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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Libye : pourquoi les forces étrangères ne partiront pas

Les forces militaires turques et russes se maintiennent sans encombre à travers le pays, malgré les nombreux appels à un retrait émis par la communauté internationale depuis le cessez-le-feu d’octobre 2020.

Libye : pourquoi les forces étrangères ne partiront pas

Un expert turc participe à une opération de déminage dans la région de Salaheddine, au sud de la capitale libyenne, le 15 juin 2020. Photo AFP

En apparence, personne ne veut plus d’eux. De l’ONU au gouvernement de Tripoli, le consensus international semble appeler au départ des forces étrangères présentes en Libye – dominées par les contingents turques et russes qui y sont implantés depuis 2018 et 2019. Mais en apparence seulement : car derrière les résolutions onusiennes et les conférences de presse, personne ne semble véritablement décidé à passer des paroles aux actes.

Pour comprendre pourquoi, il faut revenir à l’origine du processus politique ayant mené au gouvernement d’union mené par Abdel Hamid Dbeibah. Début février, un processus de réconciliation parrainé par la communauté internationale aboutissait à l’élection d’un exécutif unifié, à Genève, après plus de six ans de conflit entre les autorités rivales de Tobrouk, à l’Est, et de Tripoli, à l’Ouest. La communauté internationale n’avait plus accordé de légitimité à un gouvernement libyen depuis 2016. Dix ans après le soulèvement contre Mouammar Kadhafi, les espoirs de liberté et de démocratie étaient certes toujours de lointains souvenirs. Mais après avoir frôlé l’implosion territoriale dans le sillage d’une guerre fratricide, les Libyens renouaient pour la première fois avec un semblant de normalité.

En parallèle, les discussions quant au départ des forces étrangères du pays, nécessaire pour un retour au calme, traînent depuis le mois d’octobre 2020 – lorsque l’accord pour le cessez-le-feu inclut une demande de retrait dans les 90 jours. En mars de cette année, le Conseil de sécurité de l’ONU reconduit la demande et, en mai, le secrétaire d’État américain Antony Blinken appelle à un « retrait immédiat » lors du G7 des ministres des Affaires étrangères réuni à Londres. Cette dynamique relaie également un souhait répandu au sein de la population, dans la mesure où beaucoup de Libyens vivent ces présences militaires comme une humiliation – « une violation de la souveraineté dans un pays fier qui a vécu les précédentes présences étrangères comme de véritables traumatismes, avec par exemple un pourcentage élevé de la population tué par les Italiens dans les années 30 », rappelle Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye au sein de l’unité de recherche sur les conflits au Clingendael Institute, à La Haye.

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Mais malgré la volonté d’un retour à la pleine souveraineté et le succès relatif du processus politique, la réalité militaire reste pourtant la même. Plus de 20 000 mercenaires et combattants étrangers – russes, syriens, tchadiens, turcs, soudanais – continuent d’être stationnés à travers le pays. Les cargaisons transportant drones, missiles sol-air, véhicules blindés et munitions par millions continuent d’affluer en violation de l’embargo de 2011, récemment déclaré « complètement inefficace » par l’ONU.

Absence de volonté politique

Russes comme Turcs semblent parfaitement indifférents aux tentatives répétées de l’ONU et, du Nord-Ouest à l’Est, ils continuent de contrôler plusieurs bases militaires et de se partager les ressources en hydrocarbures. Il s’agit pour eux de « préserver les ambitions commerciales en Afrique à travers ce qu’ils perçoivent être une porte d’entrée sur le continent », remarque Jalel Harchaoui. La Libye s’offre comme un territoire-clé, « donnant accès au Sahel, au Soudan, à la Tunisie et, pour les Russes, à l’Égypte qui est déjà un allié historique mais avec qui une continuité territoriale est désormais assurée », poursuit ce dernier. Les deux puissances, qui dominent le jeu militaire, ont un intérêt stratégique et commercial à maintenir leur présence en Libye dans le cadre d’une politique régionale. « Et la probabilité pour que cela change est égale à zéro », estime M. Harchaoui. Plusieurs conséquences découlent de cette solution politique inachevée. « D’un côté, une forme de paix règne grâce à ces présences étrangères, qui sont la raison pour laquelle le pays n’a pas connu de violences depuis un an », observe Jalel Harchouai. Mais la continuité des présences militaires nourrit également la menace d’un retour à la guerre, rendant le cessez-le-feu d’octobre précaire et soumis à une volonté extérieure. Ankara et Moscou maintiennent donc un droit de regard continu sur l’évolution politique du pays.

L’absence de véritable volonté politique de la part de la communauté internationale, et en particulier des Américains, est le premier facteur qui a permis et devrait continuer de permettre ce maintien des troupes étrangères. « Les Américains eux-mêmes ne sont pas très sérieux par rapport à tout ça », avance M. Harchaoui. « En évoquant une collaboration avec les Russes, on peut même déchiffrer ce qui se joue au plus long terme : petit à petit, les Américains pourraient demander aux Russes de changer le label, de parler de “forces de maintien de la paix” ou de “collaboration humanitaire” plutôt que de rester sous le format de mercenaires », poursuit-il.

« Une question de vie ou de mort »

D’autant que les élites libyennes aux commandes, de Tripoli à Benghazi, ont besoin du maintien de leurs parrains internationaux afin de garantir l’équilibre précaire en place depuis un an. « C’est une question de vie ou de mort : si la mission russe vient à disparaître, le maréchal Khalifa Haftar aura la certitude qu’il sera décimé (à l’Est) dans les semaines qui viennent ; de la même manière, si la mission truque venait à disparaître, le scénario de 2019, voire pire, se reproduirait », explique Jalal Harchaoui, en référence à l’offensive menée par les forces du maréchal Haftar contre Tripoli en avril 2019. La classe politique libyenne, tout comme les acteurs extérieurs, sont donc moins motivés par un rétablissement de la souveraineté libyenne que par une mise à l’écart de leurs adversaires politiques. « Généralement, ceux qui appellent au départ des mercenaires ont un pays en ligne de mire », note Jalel Harchaoui, qui cite en exemple l’actuelle ministre libyenne des Affaires étrangères, Najla al-Manqoush, qui en mai dernier faisait une allusion à peine voilée au départ des troupes turques du pays. « Après avoir dit cela, c’est le retour de manivelle pour corriger le langage et appeler au départ de tous les étrangers », poursuit ce dernier.

Si rien ne laisse espérer un départ des troupes avant les élections générales prévues en décembre prochain, les puissances étrangères pourraient concéder certaines « mesures cosmétiques » afin de donner le change. « Les Turcs pourraient orchestrer un semblant de retrait, quelques milliers de mercenaires pour faire plus joli. Mais cela ne changerait pas grand-chose : ce qui importe ce ne sont pas les (3 500-4 000) mercenaires syriens présents en Tripolitaine, mais les (800) officiers turcs qui dirigent des bases militaires », conclut Jalel Harchaoui.

En apparence, personne ne veut plus d’eux. De l’ONU au gouvernement de Tripoli, le consensus international semble appeler au départ des forces étrangères présentes en Libye – dominées par les contingents turques et russes qui y sont implantés depuis 2018 et 2019. Mais en apparence seulement : car derrière les résolutions onusiennes et les conférences de presse, personne ne...

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