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Sots périlleux


Rudimentaire, banal problème de mécanique : quelle machine au monde pourrait échapper à la désintégration quand elle est l’objet de dynamiques contradictoires ; quand, de surcroît, la vertigineuse allure à laquelle s’usent, se fendent et volent en éclats ses pièces vitales n’a d’égale que la flemmardise des apprentis mécanos censés l’entretenir, la huiler, la bichonner ?

Près de neuf mois se seront ainsi écoulés en vaines tractations politiciennes entre la désignation du Premier ministre désigné Saad Hariri et sa récusation, jeudi. Neuf mois de sur-place durant lesquels, pourtant, le Liban n’a cessé de poursuivre, à la vitesse grand V, sa descente aux enfers. P....n, neuf mois, au bout desquels les citoyens se retrouvent massivement appauvris, manquant de tout ou presque. Tout cela sans que les responsables en perdent le sommeil, accaparés qu’ils sont par leurs futiles querelles d’influence, leurs lamentables conflits d’ego.

Pour reprendre la formule consacrée, la décision de Hariri de jeter l’éponge implique indéniablement, pour le pays, un saut dans l’inconnu. Bien plus périlleux que cet acrobatique exercice restent cependant le stupéfiant manque de discernement, la criminelle inconscience qui menacent de nourrir indéfiniment le jeu politique libanais à l’heure où s’effondre, pan après pan, la demeure nationale.

Il faut se rappeler aussi qu’avec la récusation de Saad Hariri est désormais levée une singulière équivoque de taille, longtemps cultivée au-dedans comme au-dehors du pays. Après tout, le chef du courant du Futur fait partie du consortium politico-financier familier des arrangements solidairement responsable de l’actuel désastre ; c’est lui pourtant qui était massivement choisi pour entreprendre, à la tête d’un gouvernement de technocrates non partisans, ces réformes structurelles sans lesquelles il ne saurait y avoir de salut. On sait comment les tiraillements politiques ont eu raison du projet de gouvernement de mission avancé par le président français Emmanuel Macron. En revanche, on se perd en conjectures sur ce que sera l’après-Hariri : le retour au Sérail de l’un des membres du club des anciens Premiers ministres ? Un remake du triste navet que fut l’expérience Hassane Diab ? Le recours à du sang neuf malgré l’élimination éclair du très prometteur Moustapha Adib, promptement poussé vers la porte de sortie par l’establishment ? En tout état de cause, il faudra continuer de compter avec la position de premier leader de sa communauté que conserve le chef du Futur : davantage que la faim, c’est le camouflet infligé à Hariri qui a embrasé, jeudi, la rue sunnite…

De l’autre côté de la barricade, on peut se féliciter d’avoir eu la peau de l’adversaire ; mais ce n’est là en réalité qu’une coûteuse victoire à la Pyrrhus. La présidence de la République n’a cessé, ces derniers temps, de dénier publiquement à l’ancien Premier ministre désigné son aptitude à réaliser les réformes ; mais le régime lui-même en a-t-il, à son tour, la capacité – ou même la sincère volonté –, plombé qu’il est par les accusations d’abus et irrégularités portées contre le gendre et dauphin du président Michel Aoun ? Mieux encore, et pour en rester à ces neuf mois de grippe institutionnelle, le chef de l’État lui-même ne s’est-il pas, tout au long de sa tumultueuse carrière, affirmé comme un virtuose de la stratégie du blocage ?

Bientôt des consultations parlementaires pour désigner un nouveau chef de gouvernement, bientôt la délivrance, promettait hier le palais de Baabda. Mais rien ne presse, il n’y a pas le feu, malgré l’inquiétante dégradation de l’état de la sécurité : le temps est laissé en effet aux blocs politiques de se concerter sur le choix du futur élu. Et puis, il faudra prendre en considération le chômage officiel de la toute proche célébration d’al-Adha. Même si pour un nombre croissant de Libanais, le mouton traditionnel ne pourra pas hélas figurer au menu.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Rudimentaire, banal problème de mécanique : quelle machine au monde pourrait échapper à la désintégration quand elle est l’objet de dynamiques contradictoires ; quand, de surcroît, la vertigineuse allure à laquelle s’usent, se fendent et volent en éclats ses pièces vitales n’a d’égale que la flemmardise des apprentis mécanos censés l’entretenir, la huiler, la bichonner...