L’affaire du mazout iranien importé au Liban en dehors du circuit officiel, à l’initiative du Hezbollah, a provoqué des étincelles entre Téhéran et Beyrouth à partir du moment où le Premier ministre Nagib Mikati a dénoncé une atteinte à la souveraineté libanaise. Les propos du chef du gouvernement ont visiblement importuné l’Iran en raison de l’écho qu’ils ne manqueront pas de susciter tant au niveau interne qu’externe, alors que la République islamique s’apprête à poursuivre le processus d’exportation de carburant au Liban. Sa diplomatie s’est empressée de réagir, en présentant l’affaire comme une transaction normale, alors que rien dans l’importation de fuel iranien ne l’est.
Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saïd Khatibzadeh, a ainsi affirmé hier dans un point de presse que la livraison de carburant iranien au Liban était « une opération normale d’achat de carburant ». « Cette opération commerciale s’est déroulée à la demande de commerçants libanais et il s’agit d’une vente tout à fait normale, en vertu de laquelle du carburant a été envoyé », a affirmé Saïd Khatibzadeh, cité par l’agence iranienne FARS, qui a souligné qu’il réagissait aux propos de M. Mikati. Il a assuré qu’il ne voulait pas interférer dans les affaires intérieures libanaises, en ajoutant que son pays « reste à la disposition du gouvernement libanais, si celui-ci veut nous acheter des carburants pour régler les problèmes de sa population ».
Réagissant à cette déclaration, des sources proches du Premier ministre Nagib Mikati, citées par son site d’information Lebanon 24, ont réaffirmé que « le gouvernement libanais n’a demandé aucune cargaison de carburants à l’Iran ».
La veille, M. Mikati avait commenté dans une interview à la chaîne CNN l’arrivée dans la Békaa, à travers des points de passage illégaux avec la Syrie, du carburant iranien pour le compte du Hezbollah, en déplorant une « absence de souveraineté au Liban ». Il avait toutefois indiqué qu’il ne craignait pas que des sanctions américaines visent le pays « vu que le gouvernement n’a pas approuvé » ces importations. De nombreuses personnalités de l’opposition avaient également critiqué cette atteinte à la souveraineté libanaise, alors qu’au niveau officiel aucun responsable, à part Nagib Mikati, n’a commenté l’initiative du parti chiite qui a amené le carburant iranien sans passer par les canaux réguliers, pour éviter des sanctions américaines contre le Liban, portant ainsi un coup supplémentaire à la notion d’État.
Ce processus a été aussi critiqué par le patriarche maronite Béchara Raï, qui a fustigé dans son homélie dominicale « des pratiques et des prises de position qui s’opposent à l’entité et aux institutions », estimant qu’un État « ne peut pas se redresser » tant qu’elles sont maintenues. « Certains les considèrent tout simplement comme des points de divergence, comme si leur résolution n’était pas essentielle », a déploré le patriarche.
Quatre convois composés de 80 camions-citernes chargés de carburant iranien étaient arrivés jeudi matin dans la Békaa à travers un point de passage illégal dans le Hermel, acheminant la cargaison d’un navire iranien déchargée dans le port syrien de Banias. Un deuxième convoi de camions chargés de mazout iranien commandé par le Hezbollah était arrivé dans le Hermel, dans la nuit de vendredi à samedi. Les camions ont déchargé leur cargaison à Baalbeck dans les réservoirs des stations-service Amana, détenues par le Hezbollah et visées depuis février 2020 par des sanctions américaines, avant d’être distribuée sur le marché, par ordre de priorité.
Le réseau Amana a lancé hier un projet de distribution gratuite de 220 000 litres de mazout à des hôpitaux gouvernementaux et des ONG, suivant les priorités définies lundi par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, durant son intervention télévisée.
Selon son directeur dans la Békaa, Mohammad Yaghi, la distribution est menée « loin de toutes considérations régionales, communautaires, sectaires ou politiques ». « Nous serons au service de tous ceux qui prendront contact avec nous », a-t-il insisté, en expliquant que « des tonnes de mazout ont déjà été fournies aux stations de pompage des villages de Hoch et de Tal Safiyé, un exemple de coexistence islamo-chrétienne dans la Békaa, ainsi qu’à l’orphelinat relevant du couvent des sœurs de Jabboulé et à l’hôpital gouvernemental de Hermel ».
Mohammad Yaghi a en outre indiqué que le mazout iranien sera mis en vente à partir de demain mardi au secteur privé, au prix de gros.
commentaires (3)
"la distribution est menée loin de toutes considérations (...) politiques ". Allons donc! Comme dirait le capitaine Haddock : "Racontez ça à un cheval de bois, et il vous flanquera une ruade !".
Yves Prevost
17 h 00, le 20 septembre 2021