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Lifestyle - Télé-nostalgie

Oum Melhem et Abou Melhem, une certaine image du bonheur

Ils ont occupé le petit écran durant des décennies avec leur précieux « Ysed masekoun » et leur désir de régler tous les problèmes du monde et les problèmes de tout le monde. Adib Haddad et Salwa Farès el-Hajj, (plus) connus sous les noms d’Abou et Oum Melhem, se sont aimés pour la vie, dans la vie et à la télévision. Tout le monde s’en rappelle comme le tendre souvenir des jours heureux où le bien finissait toujours par l’emporter sur le mal.

Oum Melhem et Abou Melhem, une certaine image du bonheur

Oum Melhem et Abou Melhem, un couple fusionnel dans la vie et sur le petit écran. Archives L’OLJ

Leurs histoires en noir et blanc ont pris de la couleur après une trentaine d’années, et la grisaille d’un temps qui a trop longtemps subi les agressions d’une guerre locale sans fin. Les générations de cette guerre n’ont pas oublié la bonté et la sagesse d’Abou Melhem, le tempérament d’Oum Melhem, et leurs longues discussions autour d’une incontournable tasse de café. Certains ont grandi avec cette série, d’autres écoutent leurs parents en parler. Les plus jeunes sont persuadés que c’est juste un mythe… Et pourtant, Abou Melhem et Oum Melhem ont consolé le cœur des Libanais, simplement, sincèrement. Ils les ont divertis, ont partagé leur vie, leurs soirées, de 1959 au début des années 1980. Quinze minutes d’abord, puis une heure durant, tous les mardis sur Télé-Liban après le journal, en direct puis en différé, la fameuse série 100 % libanaise a séduit, rassuré, inspiré et même adapté à l’écran certaines histoires vraies, précieusement confiées par des spectateurs au grand cœur de Adib Haddad qui en écrivait lui-même les scénarios.

Car Adib Haddad était d’abord un poète. Un vrai… Un « La Fontaine libanais », comme on le surnommait. Il était également un maître de zajal et créait à ses débuts des pièces de théâtre qu’il interprétait avec sa troupe itinérante dans les villages locaux. C’est en 1952, à la radio Mahattit el-Sharq qu’il démarre une carrière « publique » avec Jawlat el-microphone. Six ans plus tard, il est sollicité par Radio-Liban et lance Sabah el-kheir (deux fois par semaine) qui sera suivi par al-Dounia souar wa hikayat. Sa voix est puissante, profonde, rassurante ; ses histoires des contes imbibés de douces images. Le ton est donné et lui pave la route vers la télévision et Ysed masekoun où il débarque en 1959 avec son tarbouche, son sarouel, sa moustache, son accent avec le qaf et… son épouse Salwa Farès el-Hajj.


De gauche à droite entourant le président Hélou : Abou Salim, Lamia Feghali, Ali Chamseddine, Oum Melhem, Abou Melhem, Ihsan Sadek, Chouchou et Hanna Maalouf, le 12 février 1970. Archives L’OLJ

Dans la vie et pour la vie

« Mes parents se sont rencontrés en 1940 à Aley où ils sont nés tous les deux, confie leur fille Dunia, après avoir longtemps hésité à nous accorder une interview. Ils étaient voisins et enseignaient au Universal College de Aley, lui la poésie et elle le français. Ils se sont fiancés puis mariés un an plus tard. Ils ont eu Ziad, Melhem était le prénom de mon grand-père, moi, puis ma sœur Raghida, 7 ans plus tard. Une retardataire, faute de moyens ! » Dans ce café et autour d’un café où le parfum de celui de ses parents plane comme une douce présence, elle les raconte avec pudeur, aidée par la fondatrice de la maison d’éditions Calima, Nidal Haddad, leur petite-fille, qui souligne : « Il était mon parrain. C’est lui qui a choisi mon prénom ! »

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Malgré leur célébrité qui faisait l’unanimité, à partir d’histoires et de sujets fondamentaux, familiaux, sociaux, avec à l’affiche également Élias Rizk, Élie Sneifer, Lamia Feghali ou encore Leila Karam, « ils étaient à la maison comme à l’écran, des gens simples, des gens vrais. Ils sont restés modestes, constants ». Comme à l’écran, Adib était dans la vie cet homme doux, patient, sage, fidèle à ses valeurs et celles d’un Liban en voie de désintégration. Le grand succès de Ysed masekoun ne lui est jamais monté à la tête. Très croyant, il chantait a cappella, tous les dimanches, à la messe orthodoxe. Son attachement au pays était tellement grand que, confie Dunia, lorsque Télé-Liban lui demande de « déménager » sa série à Hazmieh, « il refuse en affirmant que c’est comme ça qu’on divise le Liban ».


Élie Sneifer, Abou Melhem et Oum Melhem, Lamia Feghali. Photo tirée de la page Facebook Abou Melhem by Raghida

Salwa, Oum Ziad, elle, était, tout comme Oum Melhem, une femme forte, « difficile à apprivoiser, mais qui adorait plaisanter ». Elle était très cultivée et élégante, avec son éternel tailleur, son sac à main et ses cheveux toujours impeccablement coiffés. « Les premières années, l’émission était diffusée en direct. Mon père et le réalisateur paniquaient à l’idée qu’elle n’en fasse qu’à sa tête, ne sorte du script et modifie le texte, ce qu’elle faisait souvent ! » En 1966, le couple, accompagné de Raghida et Dunia, est victime d’un grave accident de voiture, sur la route de Beyrouth-Aley. « Un conducteur alcoolisé », raconte cette dernière. Les politiciens, les artistes et des centaines d’inconnus témoigneront de leur amitié durant l’hospitalisation du couple. L’émission sera interrompue pour quatre semaines. Ce n’est qu’en 1984, atteint d’une paralysie du côté gauche, que Adib Haddad abandonne son sarouel et ce rôle qui lui allait comme un gant, « mais il continuait à rédiger des poèmes, même s’il lui était physiquement très difficile de tenir le papier ». Deux ans plus tard, il va tirer sa dernière révérence. « Ma mère ne s’en remettra jamais. C’est une grande part d’elle-même qui va partir avec lui. Ils étaient fusionnels. Après, elle ne faisait que survivre », confie Dunia. Le 11 novembre 2002, Salwa Haddad ira rejoindre sa moitié dans un dernier soupir, après un arrêt cardiaque à l’âge de 87 ans et aura droit à tous les hommages pour une carrière, qui fut également cinématographique : elle avait joué dans des films dirigés par les frères Rahbani, Youssef Chahine et Henri Barakat, et donné la répartie à Feyrouz dans Le vendeur de bagues (1965) et Safar barlik (1966). La médaille du Mérite lui sera décernée à titre posthume.


Une des décorations glanées par cet artiste modeste et généreux.

« J’espère que la télévision libanaise pensera à rediffuser certains épisodes de Ysed masekoun, ils restent intemporels et un baume au cœur », précise Nidal Haddad. Elle qui a su mettre les mots sur ce couple finalement mythique, gardiens d’un Liban aujourd’hui sépia, poursuit : « Mes grands-parents habitaient le premier étage de l’immeuble familial et prenaient tous les jours leur café sur le balcon. Je regardais les gens les saluer de la rue, les embrasser de leur regard, se souvient-elle. Ils étaient heureux de les voir “en vrai”, en couleur et en dehors de l’horaire habituel de diffusion de leur feuilleton. Leur célébrité me fascinait. Je ne comprenais pas grand-chose à cette aura qui se dégageait de ces deux moralistes qui ont éduqué des générations sur un écran en noir et blanc. Vivre dans leur ombre est une grâce que j’ai perçue en avançant en âge. Je l’ai comprise en voyant des Libanais, les yeux brillants et le sourire aux lèvres à la simple évocation de leurs noms, 30 ans après leur décès. Ces noms qui ressuscitaient l’enfance et la nostalgie d’un Liban libre, que la guerre et l’après-guerre ont ligoté et défiguré. »

Alors, en repensant à toutes ces choses perdues, à cette douceur de vivre devenue amertume, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’auraient pensé Abou Melhem et Oum Melhem de l’agonie de leur Liban, du règne des corrompus et de la victoire du mal sur le bien. Heureux temps où tout se réglait autour d’une tasse de café… 

Adib Haddad (Abou Melhem) en quelques dates

Février 1912 : naissance à Aley où il fera toute sa scolarité.

1932-1943 : professeur au Universal College de Aley.

À partir de 1935 : il fait du zajal, rédige des poèmes, écrit des pièces de théâtre (al-Hob fil dar, al-Hama wal kenna, Khalati et Qaoumia, Leila bent el-jabal) et démarre des représentations itinérantes qui font le tour du Liban.

5 février 1939 : fiançailles avec Salwa Farès el-Hajj.

Mariage en 1941.

1952 : démarre une carrière à la radio Mahattit el-Sharq al-Adna avec l’émission Jawlat el-microphone.

1958 : est engagé à Radio Liban pour présenter Sabah el-kheir (deux fois par semaine) puis al-Dounia souar wa hikayat.

1959 : il démarre son aventure à Télé-Liban avec Ysed masekoun.

1965 : il est nommé à Paris membre à vie au grade de commandeur pour les services rendus aux œuvres artistiques durant trente ans.

1966 : il reçoit la décoration de chevalier de l’Ordre national du Cèdre.

Il a été nommé deux fois président du syndicat des artistes professionnels au Liban.

1984 : il est atteint d’une paralysie partielle qui l’oblige à interrompre ses activités à la télévision et la radio.

Il décède en 1986.

Leurs histoires en noir et blanc ont pris de la couleur après une trentaine d’années, et la grisaille d’un temps qui a trop longtemps subi les agressions d’une guerre locale sans fin. Les générations de cette guerre n’ont pas oublié la bonté et la sagesse d’Abou Melhem, le tempérament d’Oum Melhem, et leurs longues discussions autour d’une incontournable tasse de café....

commentaires (3)

Bel article.... Mais qui fait mal, très mal Évoquer le moindre détail du Liban des années 50-60-70 au moment où le pays se meurt est au delà de ce que la sensibilité humaine peut supporter Nous avons bien vécu mais simplement, très simplement

COURBAN Antoine

18 h 16, le 03 juillet 2021

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Commentaires (3)

  • Bel article.... Mais qui fait mal, très mal Évoquer le moindre détail du Liban des années 50-60-70 au moment où le pays se meurt est au delà de ce que la sensibilité humaine peut supporter Nous avons bien vécu mais simplement, très simplement

    COURBAN Antoine

    18 h 16, le 03 juillet 2021

  • J'aimais bien l'attitude et les réactions souvent énergiques d'Oum-Melhem qui représente pour moi les prémices du féminisme libanais. Ensuite hommage à Abou Melhem qui a choisi le prénom de sa petite fille Nidal, mère de famille, artiste et éditrice que je salue au passage.

    DJACK

    13 h 40, le 02 juillet 2021

  • Que de bons souvenirs et quelle nostalgie a la lecture de ce bel hommage au duo qui a fait partie de notre enfance. C'était encore l'époque du bien, époque partie en fumée avec ces voyous qui nous gouvernent. Allah yirhamoun, ils sont partis a temps avant de voir la tristesse et la descente aux enfers du Liban.

    CW

    07 h 39, le 01 juillet 2021

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