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La Consolidation de la paix au Liban - Septembre 2021

Les travailleurs migrants au Liban en 2020 : des histoires d’horreur en série

Les travailleurs migrants au Liban en 2020 : des histoires d’horreur en série

L’histoire du Liban avec les réfugiés et les travailleurs migrants n’est pas glorieuse. Tout le monde le sait désormais. Des rapports, à la fois locaux et internationaux, rédigés par différentes associations des droits de l’homme et truffés de témoignages horribles des victimes et des survivants du système de parrainage (Kafala) le dévoilent.

Ces témoignages ont révélé une véritable recrudescence des violations des droits de l’homme dont sont victimes les travailleurs migrants au cours de l’année écoulée. Mais en réalité, cette augmentation est le fruit d’une déshumanisation de la loi et même de la société, qui n’a cessé de se renforcer au cours des années précédentes.

Pendant des années, il y a eu un laisser aller dans le comportement à l’égard des femmes travailleuses domestiques, au point que les atrocités commises à leur égard en 2020 ont pu se produire, sans susciter d’importantes condamnations. A mesure que la crise économique se précisait, l’intérêt à l’égard des violations des droits de l’homme avec les travailleurs migrants se relâchait.

Des décennies de corruption et une mauvaise gestion économique ont mené le Liban vers une crise sans précédent qui a éclaté en 2020 et qui a frappé en grande partie ceux qui étaient considérés comme les couches aisées. La pénurie de dollars a aussi freiné les dépenses des individus, notamment parmi les couches les plus vulnérables qui se sont retrouvées encore plus démunies et isolées. Cette crise a aussi eu un impact terrible sur les travailleuses migrantes qui ont perdu le peu de droits qu’elles avaient, sachant qu’elles ne sont pas vraiment protégées par le Code du travail libanais. Avec la dévaluation de la monnaie libanaise face au dollar américain, bon nombre d’entre elles ont perdu leur travail. Certaines ont même été renvoyées sans obtenir un minimum de droits, d’autres ont dû accepter d’être payées en livres libanaises qui ne valaient plus grand-chose, alors qu’elles étaient venues travailler si loin de leur pays et de leur famille pour pouvoir les nourrir et leur envoyer des devises.

L’équipe du Mouvement antiracisme a reçu ainsi des centaines de plaintes de la part de travailleuses migrantes victimes des violations du Code du Travail. Il s’agissait dans la majorité des cas de non-paiement des salaires et même d’exigence de travail gratuit, tout en faisant assumer à ces femmes la responsabilité de la crise financière et économique que traverse le pays. Les employeurs refusaient donc de payer sous prétexte qu’ils n’en avaient plus les moyens, tout en exigeant que les travailleuses migrantes continuent à assumer leur part du contrat. Il s’agissait en réalité de fausses excuses, car chaque fois qu’une enquête était menée, il apparaissait que les employeurs ne respectaient pas les engagements pris, même avant l’éclatement de la crise en 2020. Certains retenaient ainsi pendant des mois, voire des années, les salaires qu’ils devaient payer. Le système de Kafala, qui est une forme moderne d’esclavagisme, favorise ce genre de pratiques.

Malgré tout cela, on n’a jamais vu un employeur convoqué devant la justice et interrogé sur le fait qu’il s’est abstenu de payer pendant des mois les salaires qu’il devait ! On n’a jamais vu non plus, un patron ou « kafil » contraint à payer les arriérés de ce qu’il devait à une travailleuse migrante. De même, le ministère du Travail ne s’est jamais mobilisé en faveur des travailleuses migrantes et n’a jamais agi concrètement dans ce sens. Au point qu’il semble permis au Liban de ne pas payer les salaires de ces travailleuses sans être inquiété.

C’est pourquoi, de nombreux travailleurs migrants au Liban ont été poussés vers la misère extrême, exploités et manipulés dans les pires conditions. Ils se sont retrouvés dans l’incapacité d’assurer leurs besoins élémentaires, aspirant à rentrer dans leurs pays sans pouvoir réaliser ce rêve.

La pandémie de coronavirus et ses effets

Les travailleurs migrants sont divisés en deux catégories : il y a ceux qui sont domiciliés chez leurs employeurs et ceux qui vivent dans des appartements bondés qu’ils louent à plusieurs, en ayant des contrats libres ce qui leur permet d’avoir plusieurs patrons. La crise provoquée par la pandémie de coronavirus a eu des effets graves, mais différents sur les deux catégories.

Les décisions de fermeture totale prises par le gouvernement ont limité la mobilité des travailleurs migrants et ont fait perdre leurs emplois à bon nombre d’entre eux. Ce qui les a poussés à utiliser leurs maigres économies pour pouvoir survivre. De nombreuses activités généralement effectuées par les travailleurs migrants ont été suspendues. Dans d’autres cas, les heures de travail ont été réduites, surtout que de nombreuses compagnies ont fermé leurs portes l’an dernier. Durant la première moitié de 2020, des milliers de travailleurs migrants se sont ainsi retrouvés bloqués au Liban. Ils voulaient pourtant rentrer chez eux, car les frais de leur subsistance étaient devenus trop chers pour leurs budgets. Certains d’entre eux n’avaient même plus les moyens d’acheter de l’eau et beaucoup se sont retrouvés privés de leurs papiers d’identité, confisqués par leurs employeurs, et même privés de toit, alors que l’aéroport fermé rendait impossible tout retour au pays.

En toute simplicité, lorsqu’on n’a pas de quoi payer la location d’un toit, parce qu’on est sans travail ou que l’employeur ne paye pas, que l’on souffre de la faim et de l’absence d’espoir, comment peut-on acheter un billet d’avion, ou même s’acquitter des frais du test PCR et ceux du voyage ? Comment peut-on aussi arriver dans son pays sans le sou, même pour rentrer de l’aéroport à la maison ? Quel est l’impact de ce genre de pression sur le moral ? Est-il besoin dans ce cas de rappeler le nombre de travailleurs migrants qui se sont retrouvés errant dans les rues de Beyrouth, ayant oublié jusqu’à leur propre nom ? On en a vu qui marchaient, perdus dans leur monde, certains étaient agressifs, d’autres à demi-nus, marmonnant des mots sans suite que même leurs compatriotes ne comprenaient pas... Ils ont dû subir un traumatisme important. Mais qui en est responsable ? Qui est aussi responsable du mauvais fonctionnement des institutions et des ministères ?

Quant aux travailleurs migrants domiciliés chez leurs employeurs, ils ont aussi subi d’énormes traumatismes mais de nature différente. Ils se sont retrouvés pratiquement enfermés chez leurs patrons. Pour cause de confinement, bon nombre d’entre eux ont perdu le rare droit de sortie qui leur était accordé à des rythmes différents. L’été dernier, tout le monde a pu voir un grand nombre de travailleurs migrants jetés à la rue comme des sacs dont on veut se débarrasser, parce que leurs employeurs ne voulaient plus d’eux. Ils les laissaient dans la rue devant les consulats ou les ambassades de leurs pays, livrés à eux-mêmes et sans le moindre recours. La seule phrase d’adieu se résumait ainsi : « Allez, débrouillez-vous pour rentrer dans votre pays ». C’était arrivé surtout pour certaines travailleuses migrantes avant la tragédie du 4 août 2020. Après l’explosion au port, la situation s’est encore aggravée, car le calvaire vécu par les travailleuses migrantes est passé au second plan, face à l’ampleur de la catastrophe.

On pourrait encore évoquer d’autres souffrances infligées aux travailleurs migrants au Liban, portant notamment sur l’humiliation systématique et l’attitude raciste. S’ils ont des enfants par exemple, ceux-ci sont ostracisés et ont des difficultés à être admis dans les écoles... En général, les travailleurs migrants subissent de fortes pressions psychologiques et certains vont même jusqu’à se suicider, faute de trouver une aide ou un abri. Le vrai problème c’est qu’ils n’ont pas de recours et ne bénéficient pas de moyens de protection. Sur le plan de la vaccination, ils sont aussi oubliés...

Les Libanais devraient réfléchir à tous ces problèmes moraux posés par le système de tutelle. Il faudrait repenser ce système pour accorder leurs droits aux travailleurs migrants, loin de toute considération politique. Ce système dure depuis trop longtemps, et il fait perdre leur humanité à la fois aux employeurs et aux travailleurs. Les Libanais sont devenus soit des spectateurs passifs soit des acteurs dans ce système d’oppression et d’esclavagisme moderne. Aujourd’hui, la question qui se pose dans les milieux concernés par les travailleurs migrants est la suivante : faut-il leur donner accès au vaccin, à eux et aux réfugiés ? Mais le fait de poser cette question est en soi une atteinte aux droits de l’homme. Comment pouvons-nous même songer à la poser, que ce soit dans les maisons, sur les écrans de télévision et dans les ministères ?

Nous devrions détruire par la racine ce monstre que constitue le système de kafala. Nous le savons tous désormais. Mais sommes-nous en train de faire le nécessaire pour l’ébranler et pousser vers l’adoption d’un autre plus décent ? Nous devons tous déployer des efforts pour qu’un système préservant la dignité humaine soit adopté. Nous ne devons plus accepter que ce crime commis à l’encontre des travailleuses migrantes se poursuive. Notre indifférence est en train de provoquer la misère et la mort pour de nombreuses personnes.

L’histoire du Liban avec les réfugiés et les travailleurs migrants n’est pas glorieuse. Tout le monde le sait désormais. Des rapports, à la fois locaux et internationaux, rédigés par différentes associations des droits de l’homme et truffés de témoignages horribles des victimes et des survivants du système de parrainage (Kafala) le dévoilent.Ces témoignages ont révélé une...

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