Hommages

Un sage ordinaire

Sa manière d’être le rapprochait des hommes ordinaires. En apparence seulement. Car Farès Sassine était un être érudit, un analyste chevronné, un lecteur insatiable et un homme de dialogue. Ayant l’humilité d’un sage et une âme d’enfant.

Un sage ordinaire

Le bureau est plutôt petit. Sobre. Peut-être deux ou trois tableaux, mais la blancheur des murs tranche. La poignée de main est franche et solide. Comme lui. Avec le sourire, il m’invite d’un geste à prendre place. De l’autre côté du bureau, son visage est présent avec cette tension pacifique de la pensée entre les sourcils. Ce souvenir remonte à 2002 ou 2003. Nous sommes dans les locaux des éditions Dar an-Nahar que Farès Sassine dirigera jusqu’en 2012. La plaquette de mon second recueil de poésie, à paraître, est posée sur la table, les rebords des pages légèrement écornés. Certains vers sont annotés. D’emblée, il me questionne sur le titre choisi : La Naissance du dé. Il aborde différents poèmes, la syntaxe, les thématiques, la chronologie des morceaux.

Farès Sassine prenait à cœur ses responsabilités. Dont celle d’éditeur. Et de passeur entre disciplines et entre générations. Son choix minutieux des mots : tapuscrit et non manuscrit. Son œil aiguisé repère les coquilles : saupoudrer et non pas soupoudrer. Son immense savoir est perceptible. Pourtant, nulle prétention ou grands discours. Son accueil de la jeunesse est juste. Farès Sassine perçoit l’émotion des débuts, mêlée de peur et de passion. Il a ce sourire bienveillant et discret. Qui trace la confiance. Rien de précipité. Chaque étape du dialogue est importante.

Farès est un homme de dialogue. Il a le goût de la parole et de l’écoute. Le goût du partage et des rencontres vraies. Spontanément, il dit le nécessaire. Et tout ce qu’il a lu, écrit, pensé et qu’il continuera le long des années, à lire, écrire, réfléchir, est pour lui un chemin d’apprentissage et d’humilité. C’est peut-être l’espace et la temporalité de ce cheminement intellectuel et spirituel de toute une vie, qui donnent une empreinte de lointain à son sourire. Et la distance toujours cordiale et attentionnée qui le relie à son interlocuteur.

En dehors de ce temps d’édition de mon recueil où nous eûmes des occasions régulières d’échanger, je n’ai fait que revoir, sur de courts moments, Farès Sassine, du fait de nos collaborations respectives à L’Orient littéraire. Moments toujours intéressants et néanmoins simples, baignés par sa pudique espièglerie et son humour. Toujours égal à lui-même. Et pourtant un halo différent flotte autour de lui. Un halo si fluide qu’on le croirait absent. Car Farès Sassine est un être érudit, un analyste chevronné, un lecteur insatiable, pour tout ce qui concerne au moins la philosophie, l’histoire, les sciences politiques, la littérature, les arts. Cependant, sa manière d’être le rapprochait en apparence des hommes ordinaires. Fait particulier car Farès Sassine était non seulement un grand esprit mais surtout un grand esprit dépourvu d’ego surdimensionné et de tendances à dominer ou séduire par le savoir, le statut et/ou le genre. Un sage membre du clan secret des gardiens du patrimoine culturel universel.

À chaque fois que je l’ai croisé, même des années plus tard, cette première rencontre m’est revenue à l’esprit. Lorsque j’apprends son décès, c’est ce souvenir aussi, éclairé par le sourire sur son visage, qui m’a retrouvée. Et ses yeux, à l’expression finalement difficile à décrire, pensifs derrière l’épaisseur de ses verres de correction. Et sa bonté. Son accent libanais pris dans l’amour des mots. Quelque chose d’une âme d’enfant. Avec une part invisible toujours plongée dans les livres.

À l’aune de la date douloureuse du 4 août, relisons ce qu’écrit Farès Sassine suite à la proclamation de Beyrouth, Capitale mondiale du livre, en 2009 : « Car Beyrouth n’est pleinement Beyrouth que lorsqu’elle relève les défis, qu’elle se dégage des impasses (…). Il existe à Beyrouth et au Liban une diversité, une liberté, des possibilités d’interactions et des capacités créatrices qui permettent de relever ces défis. Mais les tâches importantes qu’il nous incombe à nous tous d’accomplir, requièrent une créativité novatrice et une collaboration rationnelle afin de pouvoir, munis du livre et de la culture, donner de la voix dans ce siècle nouveau menacé d’obscurantisme. »


Le bureau est plutôt petit. Sobre. Peut-être deux ou trois tableaux, mais la blancheur des murs tranche. La poignée de main est franche et solide. Comme lui. Avec le sourire, il m’invite d’un geste à prendre place. De l’autre côté du bureau, son visage est présent avec cette tension pacifique de la pensée entre les sourcils. Ce souvenir remonte à 2002 ou 2003. Nous sommes dans les...

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