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Politique - Analyse

Hariri entre de plain-pied dans l’opposition au pouvoir

Le leader sunnite lance sa bataille contre le camp présidentiel à travers une proposition de levée de l’immunité de tous les responsables.

Hariri entre de plain-pied dans l’opposition au pouvoir

Le chef du Futur, Saad Hariri, a présidé hier une réunion de son bloc parlementaire. Photo Dalati et Nohra

L’ancien chef de gouvernement et leader sunnite Saad Hariri a créé hier la surprise en réclamant la suspension de tous les textes constitutionnels et légaux relatifs aux immunités et en annonçant l’intention de son bloc parlementaire de soumettre à la Chambre une proposition d’amendement constitutionnel en ce sens.

L’objectif affiché de cette démarche est double, selon les explications que le leader sunnite a fournies durant sa conférence de presse à la Maison du Centre, au terme d’une réunion de son bloc parlementaire. Le premier est de faciliter l’accès à la vérité dans l’affaire de l’explosion cataclysmique du 4 août 2020 au port de Beyrouth, en abolissant les barrières que posent toutes les règles juridiques d’application obligatoire devant le juge d’instruction Tarek Bitar, afin de permettre à ce dernier d’auditionner tous les suspects dans le cadre de cette affaire. Le second est de barrer la voie aux « pêcheurs en eaux troubles » à l’origine, selon Saad Hariri, de la violente campagne menée depuis une dizaine de jours contre son parti politique. Le courant du Futur est accusé par ses détracteurs de chercher à obstruer l’enquête menée par Tarek Bitar, depuis que ses députés ont cosigné une pétition parlementaire pour que Ali Hassan Khalil, Ghazi Zeaïter et Nouhad Machnouk, les trois anciens ministres – aujourd’hui députés – inculpés dans le cadre de cette affaire, soient jugés devant la Haute Cour chargée de juger le président, les députés et les membres du gouvernement.

Le visage fermé, M. Hariri cachait mal son irritation face à une campagne « politique, médiatique et populaire injustifiée » à son encontre. Son ton trahissait toute son exaspération, mais aussi sa détermination à contre-attaquer. Car c’est sans doute là le véritable enjeu de l’initiative haririenne. Le leader sunnite qui a tourné le 15 juillet une page de sa carrière politique lorsqu’il a fini par se récuser, au bout de neuf mois d’une mésentente et d’une épreuve de force ininterrompues avec le président Michel Aoun et son camp politique autour de la formation d’un nouveau gouvernement, vient ainsi d’en inaugurer une nouvelle, s’articulant autour de trois axes principaux.

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Tout d’abord, la décision de soumettre au Parlement une proposition d’amendement constitutionnel suspendant tous les textes qui se rapportent aux immunités peut être interprétée comme une tentative de corriger l’initiative maladroite que représente la signature de la pétition à travers laquelle le Parlement et donc la classe politique essaient, sous des prétextes juridiques, de court-circuiter l’enquête de Tarek Bitar. L’adhésion du courant du Futur à cette pétition, alors même qu’il n’avait lésiné sur aucun moyen pour s’assurer que l’assassinat de son fondateur, l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, ne sera pas relégué aux oubliettes, a suscité une vague d’indignation populaire qui a gagné son propre public et qui a poussé des membres de son bloc parlementaire, notamment Samy Fatfat et Dima Jamali, à retirer leur signature du texte contesté. Avec sa nouvelle initiative, Saad Hariri a rétabli la cohésion au sein de son bloc parlementaire en s’efforçant de calmer la colère de son public.

Un levier pour deux batailles

Dans le même temps, il est entré de plain-pied dans l’opposition au pouvoir, mais par le biais de l’enquête autour de l’explosion au port, qui devient ainsi un levier pour mener deux batailles : sa bataille électorale moins d’un an avant les législatives, prévues en principe en mai prochain, et sa bataille contre le camp présidentiel et ses alliés.

La proposition de loi haririenne met dans l’embarras tous les blocs parlementaires qu’on verrait mal ouvrir cette boîte de Pandore, dont ils risquent d’être les premières victimes. Face à une opinion publique violemment montée contre les partis traditionnels, notamment après le cataclysme du 4 août, ils y regarderaient à deux fois avant de s’exprimer au sujet de la suspension des immunités. D’aucuns estiment d’ailleurs que le texte ne fera pas son chemin jusqu’à la Chambre et se basent pour cela sur le précédent suivant : lorsque, dans la foulée du soulèvement populaire d’octobre 2019 et de la prétendue lutte – de courte durée – contre la corruption lancée par les autorités, le député Hassan Fadlallah (Hezbollah) avait soumis au Parlement trois propositions d’amendement constitutionnel et de loi pour que les ministres soupçonnés d’actes de corruption puissent être poursuivis devant une juridiction ordinaire, les membres des principaux blocs s’étaient retirés de la séance parlementaire, provoquant un défaut de quorum qui avait à l’époque poussé le président de la Chambre, Nabih Berry, à renvoyer les trois textes au « cimetière des lois » que sont les commissions, où ils reposent depuis.

Dans le même temps, une suspension des immunités permettrait à Tarek Bitar non seulement d’auditionner les personnes contre qui il a engagé des poursuites, mais d’étendre ses interrogatoires pour atteindre éventuellement le président Michel Aoun, qui avait reconnu quelques jours après l’explosion avoir été notifié du danger du nitrate d’ammonium à l’origine du cataclysme. Le chef de l’État avait cependant argué du fait que ses prérogatives ne lui permettaient pas d’intervenir directement pour ordonner que ces matières soient évacuées du port et expliqué qu’il avait chargé ses conseillers militaires de suivre l’affaire.

Dans son édition d’hier, le quotidien Acharq el-Awsat s’est étendu d’ailleurs sur ce point précis, sous la plume du journaliste Mohammad Choucair. Ce dernier cite des sources parlementaires qui insistent en particulier sur la responsabilité éventuelle du chef de l’État et ses tentatives de soustraire à l’enquête un des inculpés, le général Tony Saliba, directeur de la Sûreté de l’État.

Décision exceptionnelle

Pour en revenir à la conférence de presse de Saad Hariri, le chef du courant du Futur a expliqué de la sorte l’importance de sa proposition : « La décision exceptionnelle qu’il faut prendre est la suivante : une proposition (de loi) pour suspendre tous les articles constitutionnels et légaux accordant une immunité ou des procédures spéciales de jugement pour le chef de l’État, le Premier ministre, les ministres, les députés, les juges, les fonctionnaires et même les avocats. Que ceux qui veulent la vérité nous rejoignent et cessent la surenchère », a martelé le leader sunnite.

Commentant l’état actuel de l’enquête, il a mis en garde contre une multitude de procédures qui seraient mises en place si les immunités ne sont pas levées. « Ce dossier, s’il poursuit sa trajectoire actuelle, en vertu de la Constitution et des lois, se retrouvera devant trois instances : la Haute Cour chargée de juger les présidents et les ministres, la cour de justice et la Cour de cassation. Est-ce acceptable ? » s’est indigné le chef du courant du Futur. « Celui qui a réclamé dès le premier jour une enquête internationale afin que les immunités tombent ne peut pas être accusé en fin de compte de protéger les coupables », s’est défendu le leader sunnite. Le président de la République Michel Aoun avait clairement exclu une enquête internationale après le drame, estimant qu’une telle enquête « diluerait la vérité ». Mais au vu de l’impasse actuelle, les critiques à l’encontre de la classe au pouvoir sont loin de se calmer.

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Au début de sa conférence, Saad Hariri a ainsi rejeté les accusations contre sa formation. « Que personne ne fasse de la surenchère à nos dépens au sujet de l’explosion du 4 août. Nous savons ce que c’est que de perdre des proches. Nous sommes fils et frères de martyrs », a-t-il lancé, en faisant référence à son père Rafic Hariri, tué dans un attentat à la bombe en 2005. « Certains disent que le courant du Futur a signé une pétition contre la levée des immunités parlementaires, mais cela est le summum du mensonge. Il y a des lois et des règlements au Liban, et ce n’est pas Saad Hariri ni le courant du Futur qui les ont mis. Lorsque la Constitution dit que le président de la République bénéficie de l’immunité (…), ce n’est pas Saad Hariri qui a édicté cela. De même pour l’immunité du Premier ministre et des députés », s’est-il défendu. « Nous sommes face à des textes de loi que nous sommes obligés d’appliquer. Mais cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas la vérité. Les martyrs tués dans l’explosion sont tous mes proches », a insisté l’ex-Premier ministre.

L’ancien chef de gouvernement et leader sunnite Saad Hariri a créé hier la surprise en réclamant la suspension de tous les textes constitutionnels et légaux relatifs aux immunités et en annonçant l’intention de son bloc parlementaire de soumettre à la Chambre une proposition d’amendement constitutionnel en ce sens.L’objectif affiché de cette démarche est double, selon les...

commentaires (11)

Mais bien sûr on y croit tous!

camel

19 h 03, le 28 juillet 2021

Tous les commentaires

Commentaires (11)

  • Mais bien sûr on y croit tous!

    camel

    19 h 03, le 28 juillet 2021

  • Hariri a donné un grand coup de pied dans la fourmilière travailleuse et active pour empêcher toute approche de la justice sur le dossier de l’explosion de 4 Août2020. Il va y avoir des insomnies qui s’annoncent en vue de la levée de l’immunité collective, des sueurs chaudes et des larmes seront versées par les coupables qui, se cachaient derrière une immunité espérant échapper à jamais à la justice. Sauf bien sur des affiliés du Hezb qui ont une immunité inébranlable à vie : C’est là où le bat blesse comme d’habitude.

    Le Point du Jour.

    17 h 21, le 28 juillet 2021

  • Inventaire des pertes humaines de Saad Hariri : -Rafic Hariri -Wissam Eid -Wissam Hassan -Walid Eido et Fils aîné -Mohammad Chatah Etc……..pardon la liste est longue des morts pour la vérité et La Défense du Liban et tant que l’on ne respectera pas Saad pour cela le Liban est foutu et mon pognon avec!

    PROFIL BAS

    11 h 41, le 28 juillet 2021

  • Le gendre aussi veut une justice transparente et juste. C’est pour dire à quel point ils sont hypocrites. Les libanais ne sont pas tombés de la dernière pluie et ne croient plus que ce qu’ils voient comme actes concrets sur le terrain. On nous a tellement gavé de bonnes intentions qu’on arrive à vomir tout ce qui vient d’eux pour nourrir notre enthousiasme.

    Sissi zayyat

    11 h 02, le 28 juillet 2021

  • Je suis à 100% d’accord avec tout ce que Hariri a dit. Reste à savoir si ça n’est pas une tactique de plus pour acculer les adversaires et les obliger à accepter ses conditions sur d’autres affaires. Ils ont été tellement loufoques tous, que nous avons du mal à voir une quelconque bonne volonté émanant d’un d’eux pour sauver le pays et le peuple. Ils disent tous vouloir la transparence et une vraie justice pour condamner les coupables dans tous les crimes commis mais dès qu’un soupçon d’enquête se met en marche et que l’un d’eux ou de leur bord est convoqué par un juge il change de discours criant à la politisation. On ne les connaît que trop pour prendre pour argent comptant ce qu’ils promettent et croire à leurs discours.

    Sissi zayyat

    10 h 59, le 28 juillet 2021

  • L’explosion du port ne se réglera qu’avec une enquête internationale car une recherche interne mènera inévitablement à qui vous savez et vous savez ce que vous savez pour ceux qui savent!

    PROFIL BAS

    10 h 03, le 28 juillet 2021

  • BONNE INITIATIVE DE HARIRI. ILS LES A ACCULES. ET LA CORRUPTION DE CE SEXENNAT SERA MISE A JOUR. TROP DE MAFIEUX DE TOUS BORDS Y SONT CONCERNES ET TOUT SERA FAIT POUR FAIRE ECHOUER CETTE INITIATIVE. ON NE DRESSE PAS SOI-MEME SES GIBETS. C,EST LE DEVOIR DU PEUPLE VOLE, APPAUVRI ET AFFAME DE RECLAMER ET D,IMPOSER PAR TOUS LES MOYENS LA LEVEE DES IMMUNITES POUR JUGER, CONDAMNER ET RECUPERER LEURS ECONOMIES VOLEES PAR LES CLIQUES MAFIEUSES DE TOUS CALIBRES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 15, le 28 juillet 2021

  • quand vous etiez encore du cote du pouvoir ,pourquoi avez vous conseille a Hassan Diab de ne pas se presenter devant le juge d'instruction Tarek Bitak?

    Jimmy Barakat

    06 h 49, le 28 juillet 2021

  • Venant de celui qui il y a peu poussait des cris d'orfraie lorsque Hassane Diab avait été convoqué par le juge Sawwan, ce nouveau virement populiste souffre d'un manque total de crédibilité. Un vrai comportement de aouniste quoi...

    Gros Gnon

    04 h 53, le 28 juillet 2021

  • QUE LA FÊTE COMMENCE POUR LIBÉRER LES JUSTICIERS. EN ESPÉRANT TROUVER LE PROPRIÉTAIRE DU POISON ET LA CAUSE DE L'EXPLOSION.

    Gebran Eid

    03 h 12, le 28 juillet 2021

  • Les mains libres pour contre attaquer Aoun. Saad a tout à fait raison. Ne le ménage pas.

    Esber

    02 h 07, le 28 juillet 2021

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