Les parallèles historiques sont parfois poussés un peu trop loin, mais ils permettent aussi malgré tout de clarifier certaines situations…
Lors de la Seconde Guerre mondiale, il est vrai que la France a été libérée par les troupes alliées, donc grâce à une dynamique extérieure, mais cela n’a pas diminué pour autant le mérite qu’ont eu à l’époque les composantes de la Résistance française, qui seront unifiées par la suite dans le cadre des Forces françaises de l’Intérieur (FFI) dont l’apport dans la libération a été nécessaire mais évidemment pas suffisant.
L’Appel du 18 juin du général De Gaulle et l’action résistante qui en a découlé n’étaient certes pas déterminants à eux seuls (sans le soutien extérieur) pour se débarrasser de la présence nazie mais ils ont quand même créé à l’intérieur de la France occupée une situation de refus de l’occupation qui était un impératif, un passage obligé, pour stimuler et entretenir dans la durée le climat propice à la libération. En clair, il s’agissait d’enclencher un « build up » pour progressivement paver la voie à la fin de l’asservissement.
Toutes proportions étant gardées, et compte tenu de l’évidente différence fondamentale entre les deux situations, le Liban se trouve confronté aujourd’hui à une conjoncture relativement similaire. La profonde crise existentielle provoquée par la prise en otage de la population par le Hezbollah pour servir le projet expansionniste iranien équivaut à une occupation par proxy, via la milice chiite, nécessitant de ce fait une mobilisation sans louvoiement de toutes les forces indépendantistes et souverainistes du pays. Dans un tel contexte, il ne saurait y avoir de place aux calculs partisans ou électoraux, à l’ego personnel démesuré, aux règlements de comptes politiciens… Un seul impératif s’impose : initier un « build up » pour entretenir un climat interne de refus du diktat qui constituerait une sorte de catalyseur au processus de recouvrement de la souveraineté, comme ce fut le cas lors de la révolution du Cèdre, en 2005, qui avait préparé le terrain à la fin de l’occupation syrienne.
Toute position en demi-teinte qui occulterait le problème posé par le projet transnational perse du Hezbollah ou qui mettrait en sourdine cette question, sous le prétexte fallacieux d’un nécessaire « réalisme » face à un contentieux régional « qui nous dépasse », reviendrait à assurer une couverture pernicieuse à la prise d’otage en cours sur la scène locale.
Comme dans le cas de l’exemple français lors de la Seconde Guerre mondiale, une attitude de résistance face à cette occupation par proxy est nécessaire – voire impérative – mais nullement suffisante. Elle doit s’appuyer sur une dynamique extérieure, compte tenu précisément du fait que le fondement de la crise dépasse effectivement le cadre étroit du Liban. D’où l’importance du projet de conférence internationale prôné par le patriarche maronite Béchara Raï et d’où l’importance capitale, surtout, de la « journée du Liban » organisée le 1er juillet dernier au Vatican à l’initiative du pape François.
Les assises des chefs spirituels des communautés chrétiennes libanaises – catholiques, orthodoxes et évangéliques – tenues sous l’égide du souverain pontife seraient le coup d’envoi d’une action soutenue mais discrète que le Saint-Siège serait déterminé à entreprendre auprès des instances internationales afin d’empêcher l’annihilation de l’identité (libérale et pluraliste) du Liban, comme l’ont déjà souligné récemment aussi bien le pape que le chef du Quai d’Orsay, Jean-Yves Le Drian.
La dynamique que semble vouloir enclencher le Vatican a coïncidé avec une résurgence ces derniers jours de l’intérêt manifesté par des acteurs extérieurs de poids à l’égard de la crise libanaise, comme l’ont illustré les concertations diplomatiques entreprises au sujet du Liban entre Washington, Paris et Riyad, en marge de la réunion du G-20 à Rome. Et dans ce cadre, la coordination accrue entre la France et l’administration Biden concernant notamment le dossier libanais, avec comme toile de fond l’action du Vatican et la possible (mais problématique) implication de l’Arabie saoudite, pourrait être salvatrice pour le pays du Cèdre… Car de manière concomitante à l’attitude de résistance au plan interne, une intervention politique musclée des acteurs extérieurs constitue un atout incontournable pour mettre un terme au diktat iranien.
La voie à suivre à cet égard est sans contexte la bonne, comme l’illustre la réaction de médias proches du Hezbollah qui n’ont pas tardé à dénoncer, au lendemain des assises du Vatican et des concertations américano-franco-saoudiennes, ce qu’ils ont qualifié de tentative d’imposer une « tutelle » occidentale sur le Liban ! Une réaction qui en dit long sur l’enjeu actuel auquel sont confrontés les Libanais : sauvegarder l’identité du pays, son pluralisme, ses spécificités, son système libéral, sa vocation d’ouverture sur le monde occidental et arabe, ou le transformer au contraire en simple petit satellite de la République islamique iranienne. Face à un tel choix existentiel, les attitudes médianes qui tentent de contourner le problème pour éviter de l’affronter sont difficilement défendables.
De tous temps le Liban a été occupé par de grands pays étrangers, le dernier étant la France de 1920 à 1943. Depuis cette date, des gouvernements de rencontre se sont succédés pour régler le destin de notre pays. Jusqu’à aujourd’hui, une nation au passé glorieux essaie de mettre la main sur le Liban par le biais d’une communauté religieuse qui lui voue une soumission inconditionnelle. Devant ce fait, je souhaiterais qu’une délégation formée de 6 personnalités libanaises, libres de tout engagement politique ou confessionnel, aille auprès des Nations Unies afin de trouver une solution définitive à nos malheurs. Pour cela, je préconise que l’ONU mette le Liban sous le mandat de l’île de Malte. Au moins, il sera sous la protection d’un pays civilisé et non obscurantiste.
22 h 33, le 06 juillet 2021