Plus d’un an de tractations stériles, de manœuvres dilatoires, de pressions locales et étrangères pour mettre sur pied un gouvernement. En vain. Même l’effroyable effondrement économique, financier et social généralisé n’a pas amené les hautes sphères du pouvoir à faire preuve d’un minimum de compassion à l’égard d’une population qui fait face à d’abjectes épreuves dans sa vie quotidienne.
Ce n’est certes pas la première fois, depuis une quinzaine d’années, que le pays est confronté à la politique du vide, à une paralysie délibérée des institutions de l’État et au non-respect des échéances constitutionnelles. Comme cela a été relevé à maintes reprises dans ces mêmes colonnes, une opération de déstabilisation aux multiples tentacules s’est manifestée peu après le retrait syrien et la série d’assassinats politiques de 2005, prenant la forme d’une succession d’actions « coup de poing » : la guerre de juillet 2006 provoquée par le Hezbollah ; la longue occupation du centre-ville de Beyrouth par le camp du 8 Mars ; la paralysie du Parlement ; l’offensive milicienne du 7 mai 2008 contre le courant du Futur et le Parti socialiste progressiste dans le secteur occidental de Beyrouth et la Montagne ; l’accord de Doha, qui a permis au Hezbollah de soumettre de facto le pouvoir central à ses desiderata ; l’implication directe du parti pro-iranien dans la guerre syrienne et les conflits de la région ; le maintien par ce même parti d’un climat belliqueux permanent à l’égard des pays qui traditionnellement se tenaient au côté du Liban en temps de crise ; le blocage de l’élection présidentielle pendant plus de deux ans (jusqu’en octobre 2016) ; le parrainage de vastes opérations de corruption qui sapaient à la base la gestion des affaires publiques ; et – cerise sur le gâteau – l’orchestration d’une contrebande à grande échelle vers la Syrie des produits subventionnés par la Banque du Liban, avec les graves conséquences que cela entraînait au niveau des réserves en devises et donc de la stabilité monétaire et économique du pays.
Un ancien ministre de l’Intérieur relevait récemment à cet égard que les Libanais font les frais d’une entreprise systématique et soigneusement programmée visant à empêcher l’émergence d’un État central digne de ce nom. Cette stratégie de déstabilisation constitue la pierre angulaire de la ligne de conduite du Hezbollah qui a fait le choix dès sa fondation au milieu des années 80 – comme le soulignent explicitement sa doctrine politique et sa charte fondatrice – d’être l’instrument de l’expansionnisme de la République islamique iranienne dans la région.
Face à cette opération de sape, le pouvoir central et certains acteurs locaux ont manifesté un manque total de courage politique et de responsabilité nationale. La realpolitik à la libanaise, les ego poussés à l’extrême, l’affairisme débordant et les petits calculs partisans auront fini par déshumaniser ceux qui sont censés détenir constitutionnellement les rênes du pouvoir mais qui, en réalité, se sont faits les agents d’exécution de la stratégie de déstabilisation.
Les obstacles qui sont dressés depuis plus d’un an sur la voie de la formation du gouvernement s’inscrivent manifestement dans ce contexte subversif global. Il serait en effet surréaliste que la mise sur pied d’une équipe ministérielle crédible continue de buter simplement sur une question de répartition des portefeuilles. Sauf que ce jeu finit par coûter très cher à la population, tant au sens figuré que réel.
Force est de relever face à cette donne que la solution radicale à une telle crise est tributaire de facteurs régionaux bien connus. Mais dans l’attente de l’heure du déblocage, qui viendra inéluctablement tôt ou tard, une sorte de résistance (pacifique) multiforme – politique, sociale, médiatique, culturelle, économique, etc. – devrait s’installer afin, dans l’immédiat, de limiter les dégâts et, en l’absence de l’État, d’organiser la vie quotidienne du Libanais, chacun dans sa région.
De manière concomitante, un « build-up » devrait se mettre en place afin de crier haut et fort à la face des puissances étrangères le rejet de la nouvelle tutelle que d’aucuns tentent d’imposer au pays. Ce rejet du fait accompli a un nom, que ne cesse de marteler fort à propos le patriarche maronite Béchara Raï : la neutralité.
En période de crise existentielle profonde, l’apport de chaque individu est vital. Chacun dans son domaine, aussi modeste soit-il. Car en définitive, ce sont les petits ruisseaux qui font le plus souvent les grandes rivières.
N.B. : avec cet éditorial, je tourne aujourd’hui la page de mon parcours journalistique à « L’Orient-Le Jour ». Un parcours qui aura duré plus de 42 ans et qui aura traversé les jours les plus durs et les plus éprouvants de la guerre et de la crise libanaises. Qu’il me soit permis à cette occasion de remercier d’abord les lecteurs et ensuite tous les membres de l’équipe de « L’OLJ » qui m’ont entouré et avec qui j’ai eu la chance de collaborer au cours de ces 42 ans. Au bout d’un long et dur labeur, l’on peut s’offrir une (très) courte pause, compte tenu des circonstances, mais je n’abandonne pas pour autant ma vocation de journaliste et je poursuivrai contre vents et marées la lutte pour un Liban souverainiste, neutre, pluraliste, libéral, ouvert sur le monde et surtout respectueux des libertés publiques et individuelles.
Comme toujours, une analyse excellente, claire et judicieuse ... qui va bien nous manquer désormais. Adieu et merci!
07 h 08, le 02 septembre 2021