Rechercher
Rechercher

Rien qu’une goutte dans l’océan

Allez, du nerf, les hardis marins partis du port d’Abadan, de Khorramshahr ou d’ailleurs, et dont on brûle de voir se profiler les tankers à l’horizon de nos mornes espérances ! Dans la singulière émulation énergétique dont notre pauvre pays est soudain l’objet, tout aussi fiévreusement attendus sont l’électricité jordanienne et le gaz égyptien démarchés par les États-Unis en collaboration avec la Banque mondiale, et qui devront nécessairement passer sous les fourches caudines de la Syrie.


Une transfusion de carburant par-ci, un peu de lumière par-là, dans le pathétique trou noir qu’est aujourd’hui le Liban ? Malgré les affres qu’ils connaissent dans leur vie quotidienne, nombre de nos concitoyens auront sans doute du mal à avaler l’amère pilule. Voilà des décennies en effet que l’Iran, avec l’aide active de sa milice locale, s’ingénie à déstabiliser le pays du Cèdre ; à en neutraliser ou phagocyter, l’une après l’autre, les institutions ; à le couper de son environnement naturel pour en faire une base avancée en Méditerranée orientale. Et voilà maintenant que la théocratie iranienne joue les bons Samaritains ; elle trouve même dans son soudain accès de générosité l’occasion de faire, sans trop de risques, un spectaculaire pied de nez au Satan américain qui l’accable de ses sanctions, notamment un embargo pétrolier.


En trois décennies d’occupation, la Syrie, quant à elle, a pompé à mort les ressources de notre pays, et elle continue de plus belle en drainant les produits de première nécessité subventionnés par l’État libanais. En octroyant un visa de transit à l’électricité et au gaz destinés au Liban, la voisine de l’est peut escompter elle aussi une faille inespérée dans le barrage des sanctions US. Elle obtient même, en prime, une reprise des contacts officiels avec Beyrouth, suspendus depuis le début de la révolution syrienne en 2011. Suspendus n’est en réalité que façon de parler puisque, tout au long des dernières années, des personnages absolument officiels ont souvent pris, de leur propre chef, le chemin de Damas pour s’y entretenir – le plus officiellement du monde, une fois de plus – avec leurs homologues syriens.


Ces grossières simagrées ne sont plus de mise. Dès lors, c’est avec la bénédiction expresse du pouvoir exécutif, consentie à titre exceptionnel, qu’une délégation ministérielle s’en va bientôt négocier les modalités de ce passage obligé par le territoire syrien qu’impose la géographie aux providentiels renforts venus d’Égypte et de Jordanie. Cornaquée par le non moins incontournable directeur de la Sûreté générale, elle regroupe les départements les plus fidèlement représentatifs du fiasco libanais : l’Énergie, qui n’a plus d’autre signe de vitalité que le nom ; les Finances, fauchées comme les blés ; et les Affaires étrangères, responsables de l’effroyable effacement diplomatique du Liban.


En se posant en bienveillants secouristes, l’Iran et la Syrie ne font en définitive que rembourser, sans qu’il leur en coûte grand-chose, une infime partie de ce qu’ils nous doivent en termes de nuisance : juste une goutte d’eau se parant d’innocence, dans un océan d’intrigues. Plutôt que de bouder leurs services, soyez donc prêt à rouler, sans état d’âme, à l’octane iranien, et éclairez-vous pleins tubes au courant relayé par les Syriens. Votre frustration, votre colère, votre rage, réservez-les, en priorité, aux inqualifiables dirigeants dont l’incompétence, la négligence, la veulerie et la corruption ont ruiné, affamé, poussé à l’exode une énorme partie de la population.


Ces gouvernants n’auront pas épargné à l’armée nationale la cuisante humiliation de l’assistance alimentaire internationale. Après les pays donateurs, c’est la Finul qui va lui fournir du matériel non létal, c’est-à-dire vivres, médicaments et carburants : navrante inversion des rôles, de là en effet où c’est elle qui était censée veiller à la sécurité et au bien-être des soldats de l’ONU stationnés à la frontière sud. Plus préoccupante encore est la question de l’équipement en armement d’une troupe confrontée à la multiplication des brèches sécuritaires, celles-ci revêtant souvent, de surcroît, un caractère sectaire.


Le Liban n’est certes pas l’Afghanistan ; mais la peu glorieuse retraite américaine de ce pays ne pouvait survenir à moment plus inopportun. L’épisode du formidable arsenal abandonné aux talibans ne manquera sans doute pas de raviver, à Washington, le vieux débat sur les livraisons d’armes au Liban, plus d’un lobby hostile craignant de voir celles-ci tomber en de mauvaises mains. Partout dans le monde, les images de la débandade de Kaboul étaient un remake de Saigon. Pour les Libanais échaudés, elles évoquent surtout le Beyrouth de 1983, déserté par la Force multinationale sous les coups du terrorisme.


Marines US en tête.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Allez, du nerf, les hardis marins partis du port d’Abadan, de Khorramshahr ou d’ailleurs, et dont on brûle de voir se profiler les tankers à l’horizon de nos mornes espérances ! Dans la singulière émulation énergétique dont notre pauvre pays est soudain l’objet, tout aussi fiévreusement attendus sont l’électricité jordanienne et le gaz égyptien démarchés par les États-Unis...