Il ne faut certes pas se fier aux apparences… Surtout dans le domaine politique. Et plus particulièrement dans une situation de conflit existentiel aigu. L’on ne peut toutefois s’empêcher de relever que la crise qui frappe de plein fouet le Liban fait l’objet depuis un peu plus de deux semaines d’une valse de consultations et de concertations arabes et occidentales intensives très peu coutumières qui sortent même des traditions diplomatiques classiques.
En clair, une sorte de « troïka » franco-américano-saoudienne, avec comme toile de fond le Vatican, semble s’être saisie du dossier libanais, alors que la rumeur publique faisait état d’un désintéressement étranger quasi total (ou presque) à l’égard du Liban, exception faite de la France. Un sentiment populaire qui a été nuancé ces derniers jours par un enchaînement de faits à un rythme accéléré, tous axés sur la crise libanaise : une réunion le 25 juin à Paris entre les chefs de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian et américaine Antony Blinken, qui ont par ailleurs conféré le 29 juin en Italie avec leur homologue saoudien, le prince Fayçal ben Farhan, tandis que le secrétaire d’État US s’entretenait de la situation au Liban avec le pape François qui, de son côté, a présidé le 1er juillet au Vatican une journée marathon consacrée au dossier libanais en présence des chefs spirituels des communautés chrétiennes libanaises. Sans compter la visite impromptue à Riyad, le 8 juillet, des ambassadrices de France Anne Grillo et des États-Unis Dorothy Shea pour assurer un suivi à la réunion tripartite du 29 juin. À cela sont venues s’ajouter la cérémonie très solennelle organisée à Bkerké le 8 juillet avec la participation de l’ambassadeur saoudien Walid Boukhari pour marquer le centenaire des relations entre le patriarcat maronite et le royaume wahhabite et, last but not least, la réunion élargie de concertation économique et la conférence de presse conjointe tenues à Meerab (autre précédent significatif…) entre le leader des Forces libanaises Samir Geagea et l’ambassadeur saoudien, qui avait reçu auparavant dans la matinée ses deux homologues française et américaine pour un suivi des réunions tripartites en Italie et à Riyad.
À situation exceptionnelle, démarches exceptionnelles… Cette agitation diplomatique intense et inhabituelle reflète à l’évidence l’extrême gravité de la situation et l’urgence d’une sortie de crise. Mais elle illustre surtout deux développements majeurs : d’une part, un regain d’intérêt américain ponctuel pour la situation présente sur la scène libanaise, dans le cadre de la nouvelle coordination qui s’est établie entre Paris et l’administration Biden au sujet du Liban; et d’autre part, un retour à une implication directe de l’Arabie saoudite sur l’échiquier local.
Ce second point revêt pour le pays du Cèdre une importance primordiale. Le repli saoudien a eu en effet pour conséquence de provoquer un grave déséquilibre stratégique au plan libanais du fait qu’il a pratiquement laissé le champ libre au Hezbollah et à l’emprise iranienne, d’autant que ce repli s’est accompagné parallèlement d’une suspension de l’aide économique occidentale en raison de l’irresponsabilité caractérisée dont n’a cessé de faire preuve le pouvoir depuis près de deux ans… Une inqualifiable irresponsabilité doublée d’une non-gouvernance et d’une corruption généralisée à grande échelle couverte, voire souvent stimulée, par le Hezbollah.
Quant au regain d’intérêt des États-Unis dans le cadre d’une coordination accrue avec Paris, il permet d’espérer une vigilance française pour que les négociations entre l’Iran et l’Occident (notamment les USA) sur le dossier nucléaire ne débouchent pas sur un marché qui risquerait de porter un coup de Jarnac à l’identité, le pluralisme, la raison d’être et la vocation du Liban dans cette partie du monde.
Les grandes manœuvres arabo-occidentales dont le pays est aujourd’hui le théâtre interviennent, convient-il également de relever, dans un contexte global marqué par une escalade iranienne dans la région, par la récente élection d’un président radical à Téhéran et un blocage des pourparlers de Vienne qui paraissent s’enliser. Du moins en apparence…
Quel que soit le cours que prendront en définitive les actions entreprises depuis plusieurs jours à l’étranger, dont notamment l’initiative du Vatican, la logique impose, du moins sur le plan du principe, qu’elles soient accompagnées au niveau interne d’une mobilisation de toutes les forces souverainistes, bien au-delà des petits calculs partisans, politiciens, personnels et électoraux, et qu’elles soient surtout consolidées par un sursaut responsable dans les plus hautes sphères du pouvoir. Mais cela implique pour nos dirigeants et responsables politiques qu’ils aient une étoffe d’homme d’État capable d’affronter avec courage les grands défis en période de crise existentielle… Y aurait-il quelqu’un au poste de pilotage qui bénéficierait d’un tel profil ?
La France est, contrairement à ce que certains affirment, à l'origine de toutes ces actions qui mèneront certainement à une sortie de crise
10 h 03, le 14 juillet 2021