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Campus - TÉMOIGNAGE

Je me suis sentie coupable, voire inutile

« Mon rêve est de quitter le Liban. J’ai très mal en le disant, mais je n’aspire désormais qu’à ça », explique Maria Nassif, étudiante en 3e année en pharmacie à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ).

Je me suis sentie coupable, voire inutile

Maria Nassif, étudiante en 3e année de pharmacie à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) : « Mon seul souci à l’heure actuelle est de savoir comment faire pour financer mes études dont les frais ont pratiquement doublé, que faire pour aider mes parents. D’ailleurs, parfois je me demande si je dois faire l’effort pour poursuivre mes études ! » Photo DR

En stage depuis sept mois dans une officine, Maria Nassif, étudiante en 3e année de pharmacie de 21 ans, avoue être très « déçue » de ce premier contact avec le terrain. Et pour cause. Survenu dans un contexte de crise, son stage, obligatoire dans le cadre de son cursus, s’est transformé en véritable galère. Étape importante et enrichissante, il devait en principe lui permettre, grâce à l’exercice répétitif, d’appliquer, entre autres, les connaissances et compétences qu’elle a acquises, de développer un bon jugement professionnel, des compétences de prestation de soins pharmaceutiques, d’orienter et conseiller le patient/client quant à l’usage du médicament prescrit…

Cependant, la réalité a été tout autre. Se trouvant, malgré elle, projetée en première ligne de la spirale infernale que traverse le pays en proie à une grave pénurie de médicaments, elle a effectué en quelque sorte son baptême de feu à l’heure où sillonner les pharmacies, faire la queue pour trouver le médicament prescrit et négocier pour obtenir une boîte supplémentaire pour ne pas être à court, est devenu le quotidien de quasiment tous les Libanais. Un calvaire mal vécu aussi bien par les patients que les professionnels du secteur et étudiants stagiaires en pharmacie. Frustrée et démoralisée par la tournure des événements, la jeune femme estime aujourd’hui que l’objectif de son stage n’a pas été réalisé. Elle s’inquiète surtout pour son avenir. « Ce que je regrette le plus, c’est de ne pas avoir eu l’opportunité de converser avec les patients comme il faut pour leur dispenser mes conseils, leur expliquer quand prendre quoi », confie-t-elle, avant de préciser : « Il y a quelques mois quand j’ai démarré mon stage, mon point de vue était totalement différent. Je pensais que la situation allait s’améliorer. Mais aujourd’hui, je ne vois plus le bout du tunnel. Mon seul souci à l’heure actuelle est de savoir comment faire pour financer mes études dont les frais ont pratiquement doublé, que faire pour aider mes parents. D’ailleurs, parfois je me demande même si je dois faire l’effort de poursuivre mes études ! »

Partagée entre le besoin « d’être reconnue pour ses compétences » et le désir de « servir son pays et aider ses concitoyens », elle a, au cours de ces derniers mois, été témoin des relations de plus en plus tendues entre pharmaciens et patients, les dérapages, violences et agressions s’étant multipliés récemment en raison de la crise qui s’aggrave de jour en jour. Si elle admet ne jamais avoir fait l’objet d’une menace directe, elle reconnaît quand même vivre sous stress tout le temps. « Je suis parfaitement consciente de ce que les gens endurent et je comprends leur attitude, leur colère, même leur agressivité surtout lorsqu’ils doivent repartir bredouilles après avoir parcouru les régions et fait une trentaine de pharmacies, avance-t-elle. À chaque fois, j’ai du mal à leur dire que je n’ai rien à vous donner. J’essaie de leur dire calmement que je n’ai pas le médicament, que je ne le cache pas. »

Pour l’heure, dans la plupart des pharmacies, les étagères sont presque vides. Il est pratiquement impossible de trouver de simples analgésiques, du lait infantile, des antibiotiques ou encore des traitements pour des maladies chroniques. Tout est en rupture de stock. « L’autre jour, un père voulait une boîte de lait pour son nouveau-né de 12 jours alors que je n’en avais pas. Je me suis sentie coupable, voire inutile. Bien que je sache que ce n’est ni de ma faute ni de la sienne, je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir mal, car je n’ai pas pu l’aider », déplore-t-elle. Et de poursuivre sur sa lancée : « Que faire quand les fournisseurs nous livrent uniquement cinq boîtes d’un médicament pour tout un mois alors que nous avons 50 patients qui le prennent ? À qui le donner ? »

À ses yeux, profit et santé ne font pas bon ménage

La jeune femme s’est ainsi trouvée contrainte d’endosser une grande responsabilité qui n’aurait jamais dû être la sienne. Elle a dû distribuer des comprimés à la pièce afin de dépanner l’ensemble de la clientèle. Parfois, aussi, en l’absence du médicament adéquat, elle a dû se contenter de conseiller à des patients d’éviter certains aliments et produits. Aujourd’hui, elle estime indispensable de repenser toute la politique sanitaire, de promouvoir les génériques et de sensibiliser le public à l’importance et la qualité de la production locale à plus d’un niveau, de la prescription jusqu’à la dispensation des médicaments. À ses yeux, profit et santé ne font pas bon ménage. En conséquence, il est plus qu’utile de poser des priorités, des médicaments chroniques et essentiels non fabriqués au Liban qui peuvent éventuellement faire l’objet de subventions tout en orientant les patients vers l’équivalent libanais. Une politique qu’elle a tenté elle-même d’appliquer dans l’officine, mais qui s’est heurtée à un refus catégorique de la part de certains clients, tous désireux d’obtenir le médicament importé. « C’est une question de culture et de confiance », estime-t-elle. « D’un côté, je comprends leur réticence et manque de confiance dans un pays comme le nôtre. Mais de l’autre, je n’arrive pas à comprendre pourquoi ils refusent une alternative tout aussi valable qui peut les sauver », ajoute-t-elle. 


En stage depuis sept mois dans une officine, Maria Nassif, étudiante en 3e année de pharmacie de 21 ans, avoue être très « déçue » de ce premier contact avec le terrain. Et pour cause. Survenu dans un contexte de crise, son stage, obligatoire dans le cadre de son cursus, s’est transformé en véritable galère. Étape importante et enrichissante, il devait en principe lui...

commentaires (1)

Il y en a certains qui auront toujours leurs médicaments, leur essence, leur électricité. On se demande qui...

Politiquement incorrect(e)

00 h 28, le 20 août 2021

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Commentaires (1)

  • Il y en a certains qui auront toujours leurs médicaments, leur essence, leur électricité. On se demande qui...

    Politiquement incorrect(e)

    00 h 28, le 20 août 2021

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