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Aux fous !

Que peut-il y avoir de pire, pour un pays, que d’écoper du label d’État failli ? C’est de voir ses gouvernants redoubler de zèle destructeur, se surpasser dans leur calamiteuse gestion des affaires publiques. Tout se passant, en vérité, comme s’ils n’avaient d’autre souci que de remplir jusqu’au bout leur part du contrat et d’arracher enfin son dernier soupir à la bête gisant à terre.

Un État est financièrement failli dès lors qu’il n’est plus en mesure d’honorer ne serait-ce que les intérêts de sa dette : incapacité que nos génies au pouvoir, en déclarant forfait face aux obligations en eurobonds, s’empressaient de reconnaître dès les premiers jours de la crise. Bien plus infamantes cependant sont les autres formes de banqueroutes : politiques, institutionnelles, morales, celles-là. Parvenu à un tel stade de déliquescence, l’État est alors incapable d’assurer ses fonctions régaliennes, la bonne marche des services publics et même le maintien de l’ordre. La place manque ici pour énumérer tous les autres critères retenus par les politologues pour définir un État failli ; soyez néanmoins assuré que vos dirigeants ont scrupuleusement coché toutes les cases, sans en rater une seule. Insolvabilité, effondrement des systèmes bancaire, hospitalier et éducationnel, vertigineuse dépréciation de la monnaie nationale, appauvrissements en masse, pas d’électricité, pas même d’eau courante bientôt, criminalité croissante : quelle autre avanie nous réservent encore ceux qui tiennent entre leurs mains indignes le sort du pays ?

Ce que se refuse cependant à admettre la raison, c’est que tant de fracassants désastres puissent être attribués à la seule incompétence (ou à la stupidité) du pouvoir. Que la formation, de toute urgence, d’un gouvernement de salut, que le lancement d’une négociation vitale avec les organismes financiers internationaux, aient pu buter, neuf mois durant, sur un banal conflit d’ego. Ou encore que les Libanais manquent cruellement de carburants, de médicaments et d’autres produits subventionnés par eux-mêmes, alors que ces derniers continuent d’être tranquillement acheminés vers la Syrie sans réaction notable des autorités.

Oui, il y a dans tout cela quelque chose qui dépasse l’entendement ; oui, c’est là que la stupidité ordinaire le cède à la folie la plus débridée, et que la bêtise sert de paravent au crime concerté, un crime visant en priorité cet État de droit auquel aspirent les Libanais. En voici deux exemples, que l’on jurerait tout frais sortis de l’asile d’aliénés.

Effarant de mégalomanie, d’arrogance, de déni, est le premier. Le gendre et dauphin du président de la République a longtemps sévi dans le secteur de l’Énergie. En toute justice, il doit répondre du noir quasi total dans lequel se trouve plongé le pays, comme des larges zones d’ombre entourant une gestion catastrophique qui a coûté au Trésor des dizaines de milliards de dollars. C’est lui pourtant qui, l’autre jour dans sa résidence de montagne, envoyait ses sbires faire taire les générateurs des environs, dont le tintamarre l’incommodait. Par les bons soins de Gebran Bassil, cette nuisance sonore est pourtant, aujourd’hui, le lot de tous les Libanais. Il est le dernier à pouvoir s’en plaindre; pour le porter à s’en rendre compte, rien qu’une étincelle de conscience, une seule, toute petite, aurait suffi…

Atterrant de déchéance institutionnelle est, quand à lui, le second exemple. L’on voit ainsi l’État se démener sur non moins de trois fronts pour faire scandaleusement barrage à l’enquête sur l’hécatombe du port de Beyrouth. Le ministre de l’Intérieur a ainsi placé le directeur de la Sûreté générale à l’abri de de toute poursuite. Le Conseil supérieur de défense semble sur le point de prodiguer le même bouclier au chef de la Sécurité de l’Etat, un protégé du président de la République. Mais c’est en définitive le Parlement qui assume la part la plus grosse de l’ignominie en cours.

Car en s’évertuant à court-circuiter l’enquête du juge Tarek Bitar, l’Assemblée trahit tout d’abord le mandat que lui a donné un peuple traumatisé par le terrible bilan de l’explosion du 4 août 2020. Elle trahit ensuite sa mission, sa vocation, qui est d’élaborer des lois, et non de contourner la loi. De surcroît, elle fait insulte à l’intelligence des gens en se proposant, par voie de pétition, de déférer devant une Haute Cour fantôme les députés et anciens ministres poursuivis. Et pour finir, voilà ce Parlement de toutes les scélératesses qui joue soudain les vierges effarouchées. Qui s’offusque des quolibets lancés sur les réseaux sociaux contre les députés du nitrate, signataires de ladite pétition. Et qui finit de se ridiculiser en appelant à la rescousse cette même justice qu’il s’est employée à escroquer.

C’est fou, ce qu’on pourrait en dire encore !

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Que peut-il y avoir de pire, pour un pays, que d’écoper du label d’État failli ? C’est de voir ses gouvernants redoubler de zèle destructeur, se surpasser dans leur calamiteuse gestion des affaires publiques. Tout se passant, en vérité, comme s’ils n’avaient d’autre souci que de remplir jusqu’au bout leur part du contrat et d’arracher enfin son dernier soupir à la bête...