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Société - Éducation

Après un quart de siècle d’immobilisme, la réforme des programmes scolaires est lancée

Georges Nohra, qui boucle sa première année à la tête du CRDP, la tête pensante du ministère, révèle le déblocage par la Banque mondiale d’un fonds de 7,5 millions de dollars.

Après un quart de siècle d’immobilisme, la réforme des programmes scolaires est lancée

Georges Nohra est président du CRDP depuis un an déjà. Photo A.-M.H.

Un an déjà qu’il a été nommé à la présidence par intérim du Centre de recherche et de développement pédagogique (CRDP), cet organisme supposé constituer la tête pensante du ministère de l’Éducation, mais qui, au fil des années, s’est enlisé dans l’improductivité, comme la grande majorité des institutions publiques libanaises. Georges Nohra, expert en technologies de l’éducation, qui a fourbi ses armes dans l’enseignement technique en tant que professeur, formateur, puis directeur par intérim de l’Institut technique d’éducation avant de rejoindre la direction du bureau des équipements pédagogiques du CRDP, annonce déjà le lancement par la Banque mondiale – après cinq ans de blocage – d’un fonds de 7,5 millions de dollars pour la réforme des programmes scolaires. Une entreprise qui lui tient à cœur tant elle est nécessaire après 24 années d’immobilisme, de promesses vaines de refonte, d’absence de vision, de querelles entre les acteurs de l’État. Car les programmes scolaires libanais sont vieillissants et obsolètes. Remontant à 1997, ils ne répondent ni aux normes mondiales ni aux besoins des élèves et du marché de l’emploi. Les résultats catastrophiques du Liban aux tests internationaux PISA et TIMSS en sont une des preuves flagrantes.

L’intervention des partis politiques

« Nous avons enfin développé la stratégie des nouveaux programmes scolaires attendue depuis 25 ans », révèle à L’Orient-Le Jour le patron du CRDP, lors d’une interview exclusive, aux côtés de son conseiller Jihad Saliba et de son attachée de presse Marie Jo Dib. « Elle a obtenu l’aval de la Banque mondiale et de la commission supérieure des programmes, présidée par le ministre de l’Éducation », confirme-t-il. Un chantier réalisé en moins d’un an avec son équipe, après un quart de siècle « sans résultats, faute de vision, mis à part quelques actions ponctuelles ». Par stratégie, le président du CRDP entend non seulement le développement des curriculums et l’alimentation des matières enseignées, mais la réforme complète des programmes scolaires. « Suivra fin 2022 la finalisation du plan d’action, avant l’application pilote qui devrait se dérouler début 2023 », précise Georges Nohra.

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Une première étape d’un long chemin vers la modernisation du système éducatif libanais avec pour objectif de développer la pensée critique et d’analyse de l’élève. Pour ce faire, il fallait d’abord mener des études de terrain liées aux « réalités locale et internationale », étudier « les aspects positifs et négatifs des programmes actuels », envisager « les objectifs et la philosophie éducative », de même que les lois à adopter ou à amender pour « l’école numérique », sans oublier de réviser « les liens entre l’école, l’institut technique et l’université », notamment lorsqu’il s’agit de la reconnaissance des diplômes…

Au passage, il était urgent de régler le problème de « l’intervention des partis politiques dans les curriculums et les manuels scolaires », qui se faisait traditionnellement par le recrutement à des fins clientélistes de personnes expertes ou non, supposées plancher sur les manuels et les programmes. « Nous avons demandé aux universités du pays de mettre leurs experts à notre disposition, afin qu’ils contribuent aux programmes scolaires de manière académique, chacun dans son domaine », détaille Georges Nohra. Une façon de contourner la mainmise partisane et communautaire sur les programmes et manuels scolaires, même si les établissements universitaires sont dans leur grande majorité détenus par des personnalités politiques ou des ordres religieux. « Notre objectif est de travailler de manière scientifique à l’échelle nationale, et non pas de manière partisane », insiste le chef du CRDP, rappelant que le problème du pays est bien le manque de citoyenneté.

Entre le CRDP et le ministère, une relation souvent orageuse

Assainir les relations entre le CRDP et son ministre de tutelle était aussi « une priorité absolue », ces relations étant orageuses jusque-là, pour des raisons de prérogatives, voire d’incompatibilité politique. « C’est aujourd’hui chose faite », assure le responsable qui fait état d’une « bonne coopération » entre lui et le ministre Tarek Majzoub. « Après avoir pris mes fonctions, j’ai réussi en une semaine à créer un cadre de coopération institutionnelle qui a rendu possible la communication », souligne-t-il. Georges Nohra est pourtant membre du Courant patriotique libre, parti créé par le chef de l’État Michel Aoun et dirigé par son gendre Gebran Bassil. Et le ministre de l’Éducation, si on ne lui connaît pas d’affiliation politique claire, hormis sa proximité avec le Premier ministre démissionnaire Hassane Diab, reste un sunnite dont les représentants sont en guerre ouverte contre le chef de l’État. « Je suis un homme d’institutions. J’aime aussi la bonne gouvernance », assure le président du CRDP qui revendique son « indépendance absolue ». « Je suis libre de mes décisions », insiste-t-il. Une réputation qui, estime-t-il, serait à l’origine de sa nomination par le ministre Majzoub.

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C’est d’ailleurs à un incident que Georges Nohra doit sa nomination à la tête du CRDP. « Ma nomination est survenue en plein contexte de rivalité politique », se contente-t-il de dire. Dans les faits, l’ancienne présidente du CRDP, Nada Oueyjane, nièce de l’ancien ministre de l’Éducation Élias Bou Saab, a été limogée par Tarek Majzoub, après des déclarations qu’il avait jugées « imprudentes » sur le manque de préparation du Liban pour la prochaine rentrée scolaire. Des propos que la responsable avait tenus après la double explosion au port de Beyrouth qui avait endeuillé la capitale. Le ministre avait expliqué sa décision par « l’incompétence » de Mme Oueyjane, précisant qu’elle « n’a jamais été à la hauteur de ses responsabilités ». L’ancienne présidente du CRDP avait, elle, dénoncé un licenciement abusif pour des considérations politiques, vu sa proximité avec le CPL.

Changer les mentalités

La page est aujourd’hui tournée. Georges Nohra se dit déterminé à faire du CRDP une institution exemplaire et productive. Mais pour ce faire, il est indispensable de « changer les mentalités, en commençant par le haut de la pyramide », autrement dit par sa propre personne. « J’ai décidé de ne faire partie d’aucune commission de programme », affirme-t-il, sachant que chaque participation à une commission est rémunérée. « À part mon salaire mensuel, je ne réclame rien », explique-t-il, dans une volonté déclarée de transparence, de lutte contre la corruption et le gaspillage des deniers publics. En même temps, il a « annulé les séances de travail rémunérées », connues pour leur manque de productivité. « Pour que les membres d’une commission donnée soient rémunérés, ils doivent dorénavant avoir atteint les objectifs », martèle-t-il. Le président est aussi un homme matinal. « Je suis à mon bureau dès 6h30. J’espère ainsi donner l’exemple. »

Cela dit, c’est sur l’élève qu’il concentre son travail, plus particulièrement sur le contenu des manuels scolaires. Les coûts du papier et de l’impression étant exorbitants en cette période d’effondrement de la livre libanaise, il développe avec son équipe un manuel électronique. « L’e-book est désormais mis gratuitement à la disposition de tous les élèves du Liban, du privé ou du public, des classes maternelles au bac, se félicite-t-il. Nous œuvrons à présent à l’améliorer dans un objectif d’interactivité. » Et comme le manuel papier demeure indispensable, plus particulièrement pour les tout-petits, « un financement du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) a permis son impression et sa distribution aux élèves de l’école publique jusqu’à la classe de terminale ».

Dernière réalisation en date, le lancement il y a deux mois de la plateforme nationale d’apprentissage Mawaridi, « une production locale au service de l’ensemble des établissements scolaires et élèves du pays », qui permet d’avoir accès à une librairie pédagogique en ligne, interactive et régulièrement alimentée, grâce à la contribution des enseignants et d’associations éducatives. À la veille d’une rentrée scolaire aux contours encore flous, cette plateforme d’intelligence artificielle qui se veut également un espace de partage de l’information promet d’être un outil pédagogique non négligeable, si rien ne vient entraver son bon fonctionnement.

Un an déjà qu’il a été nommé à la présidence par intérim du Centre de recherche et de développement pédagogique (CRDP), cet organisme supposé constituer la tête pensante du ministère de l’Éducation, mais qui, au fil des années, s’est enlisé dans l’improductivité, comme la grande majorité des institutions publiques libanaises. Georges Nohra, expert en technologies de...

commentaires (3)

Pourvu quils ne copient pas les programmes français !

Yves Prevost

18 h 10, le 07 septembre 2021

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Commentaires (3)

  • Pourvu quils ne copient pas les programmes français !

    Yves Prevost

    18 h 10, le 07 septembre 2021

  • Il est urgent d'investir dans l'éducation et dans les supports pédagogiques afin que les futures générations soient préparées pour l'exode. J'espère que les aides internationales, à défaut de servir aux programmes éducatifs, ont été utiles pour les ministres dans la rénovation de leurs appartements et dans l'achat de voyages.

    Georges Olivier

    20 h 26, le 06 septembre 2021

  • Vérifions quand même: les phéniciens sont-ils toujours nos ancêtres? On ne sait jamais avec tous les idéologues créatifs qui se haïssent eux-mêmes...

    Mago1

    00 h 10, le 06 septembre 2021

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