Alors que le gouvernement de Nagib Mikati a obtenu lundi la confiance du Parlement, un groupe de créanciers détenteurs d’eurobonds (titres de dette publique en devises) n’a pas tardé à publier un communiqué dans lequel il indique « espérer et attendre (…) une restructuration de la dette rapide, transparente et équitable », ainsi que la reprise des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI). Le communiqué a été publié par le cabinet d’avocats américain White & Case LLP, qui les représente.
Les créanciers prennent acte de la formation du nouveau gouvernement qu’ils qualifient comme la « première étape nécessaire pour adresser les crises financière, politique et humanitaire actuelles », tout en appelant à une restructuration de la dette. Celle-ci pourrait prendre plusieurs formes, comme une réduction des intérêts et un allongement de la maturité (la date de remboursement) du principal (le montant initial prêté), ce qui consisterait en un rééchelonnement; ou encore une réduction, voire une annulation du principal ou des intérêts de la dette, soit donc un haircut (décote). À noter que les deux options peuvent être combinées.
Pour parvenir à un accord, les créanciers suggèrent aussi à l’État de négocier avec le FMI, comme il avait tenté de le faire en 2020 avant de les suspendre, faute d’accord entre le gouvernement d’un côté, le secteur bancaire, la Banque du Liban et certains députés de l’autre, sur la façon de comptabiliser et de répartir les pertes. Les créanciers appelle enfin l’exécutif à « concevoir et mettre en œuvre un programme de réformes économiques, budgétaires et structurelles dans l’intérêt de toutes les parties prenantes, en particulier le peuple libanais souffrant ».
Commission officielle
La dette publique libanaise a atteint 97,8 milliards de dollars à fin avril selon les derniers chiffres disponibles (en considérant un taux de change officiel de 1 507,5 livres pour un dollar). Le 23 mars 2020, le Liban a fait défaut sur la portion de dette en devises qui pèse plus de 37 % du total de la valeur nominale de la dette (la valeur réelle de cette dernière, qui tient compte de la dépréciation de la livre sur le marché parallèle et le prix que valent actuellement les eurobonds libanais est bien inférieure). Plus précisément, le montant de ces titres de dette en devises a atteint en avril dernier 36,9 milliards de dollars, dont 7,4 milliards de dollars d’arriérés de paiement.
Un groupe de créanciers internationaux rassemblant Fidelity, Ashmore ou encore BlackRock s’étaient alors regroupés sous la bannière « Ad Hoc Lebanon Bondholder Group » pour négocier avec le Liban. Selon l’agence Reuters, Amundi, BlueBay, T-Rowe Price ainsi que d’autres fonds spéculatifs de plus petite taille font également partie du groupe. Mais ce sont surtout les banques libanaises et la Banque du Liban qui détiennent la majeure partie de la dette publique.
Pour pouvoir négocier les termes de cet accord avec l’État libanais, les créanciers regroupés avaient mandaté le cabinet d’avocats américain White & Case LLP pour les représenter. La partie libanaise s’était, elle, entourée de deux cabinets de conseil internationaux : Lazard, pour le volet financier, et Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP, pour le volet légal. Les banques, représentées par l’Association des banques, avaient elles mandatées en mai la société de conseil Global Sovereign Advisory (GSA), qui a remplacé la banque d’investissement Houlihan Lokey. La BDL, quant à elle, ne semble pas avoir demandé à être représentée par un cabinet lors des négociations. Selon la procédure prévue, les termes de restructuration négociés dans ce cadre doivent ensuite être approuvés par une majorité de 75 % des détenteurs de chaque série, votant série par série (chaque échéance d’eurobonds), qui s’étalent jusqu’en 2037.
Au moment d’entamer ses négociations avec le FMI en mai 2020, le gouvernement de Hassane Diab alors en place avait préparé, avec l’aide de Lazard, un plan de redressement économique, adopté en avril 2020. Une source gouvernementale avait indiqué à L’Orient-Le Jour en mars dernier que les créanciers avaient accepté ce plan et que le FMI avait jugé crédibles les chiffres avancés par le précédent gouvernement. Mais les négociations ont finalement été écourtées en juillet 2020, faute de position unifiée côté libanais. Si le gouvernement les estimait à près de 69 milliards de dollars (pour un taux de change de 3 500 livres contre 15 000 livres actuellement), la banque centrale, l’Association des banques et certains députés ont contesté ces chiffres, indiquant que les pertes du secteur bancaire dans son ensemble (banques et BDL) étaient surévaluées. À noter que les banques ont vendu une partie conséquente de leurs eurobonds à plusieurs fonds qui font partie des créanciers actuels avant l’annonce du défaut. Une décision dénoncée en février 2020 par la ministre de la Justice Marie-Claude Najm, demandant alors au procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, de prendre contact avec l’instance de régulation du secteur financier britannique (Financial Conduct Authority, FCA) afin de « clarifier la question de la multiplication par dix du volume d’échanges d’eurobonds arrivant à échéance à court terme sur le marché londonien ». Situation qui avait sensiblement chamboulé la donne des négociations à venir.
Le communiqué des créanciers internationaux intervient enfin moins de 24 heures après que le nouveau ministre de l’Économie et du Commerce, Amine Salam, eut déclaré à l’agence turque Anadolu qu’une commission « officielle » chargée des négociations avec le FMI sera créée dans les prochaines semaines, sans plus de détails. Une source proche du dossier a confirmé à L’Orient-Le Jour que des contacts avaient été pris avec le FMI avant l’officialisation de la formation du gouvernement. Le temps presse, car outre les conséquences sur la situation financière – et la réputation – du pays en crise depuis deux ans, l’absence d’accord avec les créanciers expose le Liban à des poursuites devant une juridiction nationale compétente. Ces retombées légales ont été retardées grâce à la pandémie de Covid-19, qui a occasionné de grandes pertes pour les fonds dans d’autres pays.
NE COMPTEZ PAS BEAUCOUP SUR LE FMI CAR SES CONDITIONS SURTOUT ANTI POPULAIRES ET A RESONNANCE POLITIQUE VOUS SURPRENDRONT. SI VOUS NE LES ACCEPTEZ PAS... IL N,Y A BA... COMME DIT SMAEEL YASSINE DANS UN FILM.
18 h 31, le 22 septembre 2021