« Après deux années scolaires pour rien, nos enfants ont grandement besoin de retrouver les bancs de la classe. » Cette phrase résume à elle seule l’impatience des parents d’élèves de voir leurs enfants reprendre le chemin de l’école au Liban. Car l’école est synonyme de socialisation et de normalité, après deux années d’un apprentissage à distance ou hybride pour cause de pandémie de Covid-19, qui s’est soldé par un véritable fiasco à l’échelle nationale, à de rares exceptions près. Deux années marquées aussi par la descente aux enfers d’une population gravement touchée par l’effondrement de la livre libanaise, la crise politique et économique, le soulèvement populaire, la double explosion au port de Beyrouth.
Sauf que cette impatience est teintée d’inquiétude face à l’incapacité des autorités d’assurer une rentrée sereine aux élèves du Liban, alors que la pénurie de carburants fait rage, que le rationnement en électricité est dantesque, que les enseignants quittent le pays, leur salaire ne valant plus rien, que les prix grimpent à une allure vertigineuse, entraînant dans leur sillage écolage, uniformes et manuels scolaires. « Nous voulons tous que nos enfants retournent en classe. Mais comment dans cette situation ? Comment sans électricité, sans transport scolaire, sans chauffage ? demande Hadia Hanna, parent d’élèves au Lycée franco-libanais Nahr Ibrahim. Qu’en est-il aussi du salaire des enseignants, sera-t-il ajusté ? » Tant de questions auxquelles le ministre sortant de l’Éducation, Tarek Majzoub, « n’a pas donné de réponses », déplore-t-elle, lorsqu’il a annoncé, lundi dernier, la rentrée scolaire en présentiel. Une rentrée en présentiel qui débute le 27 septembre pour le secteur public, et dont les dates sont laissées au libre choix des établissements privés, entre septembre et début octobre. « Ces problèmes doivent impérativement être gérés. De même, il faut compter avec la crise sanitaire, maintenir les précautions, lancer une stratégie », ajoute Mme Hanna. Car le coronavirus et son variant Delta circulent toujours.
Pour ne pas rater une troisième année d’apprentissage
Dans la foulée de sa récente conférence de presse, le ministre sortant de l’Éducation a certes annoncé une série de mesures pour limiter les répercussions néfastes de la crise généralisée au pays. Mais ces mesures bénéficient exclusivement aux élèves du secteur public. Un secteur qui ne scolarisait en 2019-2020 que 32 % des élèves du pays, soit 342 303 élèves, le reste étant affilié au secteur privé, selon les seules statistiques disponibles du CRDP (Centre de recherche et de développement pédagogiques) rattaché au ministère de l’Éducation. Les élèves du privé devront se contenter d’un accès gratuit à la version électronique des manuels scolaires et de tests PCR mis à disposition des établissements. Maigre consolation, alors que la présence en classe sera exigée 4 jours sur 5, le cinquième jour étant consacré aux cours de rattrapage à distance à l’intention des élèves ayant accumulé des lacunes.
Hier, lors d’une rencontre au palais de Baabda avec le chef de l’État, Michel Aoun, le ministre Majzoub a reconnu la persistance de problèmes non résolus impactant la rentrée scolaire. Il a toutefois estimé que la majorité de ces problèmes « sont d’ordre technique et nécessitent une volonté collective ». « Nous avons besoin du soutien des donateurs pour aider les enseignants des secteurs public et privé », a-t-il lancé, ajoutant qu’à force de persévérance et de coopération, il est possible « de sauver l’année scolaire », car le Liban ne peut supporter une troisième année scolaire « exceptionnelle ». C’est en effet ce refus de voir leurs enfants « rater une troisième année d’apprentissage » qui pousse les parents à cautionner la décision d’ouvrir les écoles, encouragés par les instances sanitaires internationales. « Cette décision part assurément d’une bonne intention du ministre Majzoub, car le secteur éducatif ne doit plus fermer ses portes », assure Maya Geara, présidente du comité de parents d’élèves au collège Saint-Grégoire et conseillère légale d’un regroupement de comités de parents d’élèves de l’école privée. Et comme les Libanais ne peuvent pas compter sur l’État, c’est « sur la solidarité qu’il faut désormais compter pour résoudre les problèmes de carburants, de transport scolaire, d’écolage, de salaires d’enseignants ». Une solidarité que le secteur privé espère de la part de la communauté internationale et des anciens élèves. Sauf que cette solidarité peine à se concrétiser.
L’adaptation et la débrouille face à la crise
Dans l’attente, les comités de parents d’élèves s’organisent pour secouer les instances étatiques. « Nous, parents d’élèves, voulons un apprentissage digne de ce nom pour nos enfants, en présentiel », martèle Lama Tawil, présidente de l’Union des parents d’élèves et des comités de parents dans les écoles privées du Liban. Dans ce cadre, le syndicat a présenté une stratégie globale au ministre de l’Éducation, qui prenne en considération les besoins de l’ensemble de la famille éducative privée, et protège les droits des parents d’élèves, des enseignants et des institutions scolaires en ces temps de crise aiguë. « Nous n’accepterons les augmentations d’écolage qu’à la condition qu’elles servent à améliorer les conditions salariales des enseignants et à couvrir les dépenses opérationnelles des établissements. D’où la nécessité de budgets transparents », insiste Mme Tawil, rappelant que les parents d’élèves souffrent aussi de la crise au même titre que les enseignants. Nombre d’institutions éducatives privées supposément à but non lucratif auraient fait tellement de bénéfices au fil des ans.
Quant au carburant, problème majeur pour l’heure, « il doit impérativement être assuré aux écoles privées à coût subventionné, sachant qu’il doit servir en priorité au transport scolaire des élèves et des professeurs ». Dans la foulée, remontent les frais de fournitures, de manuels scolaires et d’uniformes qui atteignent des sommes vertigineuses. « Les directions devraient faire preuve de souplesse », préconise Mme Tawil.
Assurément, l’année scolaire s’annonce ardue. Mais au moins les élèves ne seront pas condamnés à l’enseignement en ligne qui a montré ses limites. « Seul l’apprentissage en présentiel peut sauver l’enseignement », insiste Al-Charif Sleiman, secrétaire général de l’Union des parents d’élèves et des comités de parents dans les écoles privées du Liban. « Car, de toute façon, la totalité des élèves du public n’ont rien appris à distance, de même qu’un tiers des élèves du privé », précise-t-il en se basant sur des études. Et puis les Libanais sont connus pour leur célèbre capacité d’adaptation. « Les gens vont finir par se débrouiller, même si c’est dur », estime-t-il. Une débrouille qui pourrait pousser certains à privilégier des écoles de moindre importance, aux scolarités moins élevées, et d’autres à transférer leurs enfants à l’école publique.
Une nouvelle réalité se met aussi en place. Dans l’incertitude face au déroulement de l’année scolaire, et craignant une aggravation des pénuries, de nombreux parents inscrivent leurs enfants à l’étranger ou se préparent à le faire. « Tant de familles de notre entourage pensent sérieusement quitter le pays à cause de la crise, craignant que leurs enfants ne perdent une année scolaire », constate Maya Geara. Nayla, dont les enfants sont scolarisés au collège Notre-Dame de Jamhour, les a inscrits aux États-Unis où elle a rejoint son époux. « Je me donne trois semaines pour décider si nous rentrons ou pas au Liban », avoue-t-elle, se disant attachée à la qualité de l’éducation délivrée par le collège libanais. Même chose pour Chantal, en visite en France avec ses enfants, qui se demande si elle ne ferait pas mieux de les inscrire à l’école là-bas. Si les cours sont assurés de manière normale au collège des Saints-Cœurs Sioufi, ils feront leur rentrée comme d’habitude. Mais il est hors de question que ses enfants fassent une troisième année à distance. « Ils n’ont pas retenu grand-chose l’année passée, lâche-t-elle. Et puis il faut compter avec les problèmes d’électricité et d’internet. C’est si angoissant ! »
commentaires (6)
Eh bien il suffira de partir 7 heures plus tôt de la maison. Facile. Et puis les transports vont coûter plus cher que l’école. Normal. Vive le Liban Fort. Je ne me suis jamais senti aussi bien pris en charge par les "autorités". Youpi! Tataratata tatata!
Gros Gnon
14 h 25, le 26 août 2021