernier, d’un sommet regroupant presque tous les États de la région en plus de la France.

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Un rôle d’intermédiaire accompli auquel ni le leadership du camp pro-iranien ni Moqtada el-Sadr ne peut prétendre. Ce dernier est cependant aujourd’hui l’homme le plus puissant du pays. Et s’il est peu probable que son mouvement obtienne la majorité absolue au Parlement, les pronostics le donnent déjà en tête, d’autant que les analystes prévoient un taux d’abstention élevé. En 2018, seuls 44,52 % du corps électoral s’étaient rendus aux urnes. Une aubaine pour la coalition Sa’iroon au sein de laquelle le mouvement sadriste était prépondérant, l’indifférence des votants ayant – entre autres facteurs – contribué à ce qu’elle arrive à la première place, avec 14,38 % des voix et l’obtention de 54 sièges sur 329 à l’Assemblée. « Moustapha el-Kazimi est le candidat idéal pour les sadristes dans le sens où il a un accord avec eux sans être l’un des leurs. Ses mauvaises performances ne peuvent pas se refléter directement sur eux », décrypte Marsin el-Shamary, chercheuse non résidente au Belfer Center de la Harvard Kennedy School.

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Un indéniable atout pour l’homme fort d’Irak dont la domination au sein des rouages du pouvoir n’a fait que croître ces dernières années. D’après un rapport de Chatham House datant du 17 juin, les sadristes se sont emparés de près de 200 postes sous-ministériels parmi les plus influents depuis leur victoire historique en 2018. « Ils n’ont pris aucun poste ministériel mais ont donné leur bénédiction à la nomination de ministres indépendants faibles tout en se concentrant sur l’accès aux grades spéciaux », poursuit le document. Et pour s’assurer que leurs candidats soient choisis par le Conseil des ministres, ils ont conquis son secrétariat qui supervise « la prise de décision sur les nominations dans la fonction publique. » Sur scène, la rhétorique sadriste se veut antisystème. Mais en coulisses, c’est une autre histoire. Une mainmise grandissante au sein de ministères-clés et d’organismes publics liés au pétrole, au transport ou encore à l’électricité qui s’est nourrie de l’affaiblissement du camp pro-iranien dans le sillage de l’intifada d’octobre 2019 – particulièrement acerbe à l’égard de Téhéran – et des divisions de plus en plus vives entre les alliés de la République islamique après l’élimination par Washington de Kassem Soleimani, ancien commandant en chef des gardiens de la révolution – et de Abou Mahdi el-Mohandis – ex-leader de facto de la coalition paramilitaire d’al-Hachd ach-chaabi (PMF), largement liée à l’Iran. Moustapha el-Kazimi, de son côté, dément. « La seule chose que Moqtada el-Sadr m’a demandé est de prendre soin de l’Irak », a-t-il affirmé – à la rescousse de son partenaire – au cours d’une intervention télévisée en mai, ajoutant que le clerc chiite ne « contrôle pas le gouvernement ». « Beaucoup d’attitudes de Moustapha el-Kazimi répondent aux souhaits du mouvement sadriste. On dit notamment qu’il leur aurait donné la position de la banque centrale », souligne Ayad el-Anber, professeur de sciences politiques à l’Université de Koufa. « Même si l’information n’a pas été confirmée jusqu’à ce jour, jamais les sadristes n’avaient pu obtenir cette position avant l’arrivée de M. Kazimi au poste de Premier ministre. »

Vieil ennemi

Le tandem pourrait toutefois se heurter dans le cadre des négociations postélections à un troisième acteur sans qui rien ne peut se faire : Téhéran et ses alliés dans le pays, à commencer par l’Alliance du Fateh, bras politique des PMF. Si Moustapha el-Kazimi est perçu comme proche de Washington et Moqtada el-Sadr comme l’un de ses plus farouches opposants, une partie des officiels américains semblent aujourd’hui ériger ce dernier en un moindre mal. Le vieil ennemi – défenseur d’un nationalisme chiite irakien – est peut-être le seul à pouvoir contenir l’expansion iranienne en Irak. Selon un article récent du Financial Times, les sadristes qui œuvrent au sein du gouvernement ont rencontré des diplomates occidentaux, « illustrant combien le groupe a changé ».

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Pour autant, les relations de leur leader – dont les volte-face font la renommée – avec la République islamique ont toujours été teintées d’ambiguïté. Il en va de même pour Moustapha el-Kazimi qui avait fait de la restauration de l’État et de la lutte contre les milices chiites, accusées d’exactions contre les contestataires irakiens, la priorité de son mandat, mais s’est finalement astreint à un jeu de contorsionniste entre Washington et Téhéran, donnant des gages aux uns et aux autres. « Franchement, cela ne nous dérange pas que Kazimi assume un second mandat. Il entretient des relations positives avec toutes les parties. Une ou deux factions armées peuvent lui faire face, mais cela peut ne pas être un obstacle », a confié une source haut placée au sein des PMF au média en ligne Amwaj. Rien ne garantit toutefois que le camp pro-iranien s’accordera sur son nom. Ni que l’alliance Kazimi-Sadr fera long feu. « Elle pourrait déjà se briser lors des négociations sur la formation du gouvernement en fonction des retombées des élections. Nous ne pouvons pas tenir pour acquis que la partie pro-iranienne acceptera à nouveau Kazimi comme candidat de compromis. Il y en a beaucoup d’autres qui se disputent le poste de Premier ministre, indique Lahib Higel. Si l’on se souvient de l’élection de 2018, le bloc Fateh était le principal rival de la coalition Sa-iroon. Et pourtant, le chef du bloc Fateh, Hadi el-Amiri, et Moqtada Sadr se sont entendus sur le cabinet. »

Le premier tente de mettre à profit la force du second dans l’espoir de rester à la tête du gouvernement irakien après les élections législatives anticipées prévues ce dimanche. Le second, quant à lui, exploite la faiblesse du premier pour accroître son emprise sur l’État. La presse locale et régionale avait déjà rapporté, en avril, l’existence d’un troc entre les deux...

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