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Culture - Performance

L’autre bataille, dans l’art, de Perla Joe Maalouli...

À la faveur de son titre « Corrupted Matter / Mawad Fased », qui s’inscrit dans son projet « Wujud », l’activiste chevronnée Perla Joe Maalouli se retire de son combat dans la rue, mais continue à batailler autrement, à la force de son art et ses cordes vocales...

L’autre bataille, dans l’art, de Perla Joe Maalouli...

Perla Joe Maalouli : « C’est un véritable parcours cathartique que j’ai pensé. »

La dernière fois que nous avions écrit à propos d’elle dans ces colonnes, c’était en décembre 2019. À l’époque, la thaoura battait encore son plein, rajoutant chaque jour une petite pierre au chantier démarré le 17 octobre 2019, et Perla Joe en était l’une des femmes-orchestres. Sans relâche, liant le jour à la nuit, cette activiste de 28 ans se pointait quotidiennement sur la ligne de front d’où elle invitait, à la force de ses cordes vocales bien musclées, les Libanais exaspérés par leur malgouvernance à se joindre aux rangs du soulèvement populaire. De lassitude, par peur ou à cause de la pandémie, alors que la rue se calmait un peu, désertée par des rebelles occupés à survivre au cœur des crises successives qui s’abattaient sur le Liban, Perla Joe Maalouli, elle aussi, s’est retirée des places dont elle était devenue l’une des figures les plus marquantes. « Mais je n’ai jamais arrêté de me battre, loin de là. J’ai simplement transposé mon combat de la rue à mon art en utilisant toujours ma voix comme j’ai pu le faire lors des premiers mois de la révolution », nuance celle dont le dernier titre, Corrupted Matter / Mawad Fased, dénonce, avec l’effet d’une claque, cette matière corrompue qui a envoyé la ville en éclats et résonne aussi fort que tous les coups, tous les cris qu’elle a pu asséner dans la rue.

La matière de l’enfer

Comme ça, sur le papier, on pourrait croire que l’on a affaire à l’un(e) de ces artistes qui, quoique bien intentionnés, surfent sur la vague de la situation au Liban et crachent sur l’establishment, histoire de se faire une petite renommée. Loin de là. D’ailleurs, avant même que l’on n’aborde l’aspect artistique de la démarche de Perla Joe Maalouli, arrêtons-nous un instant sur l’intention et la démarche de son projet dont elle raconte la genèse de la sorte : « Même si j’ai piloté cette idée de A à Z et que j’y ai mis tout mon cœur, mon but n’était pas de me placer au centre de cette chanson, mais d’en faire plutôt une expérience collective, à l’heure où tout le monde se sent un peu seul, un an après la double explosion du 4 août. »

En septembre dernier, secouée par une tempête d’émotions qu’elle avait du mal à canaliser, l’artiste-activiste se pose devant une page blanche où, par magie, jaillissent les paroles de Corrupted Matter / Mawad Fased. Il y est question, bien entendu, de ce foutu nitrate d’ammonium dont l’appellation suffit, à elle seule, à faire ressurgir tous les fantômes et les cauchemars du 4 août 2020. Cette substance-là, « près des plages, des maisons, des familles et des enfants », comme le disent les paroles de la chanson, Perla Joe l’imagine être celle dont la classe politique est faite. Une matière de l’enfer puisque l’enfer leur sied si bien. Mais une fois ces mots jetés, presque vomis, sur cette page blanche, l’artiste les range au fond d’un tiroir, jusqu’à ce qu’août revienne à pas de loup et que « je réalise que j’ai un devoir d’artiste. Il fallait que je fasse quelque chose de cette chanson ». C’est ainsi qu’au courant du mois de juillet, Perla Joe invite une flopée d’amis, de connaissances, tous portant à bout de bras ce trauma du 4 août, à prendre part à son projet qui prend aussitôt la forme d’une expérience thérapeutique collective. Cette expérience-là, elle l’instigue au sein de « Wujud », ce projet pluridisciplinaire où l’artiste a l’habitude de s’exprimer par le biais de la musique et l’expression artistique.

Beyrouth au cœur brisé, en couverture de « Corrupted Matter ». Photos DR

Un cocon au milieu de l’angoisse

Sans savoir ce qui les attend, ces rescapés de la double explosion se rendent à tour de rôle à Station Beirut où la créatrice de Corrupted Matter leur avait préalablement préparé un safe space, sorte de cocon rassurant au milieu de l’angoisse ambiante. « C’est un véritable parcours cathartique que j’ai pensé. Déjà, en arrivant, je leur ai tous posé cette même question : Vous allez comment, vraiment ? Parce que je pense que même si on répète toujours cette question par automatisme, on ne se la pose plus vraiment. Simplement parce que nous n’avons pas le temps de réfléchir à notre état d’âme. Ou que nous avons peur de le faire », explique-t-elle. Une fois ses invités installés sur un siège au milieu du cocon dont le sol est tapissé de coton, Corrupted Matter est jouée.

Pour mémoire

Perla Joe Maalouli, gardienne de(s) but(s) de la révolution

« Un seul mot d’ordre leur a été donné : ne vous retenez pas de ressentir ce que vous devez ressentir. » Les invités à cette expérience découvrent alors, pour la première fois, ce titre qui réussit à la fois à maudire le pouvoir en place et envelopper Beyrouth, ses habitants, dans une mélodie chaude et lancinante. C’est de là, précisément, qu’émane toute sa puissance. De fait, à mesure que les paroles s’égrènent, parfois tendres comme une étreinte, parfois rocailleuses comme des claques, les mots se distordant au gré des cordes vocales de Perla Joe, tout se lit sur les visages des invités filmés. Tout se lit dans leurs expressions faciales qui passent de la colère à la tristesse puis à quelque chose qui ressemble à un soulagement. Tout se lit dans leurs regards qui retiennent des larmes puis qui craquent, et leurs gorges qu’on voit se serrer puis qui se dénouent comme si elles venaient de se dégager d’un poids. Le 4 août 2021, à 18h07 précises, Perla Joe s’est pliée à un exercice similaire. Cette fois-ci, elle était seule sur le toit de son immeuble, à chanter Corrupted Matter dans le silence de sa ville. Pour Beyrouth. En espérant qu’elle se dégagera, elle aussi, comme les invités du clip de Perla Joe, de ce lourd serrement de cœur.

* Disponible sur toutes les plateformes légales de streaming

La dernière fois que nous avions écrit à propos d’elle dans ces colonnes, c’était en décembre 2019. À l’époque, la thaoura battait encore son plein, rajoutant chaque jour une petite pierre au chantier démarré le 17 octobre 2019, et Perla Joe en était l’une des femmes-orchestres. Sans relâche, liant le jour à la nuit, cette activiste de 28 ans se pointait...

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