Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a critiqué avec prudence lundi la démarche observée par le juge Tarek Bitar, chargé de l'enquête sur la double explosion du port de Beyrouth, regrettant notamment que, selon lui, les personnes mises en accusation vendredi par le magistrat aient eu vent de leur inculpation "dans la presse" et non par des canaux officiels.
Le juge Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur le drame du 4 août 2020, avait adressé vendredi une requête au Parlement pour lever l'immunité des députés Nouhad Machnouk, Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil (ces deux derniers étant proches du président de la Chambre Nabih Berry), en vue de les inculper et d'intenter des poursuites pour "éventuelle intention d'homicide" mais aussi pour "négligence et manquements". Le magistrat avait aussi lancé des poursuites contre d'actuels et d'anciens hauts responsables politiques et sécuritaires, parmi lesquels l'ex-commandant en chef de l'armée Jean Kahwagi, un ex-chef des renseignements de l'armée, Camille Daher, plusieurs officiers, le chef de la Sécurité de l’État Tony Saliba et le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. Ce dernier est considéré comme proche du Hezbollah.
Se penchant sur ces derniers développements de l'enquête, le dignitaire chiite a regretté que les personnes inculpées aient "appris qu'elles étaient poursuivies dans les médias". Il a déclaré qu'il s'abstiendrait de donner son avis sur ces mises en accusation "dans l'attente que tous les noms soient officiellement publiés". Il a encore rejeté toute politisation de ce dossier", estimant que "la justice est toujours loin et la vérité reste cachée" dans cette instruction. "Nous avons demandé préalablement au juge Bitar de clôturer la partie technique de son enquête", a rappelé Hassan Nasrallah, "afin de déterminer s'il s'agissait d'une explosion ou d'un missile israélien par exemple, et si des armes de la résistance se trouvaient dans le port de Beyrouth". Dès le soir même de la déflagration, des informations avaient circulé sur l'implication éventuelle des armes du Hezbollah dans ce dossier. Et au fil de l'enquête, des informations concernant l'implication d'hommes d'affaires syriens dans l'importation à Beyrouth du nitrate d'ammonium, à l'origine de la déflagration, ont également fait planer des doutes sur les relations entre cette substance et le parti chiite, allié du régime Assad dans la guerre en Syrie.
Les prochains jours seront "décisifs"
Le chef du parti chiite a par ailleurs estimé que le pays souffre d'une "crise de régime, qui se traduit dans la crise gouvernementale actuelle". Il a toutefois déclaré que les jours à venir allaient être "décisifs" pour la mise sur pied du cabinet. "Les réunions qui auront lieu aujourd'hui, demain et après-demain permettront de définir de manière claire la voie" des tractations gouvernementales, a-t-il souligné.
Le Liban est sans gouvernement depuis la démission du cabinet de Hassane Diab dans la foulée de la double explosion meurtrière au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Nommé en octobre dernier pour mettre en place une nouvelle équipe, le leader du Courant du Futur ne parvient pas à accomplir cette mission du fait d'un bras de fer l'opposant au président de la République Michel Aoun et à son gendre Gebran Bassil. Pour tenter de surmonter le blocage, le président de la Chambre, Nabih Berry, avait présenté une initiative avec le leader druze Walid Joumblatt, pour la mise sur pied d'une équipe de 24 ministres (huit par camp politique) sans tiers de blocage. M. Bassil avait toutefois rejeté indirectement cette médiation et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait ensuite refusé d'arbitrer le conflit entre les protagonistes. Depuis, aucune avancée n'a été enregistrée.
Selon plusieurs sources, M. Hariri devrait s'entretenir dans les prochaines heures avec le président Berry, afin de trancher la question de son éventuelle récusation.
Washington responsable des crises libanaises
Hassan Nasrallah s'est en outre lancé dans un long réquisitoire contre l'administration américaine, estimant que la politique de Washington "est la cause réelle du "blocus et des crises" au Liban. L'effondrement du pays, entamé il y a près de deux ans, est marqué par des coupures de courant toujours plus longues, des pénuries de produits essentiels comme l'essence et les médicaments et la chute de la livre libanaise sur le marché parallèle. Autant de facteurs qui ont plongé plus de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté.
Les Américains "veulent isoler, lancer des sanctions et empêcher l'arrivée de toute aide" dans le pays, a-t-il critiqué. "N'est-ce pas l'administration américaine qui empêche les Libanais d'envoyer leurs fonds à l'étranger et menace de sanctions ?", s'est insurgé le dignitaire chiite. Il a souligné qu'il existe des "opportunités réelles" pour le Liban de se redresser économiquement, via des "dons, prêts et investissements" notamment en provenance de la Chine, mais que toutes ces opportunités sont rejetées par Beyrouth "par peur" de la réaction des Etats-Unis.
"Tout comme les jeunes du Liban se sont battus et sont morts pour libérer le pays de l'occupation, les responsables politiques ne doivent-ils pas se sacrifier, même si leur nom se retrouve sur la liste des sanctions ?", a-t-il argué. Il a encore souligné que les motivations de la politique américaine vis-à-vis du pays "n'ont rien à voir avec le Liban lui-même" mais dépendent uniquement des "intérêts d'Israël", estimant que cette politique vise à permettre à Tel-Aviv de s'approprier les ressources hydrocarbures maritimes du Liban. "Aux amis de Washington au Liban : n'avez-vous pas honte de cela ?", a-t-il lancé.
Lors de son intervention, Hassan Nasrallah s'est encore longuement penché sur la question des discours médiatiques de la résistance face à Israël, dénonçant une "campagne médiatique" visant à porter atteinte à l'axe de la résistance.
commentaires (21)
Un missile israélien ou un accident ? That is the question ?
Eleni Caridopoulou
20 h 35, le 06 juillet 2021