Moins de 24 heures après la décision de la Banque du Liban de lever totalement les subventions sur les hydrocarbures et qui a provoqué un tollé et la colère de la population, le chef de l'Etat, Michel Aoun, et le Premier ministre sortant, Hassane Diab, engagés dans un bras de fer avec le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, tentaient de trouver jeudi une issue à cette nouvelle crise.
Le président de la République, qui a convoqué ce midi M. Salamé à Baabda, a demandé à ce dernier de maintenir les subventions au taux de 3.900, alors que le Premier ministre sortant, Hassane Diab, a qualifié la décision du gouverneur de la banque centrale d'"illégale". Selon les informations de notre correspondante, Hoda Chedid, les responsables plancheraient sur le vote d'une loi qui autoriserait la BDL à puiser dans ses réserves obligatoires afin de maintenir les subventions en place.
Selon un communiqué du palais de Baabda concernant la réunion avec le patron de la BDL, "le président Aoun a insisté sur le fait que la décision (de lever les subventions) a des conséquences socio-économiques graves sur tous les plans (...)". Il a rappelé que le Conseil supérieur de défense qui s'est réuni hier n'a pris aucune décision au sujet des subventions car cela n'est pas de son ressort. Le président Aoun a ensuite demandé à Riad Salamé de respecter les décisions du gouvernement qui prévoient le subventionnement des hydrocarbures sur la base du taux de 3.900 LL au lieu de 1.500LL et la levée de ces subventions une fois la carte d'approvisionnement pour les familles les plus démunies votée. Le chef de l'Etat a aussi demandé au gouverneur de la BDL de coordonner toutes ses décisions avec le pouvoir exécutif, comme prévu par la Constitution. Selon les informations de notre correspondante Hoda Chedid, M. Salamé a toutefois fait savoir au chef de l'Etat qu'il ne pouvait plus maintenir les subventions en place sans devoir puiser dans les réserves obligatoires au sein de la BDL, affirmant que cela nécessiterait le vote d'une loi au Parlement. Une interprétation de la réglementation en vigueur qui ne fait toutefois pas l'unanimité.
A sa sortie du palais de Baabda, le convoi de M. Salamé a été la cible de jets d'œufs de la part d'une poignée de protestataires.
"Décision unilatérale"
Plus tôt jeudi, Hassane Diab avait qualifié d'"illégale" la décision du gouverneur de la BDL et avait demandé au ministre sortant des Finances, Ghazi Wazni, de notifier M. Salamé de cela. Le chef du gouvernement sortant a rappelé à la banque centrale que la levée des subventions devait se faire graduellement en attendant la mise en place de la carte d'approvisionnement pour les Libanais les plus démunis, un mécanisme qui n'a toujours pas été finalisé.
Une réunion s'est dans ce contexte tenue au Grand sérail afin de plancher sur la question des subventions et tenter de trouver une sortie de crise, à travers l'élaboration d'un projet de loi par le gouvernement, selon notre correspondante. Au début de cette réunion, M. Diab a affirmé que le gouverneur de la banque centrale a pris "unilatéralement" la décision de lever les subventions. "Le pays ne peut pas supporter les graves répercussions d'une telle décision", a-t-il estimé, notant que les retombées de cela affecteront "tout, y compris les moyens de subsistance et la santé des citoyens, l'économie, ainsi que les institutions de l'État".
A l'issue de la réunion, le ministre sortant de l'Industrie, Imad Hoballah, a affirmé que la décision de la BDL était "surprenante et irresponsable" et que les personnes réunies "tiennent pour responsable le gouverneur de la BDL des conséquences catastrophiques de la levée des subventions". Selon M. Hoballah, "les solutions objectives qui peuvent sortir le Liban de sa crise profonde résident d'abord dans l'accélération de la formation d'un gouvernement qui reprendra les négociations avec le Fonds monétaire international". Le ministre a rapporté que les personnes réunies sont d'accord sur le fait qu'il était important que "les subventions se poursuivent" et qu'il fallait "commencer le rationnement dès la mise en application de la carte d'approvisionnement". Le ministre a aussi indiqué qu'il "n'y a pas eu de modification des prix des produits dérivés du pétrole. En outre, il a été décidé lors de la réunion de "charger les ministères concernés de préparer un scénario qui distinguerait les subventions selon les différents types de carburants. Il y aurait ainsi, à titre d'exemple, un prix pour l'essence à 98 octane non subventionnée et un autre pour l'essence à 95 octane subventionnée".
Alors que le pays souffre d'une grave crise depuis l'été 2019, les liquidités de la BDL ont atteint un seuil critique et celle-ci ne parvient plus à maintenir les subventions aux denrées essentielles mises en place depuis le début de la crise. Riad Salamé est également la bête noire du chef de l'État et du parti qu'il a fondé, le Courant patriotique libre, qui l'accusent d'être responsable de la crise actuelle. Dans un communiqué publié jeudi matin, la BDL a défendu sa décision de lever les subventions, estimant qu'"il est temps de passer des subventions des matières qui profitent aux commerçants et aux accapareurs, au soutien direct aux citoyens".
Un "crime qualifié"
Le chef du CPL, Gebran Bassil, a réagi à la décision de la BDL en critiquant Riad Salamé. "Lorsque la carte d'approvisionnement est devenue quasi prête et le gouvernement près d'être formé, le gouverneur a pris une décision explosive, avec le soutien de ceux qui ne veulent pas de gouvernement. Salamé est le gouverneur de la banque centrale mais pas le gouverneur du pays pour se permettre seul de lever subitement les subventions ! Le président de la République et le Premier ministre ainsi que la population doivent empêcher le complot. Il s'agit d'un crime qualifié et ses auteurs doivent être arrêtés", a estimé M. Bassil dans un tweet publié dans la nuit de mercredi à jeudi. "La Banque du Liban est un organisme public indépendant qui dépend toutefois du gouvernement et de ses décisions. Le gouvernement a décidé de lever les subventions de manière graduelle et une loi a été votée pour la mise en place d'une carte d'approvisionnement dont le mécanisme a commencé à être mis en place. La décision unilatérale du gouverneur de lever complètement les subventions est contraire à la décision du gouvernement et à la loi votée par le Parlement. Il s'agit d'un nouveau putsch. J'appelle le CPL et les gens à se préparer à la mobilisation", a conclu M. Bassil, dans un nouveau tweet ce matin. Peu avant 11h, le chef du CPL a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a réitéré ses critiques à l'encontre de Riad Salamé. "Le génocide à l'encontre de la population doit cesser!", a martelé M. Bassil.
Le parti démocratique libanais du leader druze Talal Arslane a de son côté affirmé être en faveur de la mise en place d'une carte d'approvisionnement pour remplacer les subventions, mais il a estimé que la décision prise hier de lever celle-ci était "calculée et avec des objectifs connus", sans expliciter ce qu'il sous-entend.
Sans attendre l'appel à la mobilisation du chef du CPL, des Libanais en colère ont bloqué plusieurs axes routiers, du Nord vers le Sud, en passant par la Békaa. La plupart des stations-services ont pour leur part fermé leurs portes, en attendant la nouvelle tarification de l'essence. Des boulangeries ont également baissé le rideau ou ne servaient leurs clients qu'au compte-goutte, comme rapporté par notre correspondant dans le Sud, Mountasser Abdallah. Des points de vente de bonbonnes de gaz ont également suspendu leur travail aujourd'hui, signe de l'aggravation de la crise.
Dans ce contexte, le procureur général financier, Ali Ibrahim, chargé les forces de sécurité de patrouiller pour contrôler toutes les stations sur le territoire et s'assurer qu'elles ont bien écoulé tous leurs stocks d'essence et de mazout.
Annoncée par certains médias dès lundi, la levée des mécanismes de subventions sur les importations de carburant a été confirmée hier soir en deux temps. Dans un premier temps, à travers une déclaration attribuée au gouverneur de la Banque centrale, tenue lors d’une réunion dans l’après-midi du Conseil supérieur de défense. Puis en milieu de soirée, via un bref communiqué du service de presse de la BDL confirmant qu’à partir de jeudi 12 août, celle-ci échangera les devises destinés aux importateurs selon selon le "taux du marché". Elle n’a pas précisé toutefois s’il s’agissait de celui du marché parallèle (environ 20 000 livres pour un dollar ces derniers jours) ou celui de la plateforme Sayrafa (17 400 LL/USD). Cette dernière a été lancée il y a un peu plus d’un an, officiellement pour tenter de limiter l’influence du marché noir sur le taux dollar/livre. Elle a intégré les établissements bancaires depuis le printemps dernier.
Les réserves en devises étrangères de la BDL ont fondu de plus de moitié depuis le début de la crise à l'automne 2019, passant de 32 milliards de dollars à environ 15 milliards aujourd'hui.
commentaires (17)
Dans votre article, il est question de constitution. L'auteur peut-il aller au bout et citer l'article et le cas échéant interroger un juriste (anonyme bien évidemment comme tout le monde au Liban)? Il est regrettable de s'arrêter en si bon chemin. Par ailleurs, je trouve scandaleux l'attitude de la diaspora qui ne donne pas assez au lieu de puiser dans les réserves. Pour ce qui est des "pays amis", je les invite à transférer leur aide directement dans les comptes étrangers des politiques. Cher président Aoun, j'espère que tu trouveras le courage de laisser toute la classe moyenne quitter le pays avant l'arrivée au pouvoir de ton gendre. Il faut que le pays soit débarassé de tous ces ingrats.
Georges Olivier
22 h 27, le 12 août 2021