Dimanche dernier, Gebran Bassil avait fait le pari d’interpeller directement et publiquement Hassan Nasrallah, dans une claire volonté de le pousser à prendre position dans le bras de fer engagé entre le camp Aoun-CPL et le tandem Berry-Hariri sur le dossier gouvernemental. Ce faisant, le chef du Courant patriotique libre avait placé la barre très haut. La réponse est venue hier. À la fois subtile et cinglante. C’est en effet en des termes policés, amicaux même, que le secrétaire général du Hezbollah l’a remis à sa place. S’il a tenu à ménager son allié chrétien, à le défendre même des accusations lancées contre lui par ses adversaires politiques, le leader chiite n’a pas manqué de lui rappeler, très clairement, les lignes à ne pas franchir dans le cadre de leur alliance. Et ce tout en maintenant son jeu d’équilibriste entre ses deux alliés, le CPL et le mouvement Amal.
Parmi les messages envoyés par le chef du Hezbollah à son allié chrétien : ne surtout pas essayer de semer la zizanie entre le Hezbollah et son allié chiite, le mouvement Amal de Nabih Berry. Ce message, Hassan Nasrallah l’a fait passer très implicitement, en défendant Gebran Bassil contre tous ceux qui l’ont accusé d’avoir une telle intention. « Gebran Bassil est plus intelligent que cela. Il connaît la nature de la relation entre le Hezbollah et Amal et il n’avait aucune volonté cachée de semer la discorde », a souligné Hassan Nasrallah dans son intervention télévisée. Et dans la foulée, il a réitéré son soutien à l’initiative du président du Parlement pour débloquer la crise gouvernementale, utilisant le terme « initiative » à plusieurs reprises alors que le chef du CPL l’avait réduit dans son discours dimanche dernier à une simple « tentative de médiation » dont il a dit « ne pas connaître les contours ».
L’initiative Berry repose sur une mouture gouvernementale de 24 ministres (huit pour chaque camp) sans tiers de blocage. Et c’est en commentant cette formule que Nasrallah a répondu à Bassil qui accuse Berry de vouloir instaurer un système de partage par tiers (entre chrétiens, sunnites et chiites) en lieu et place de la parité islamo-chrétienne instaurée par l’accord de Taëf en 1989. « La formule des trois huit a créé un certain malentendu chez les amis », a déclaré le dignitaire chiite. Et d’étayer ses propos exactement comme l’avait fait Nabih Berry dans une interview il y a quelques jours au quotidien an-Nahar : « La communauté chiite n’a que cinq ministres. Comment pouvez-vous comptabiliser les deux ministres Marada et celui relevant du Parti syrien national social dans la quote-part des chiites, alors qu’il s’agit de trois chrétiens ? » « Et qui sont les trois ministres à ajouter aux cinq sunnites relevant du Premier ministre désigné ? Deux ministres chrétiens et le ministre druze du Parti socialiste progressiste ? Comment faire un tel calcul dans les circonstances actuelles ? » s’est encore interrogé Hassan Nasrallah en allusion aux rapports en dents de scie entre Moukhtara et la Maison du Centre.
Au passage, le chef du Hezbollah a tenu à souligner que les discussions autour de cette initiative ont enregistré quelques percées, notamment en ce qui concerne le nombre de ministres, alors que Saad Hariri tenait à un cabinet de 18, ainsi qu’au niveau de la répartition des portefeuilles entre les partis politiques et les communautés religieuses. « Nous sommes prêts à présenter de nouvelles idées à même d'aider à surmonter les obstacles entravant encore la formation du cabinet », a-t-il ajouté, précisant que « le but est d’arriver à une formule qui satisfasse le président de la République et le Premier ministre désigné, dont l’entente pourrait permettre au gouvernement de voir le jour ».
« En tant qu’ami et allié »
Toujours dans le cadre de ses réponses subtiles au chef du CPL, Hassan Nasrallah a réagi à l’appel que lui avait lancé Gebran Bassil d’intervenir pour donner un élan aux tractations gouvernementales. « Je veux que Hassan Nasrallah soit l’arbitre (du conflit gouvernemental) parce que j’ai confiance en lui. Je lui confie la question des droits des chrétiens. Je suis convaincu que vous vous attachez à ce qui est juste », avait souligné le chef du CPL. Il s’était encore adressé au dignitaire chiite en ces termes : « Moi, Gebran Bassil, sans vouloir vous faire assumer un fardeau quelconque, j’accepte ce que vous acceptez pour vous-même. »
En réponse, le secrétaire général du Hezbollah a estimé « naturel » que l’on ait recours à ses amis en cas d’impasse, rappelant qu’il avait fait de même en faisant appel... à Nabih Berry. Il a toutefois estimé que le terme « arbitre » employé par Gebran Bassil pour appeler Hassan Nasrallah à jouer ce rôle dans le conflit entre le camp présidentiel et le duo Berry-Hariri était inapproprié. « Un arbitre a besoin du consentement des deux belligérants. Tel n’est pas le cas et je ne suis pas dans cette position », a-t-il déclaré. « Et d’ailleurs, le chef du CPL ne voulait pas par là laisser la décision aux mains du Hezbollah, comme il en a été accusé par ses adversaires », s’est empressé d’ajouter le leader chiite, pour ménager son leader chrétien. Nasrallah a, dans la même logique, critiqué les adversaires politiques de M. Bassil qui l’ont accusé de vouloir remettre le sort des chrétiens entre les mains du Hezbollah. Il n’a toutefois pas manqué de lancer une pique à peine voilée à Gebran Bassil qui avait dit accepter ce que Nasrallah accepte pour lui-même. « Nous déconseillons à nos alliés de s’engager à accepter ce que nous acceptons pour nous-mêmes, car le Hezbollah a des calculs et des priorités différentes », a-t-il lancé.
Malgré ces signes montrant un certain mécontentement en ce qui concerne le discours de Bassil, Nasrallah a tenu à préciser que le Hezbollah a déjà répondu favorablement, « en tant qu’ami et allié », à l’appel du chef du CPL d’intervenir pour résoudre la crise, à travers les rencontres tenues récemment entre ce dernier et Wafic Safa, haut cadre du parti chiite, la dernière en date ayant eu lieu jeudi soir.
Dans son discours, Hassan Nasrallah a également commenté les critiques lancées par le président Michel Aoun et son camp contre sa formation à laquelle ils reprochent d’être neutre dans le bras de fer gouvernemental. Il n’a pas manqué, dans ce cadre, de rappeler que c’est le Hezbollah qui a défendu les prérogatives du président de la République qui doit être le partenaire du Premier ministre désigné dans le processus gouvernemental et pas seulement celui qui signe le décret de la formation du cabinet. « Nous comprenons le refus du PM désigné d’attribuer le tiers de blocage (que Baabda et son camp sont accusés de revendiquer malgré leur démenti, NDLR) à une partie bien déterminée, parce que c’est ce qui est juste. Et cela ne signifie pas que nous sommes neutres », a ajouté le dignitaire chiite. Et de rappeler, dans le même temps, qu’il avait refusé de voir la part du chef de l’État réduite à quatre ministres (au cas où le CPL n’accorderait pas sa confiance à l’équipe ministérielle), parce que cela est injuste . « Nous soutenons ce qui est juste. Et nous ne sommes pas neutres », a-t-il insisté.
L’Iran, de nouveau
Évoquant par ailleurs la crise économique qui secoue le pays depuis 2019 et qui se traduit notamment par une dégringolade vertigineuse de la monnaie nationale et des pénuries de carburant, d’essence et de mazout, le chef du Hezbollah est revenu à la charge sur une importation de ces matières de l’Iran en livres libanaises. Dans son précédent discours, le secrétaire général du Hezbollah avait déclaré que son parti était prêt à se rendre à Téhéran afin de « négocier » l’importation à Beyrouth de mazout et d’essence « si l’État libanais n’a pas le courage de le faire lui-même ».
Hier, il a révélé que tous les préparatifs pour lancer ce processus sont déjà finalisés, précisant que cela n’exposera pas le pays au risque de sanctions américaines parce que la procédure « ne passe pas par la banque centrale ni par le ministère de l’Énergie ». L’Iran détient les quatrièmes réserves mondiales de pétrole, mais toutes ses exportations sont sous embargo américain. En achetant du pétrole iranien, sans exemption octroyée en amont par Washington, Beyrouth s’exposerait donc à des sanctions. « Si vous craignez le risque de sanctions, sollicitez l’aide de vos amis, a lancé Nasrallah à ses adversaires politiques. Formez une délégation et allez en Arabie saoudite et dans les pays du Golfe ou aux États-Unis. Achetez du carburant. Nous vous souhaitons sincèrement bonne chance ».
commentaires (18)
Soit le CPL change de patron, soit il modifie ses alliances, soit enfin, il renonce à lutter contre la corruption. C'est l'heure de vérité.
NASSER Jamil
13 h 34, le 27 juin 2021