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Économie - Crise du carburant

Les industriels vont importer leur propre mazout

Entre 5 000 et 10 000 tonnes de combustible pourraient être fournies en août aux industriels qui ne parviennent pas à s’approvisionner sur le marché local.

Les industriels vont importer leur propre mazout

Le vice-président de l’Association des industriels libanais (AIL), Georges Nasraoui (g), le ministre sortant de l’Industrie, Imad Hobballah (c), et Ziad Bekdache (d), également vice-président de l’AIL, présents hier à la réunion. Photo M.A.

Ces dernières semaines, les difficultés liées aux pénuries combinées d’électricité et de carburant qui alimentent la colère et la frustration des ménages comme des entrepreneurs libanais, tous secteurs confondus, ont souvent fait la une de l’actualité. Et plus particulièrement le manque de mazout, un combustible consommé par les générateurs qui permettent aux Libanais de s’alimenter en courant pendant les heures de rationnement imposé par Électricité du Liban (EDL).

Cette double peine infligée alors que l’économie est exsangue a poussé l’Association des industriels libanais (AIL) à se mobiliser hier aux côtés du ministre sortant de l’Industrie, Imad Hobballah, pour alerter le reste des autorités sur les conséquences dramatiques de la situation actuelle aussi bien pour la survie des entreprises concernées que pour des impératifs de « santé publique et de sécurité alimentaire », selon les termes du vice-président de l’AIL, Ziad Bekdache. Les industriels semblent désormais déterminés à se débrouiller par leurs propres moyens et ont annoncé la mise en place, avec l’aide du ministre sortant, d’un mécanisme d’importation directe de mazout, en dollars frais ou en livres au taux du marché parallèle, sur lequel un billet vert s’échange contre 18 600 livres selon le site lirarate.com, après un pic à 24 000 livres il y a deux semaines.

Pénurie de mazout

La mise en place de ce mécanisme fait suite à l’annonce de Imad Hobballah faite le 19 juillet et qui indiquait que les industriels auraient désormais le droit d’importer directement du mazout « sans accord préalable » de l’État. Le ministre avait considéré que la mise en place de ce mécanisme d’exception ne risquait pas d’alimenter la contrebande de mazout, qui fait partie des facteurs qui aggravent la pénurie (que ce soit les acteurs qui stockent le mazout subventionné en attendant la levée totale des subventions ou ceux qui le revendent beaucoup plus cher en Syrie).

Les problèmes financiers du pays ont fortement perturbé les capacités d’EDL à acheter du fuel-oil et du gas-oil pour ses centrales. Comme ses tarifs sont figés depuis les années 1990 à un prix du baril bien inférieur à celui du marché, ces achats sont financés en grande partie par les avances du Trésor votées par le Parlement et décaissées par la Banque du Liban, dont les réserves de devises ont fondu depuis le début de la crise pour atteindre un niveau critique. La hausse du rationnement en électricité qui en a résulté a fortement augmenté la consommation de mazout des générateurs privés, que ce soit ceux qui sont gérés par des propriétaires tiers – des exploitants illégaux mais tolérés – ou ceux qui ont été acquis par des entreprises et des particuliers pour leur propre consommation.

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Or les importations de mazout sont subventionnées par des mécanismes mis en place par la BDL, qui puise dans les mêmes réserves de devises pour les faire fonctionner et ainsi limiter l’impact de la dépréciation de la livre libanaise sur les prix affichés sur le territoire. Face à la double pénurie résultant de cette combinaison de facteurs, de nombreux propriétaires de générateur ont également commencé à rationner leur production, en assurant ne pas trouver suffisamment de mazout sur le marché. Des décisions prises parfois collectivement comme à Aley, hier, ou à Beyrouth la semaine dernière, mais aussi individuellement – même si beaucoup ont fini par rétablir un certain niveau de service après un court laps de temps.

Mécanisme propre aux industriels

Franchement pénible pour les particuliers, cette situation est aussi lourde de conséquences pour les entreprises, ont martelé les industriels, soulignant que plusieurs usines avaient été obligées de fermer leurs portes momentanément en raison des problèmes cités. « Sans mazout, pas d’industrie », a déclaré de son côté Imad Hobballah. Le problème n’épargne aucun secteur. Le syndicat des propriétaires de supermarchés a récemment donné de la voix pour dénoncer cet état de fait. Hier, c’est le syndicat des éleveurs de volailles qui a lancé son propre « cri de détresse » dans un communiqué.

Il n’est donc pas surprenant dans ce contexte que les industriels aient décidé de prendre les devants, nombre d’entre eux ne parvenant pas à s’alimenter sur le marché local, que ce soit au prix officiel (fixé chaque semaine par le ministère de l’Énergie et de l’Eau) ou à ceux du marché noir (généralement calqués sur le taux dollar/livre du marché parallèle). Un constat rappelé sur place par un membre de l’association, Ibrahim Mallah, qui fait état de véritables disparités en fonction de l’identité du fournisseur concerné – tous ne parvenant apparemment pas à s’approvisionner au même rythme.

Les entreprises concernées par ces difficultés avaient ainsi jusqu’à hier soir pour communiquer à l’AIL les quantités de mazout dont elles auront besoin durant le mois d’août pour faire fonctionner leurs générateurs. Passé cette étape, l’association entrera directement en contact avec plusieurs importateurs privés de carburant, dont les navires-citernes sont amarrés dans les eaux territoriales libanaises depuis plusieurs jours, en raison des retards de paiement de la BDL (à qui les mécanismes de subventions octroient un rôle central dans le mécanisme de règlement). Pour contourner ce problème, les industriels vont donc eux-mêmes financer leurs besoins en mazout en dollars frais en réglant directement l’importateur qui, de son côté, déstockera les quantités achetées de ses navires-citernes stationnés en mer (le reste attendra le déblocage des crédits par la BDL pour être déchargé).

Le carburant sera par la suite stocké soit dans les cuves des importateurs, soit dans une cuve au sein de la Direction générale du pétrole, qui a promis aux industriels de leur en réserver une la semaine passée, toujours selon les explications fournies à L’Orient-Le Jour par Ibrahim Mallah. Cette mesure devrait augmenter le prix de certains produits fabriqués au Liban, mais pour la majorité des industriels exportateurs, le coût du carburant était déjà inscrit dans leurs coûts, en dollars avant 2019, indiquant alors que pour eux, il n’y aura pas de grands changements. Les quantités du mois d’août devraient atteindre entre « 5 000 et 10 000 tonnes », toujours selon lui.

« Abondant sur le marché noir »

Le rassemblement d’hier a enfin été l’occasion pour l’AIL et le ministre sortant d’aborder la question de la contrebande de carburant.

Ziad Bekdache a par exemple appelé à une stratégie nationale pour la lutte contre le stockage et la contrebande et à un meilleur contrôle des frontières par l’armée pour contrer ce phénomène qui restera probablement très important tant que le carburant sera subventionné. « Comment est-il possible que nous ne trouvions pas de mazout au prix subventionné, mais qu’il soit abondant sur le marché noir ? » a d’ailleurs ironisé l’industriel. Il a également affirmé que les prix de vente sur le marché noir avaient dépassé les prix mondiaux. En effet, selon lui, les 1 000 litres coûtent 600 dollars (en vrais dollars), alors qu’ils s’achètent actuellement à près de « 1 200 dollars » au Liban.

Pour mémoire

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Un constat lui aussi partagé par le ministre qui a pointé du doigt les « monopolistes, les mafieux et certains responsables qui œuvrent contre le secteur industriel ». Hasard du calendrier, le courant du Futur a annoncé lundi qu’il allait distribuer « 40 tonnes de mazout » en tout à des propriétaires de générateur de la capitale, via des bons de « 500 litres ». Selon le média Mégaphone, le groupe de distribution Sakr aurait annoncé dans un communiqué que dans les régions du Kesrouan et de Jbeil, les habitants affiliés aux Forces libanaises seraient servis en priorité. Les bureaux de la société n’étaient pas joignables hier soir pour confirmer cette information.

Si l’État semble de plus en plus invisible dans ce dossier, Imad Hobballah a lui assuré qu’il était en discussion avec le ministre sortant de l’Énergie et de l’Eau, Raymond Ghajar, pour garantir du carburant au prix subventionné à certaines industries, notamment celle de l’emballage. La Direction générale du pétrole, rattachée au ministère de l’Énergie, a de son côté annoncé hier dans un communiqué qu’elle suivait de près l’importation de mazout qu’elle a commandé et dont elle a obtenu l’ouverture des lettres de crédit pour une cargaison qui devrait arriver en début de mois et qu’elle compterait sur 160 entreprises pour la distribution du mazout des installations pétrolières, ce qui devrait « pratiquement briser la situation de monopole et renforcer la concurrence ».

Ces dernières semaines, les difficultés liées aux pénuries combinées d’électricité et de carburant qui alimentent la colère et la frustration des ménages comme des entrepreneurs libanais, tous secteurs confondus, ont souvent fait la une de l’actualité. Et plus particulièrement le manque de mazout, un combustible consommé par les générateurs qui permettent aux Libanais de...

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