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Nos Lecteurs ont la Parole

Beyrouth, un soir de septembre 2021

Beyrouth, un soir de septembre 2021

Coucher de soleil, Beyrouth. Photo Élie Abi Hanna

Hier soir, lundi 20 septembre, je suis passée manger une pizza chez un ami. Fier, il me montra le ventilateur électrique rechargeable qui lui insufflait désormais un peu d’air à défaut de climatiseur quand le courant électrique est coupé et l’UPS qui maintenait la machine d’oxygène fonctionnelle la nuit, pour pallier ses apnées de sommeil. Oui, il a payé cher sa solution… Oui, c’est le black-out toutes les nuits à Beyrouth. Le jour aussi….

Je connais aussi, comme tout le monde, le black-out des nuits au Liban. Je flippe en rentrant le soir, en promenant la chienne dans les rues noires, en me réveillant en juillet et août en nage, à défaut de courant pour mettre en marche la clim. Le jour, tous les jours, je flaire autour de moi les frustrations accumulées...

Aujourd’hui, par exemple, sans crier gare, le générateur s’est arrêté chez moi en pleine matinée. À pas d’heure, sans prévenir, comme c’est le cas tous les jours. Le gars qui a le monopole de la lumière sur nos vies dans le quartier, N. M., ne pige pas qu’il se doit de nous prévenir à l’avance des horaires fixes de coupure de générateur, une fois qu’il a fait le plein de mazout pour la semaine. « J’ai des engagements, je donne des cours en ligne... » J’ai fini par payer un UPS pour nourrir de courant électrique ma machine internet. Et quand il fait noir à midi dans ma salle de bains, j’allume en guise de lumière la torche de mon smartphone, et pour pallier l’arrêt du fonctionnement de la pompe à eau, je remplis alors l’arrosoir. Tant pis pour les cheveux... Prête, je sors enfin, le visage boursouflé de frustrations et d’injustice, rencontrer d’autres humains aussi boursouflés et anéantis que moi par ce quotidien inhumain qui dure depuis des mois. Une amie passe me prendre. Elle a réussi à faire le plein d’essence. Quant à mon réservoir, il sera bientôt à sec. Je garde ce qui reste pour les déplacements d’urgence. Oui, il y a une pénurie d’essence qui dure depuis des mois à Beyrouth.

Je relève en passant que le Liban se transforme en grand camp de réfugiés palestiniens, camps que je connais pour y avoir travaillé pendant plus de 10 ans. J’y rencontrais la frustration, l’agressivité et la violence gratuite que pouvaient s’échanger les habitants, l’écho d’une mort par balle, de regards désabusés devenus méchants par le poids du chômage, des inégalités sociales, de l’injustice... l’obésité miroir selon le cas, d’une frustration éternelle face à une pensée qui ne se prononce plus... je vois tout cela dans le regard des Libanais aujourd’hui.

Et je me demande, par exemple, si jamais je fais un accident de voiture, la personne accidentée en face de moi aura-t-elle seulement été en mesure de payer son assurance-auto pour me rétribuer ou réparer sa propre casse ?

Et moi, je m’acharne à me gaver d’Arte, de livres, de documentaires pour garder la tête hors de l’eau... et je comprends mal le fait de ne constituer qu’un cumul de points sur un dossier d’immigration. Oui, j’ai 40 ans. Mais je parle trois langues, je travaille. Je veux partir travailler, payer des impôts. Je connais la langue. J’ai des collègues là-bas, j’ai pris des cours, j’ai des amis. Et je comprends mal les critères qui évaluent le niveau de misère et de dangerosité du pays d’origine, la légitimité ou pas d’être accueillie. « Toi ? » diriez-vous. Oui, moi qui aime tant mon Liban ! Oui, moi qui n’ai raté aucune une manif ! Oui, oui, moi qui travaille pour la mémoire et la réconciliation… Oui, moi !

Quelle réconciliation, désormais, pour moi qui suis en rupture ?

Le voile islamique iranien noir qui couvre de la tête aux pieds des Libanaises « occupées » envahit, entre autres, de plus en plus les rues du Liban, me rendant étrangère chez moi. Par affirmation identitaire culturelle vaine, je raccourcis un peu plus mon short.

L’occupation iranienne bouffe mon pays, mes ressources, ma culture, elle mange le fonctionnement des institutions, pratique l’assassinat politique, torpille la justice… la justice surtout pour les morts et les blessés suite à l’explosion du 4 août 2020 ! Le 4 août 2020, mon trauma ! Diane… Ma famille…

Cependant, je continue à affirmer aux autres, luttant pour continuer à penser : ils affament le peuple, le rendent démuni, pour l’amener juste à se préoccuper de ses besoins primaires et annihiler ses capacités de penser et d’analyse politique. Luttons en dépit de tout pour ne pas glisser dans le primaire qui nous transforme malgré nous en barbares ! Oui, Zeina, en effet, c’est inhumain ce que tu vis ; non, n’aie pas honte si tu t’es emportée aujourd’hui de manière démesurée, si tu as pleuré pour un rien…

À quelques kilomètres de là, dans la Békaa, un 16 septembre 2021, le spectacle des humanoïdes accueillant à coups de feu le fuel iranien et brandissant le portrait de Hassan Nasrallah ramène à très bas désormais les sources de joie, le niveau du projet national et citoyen pour ces gens avec qui je ne veux plus vivre et l’objectif de déploiement des armes miliciennes. Ce jour-là, et depuis 1982 au fait, les armes du Hezbollah n’avaient jamais été portées ni pour libérer le Liban ni pour libérer la Palestine... Elles avaient dès lors comme stratégie, juste pour le ressort du projet hégémonique iranien, le viol de mon pays et l’hypothèque de l’âme de mon peuple…

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Hier soir, lundi 20 septembre, je suis passée manger une pizza chez un ami. Fier, il me montra le ventilateur électrique rechargeable qui lui insufflait désormais un peu d’air à défaut de climatiseur quand le courant électrique est coupé et l’UPS qui maintenait la machine d’oxygène fonctionnelle la nuit, pour pallier ses apnées de sommeil. Oui, il a payé cher sa solution… Oui,...

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