
Début juin, les pharmacies du Liban ont observé plusieurs jours de grève pour protester contre les pénuries massives de médicaments et d’équipements médicaux dont elles souffrent depuis plusieurs semaines, dans le cadre de la crise qui plombe tout le pays. Photo Marc Fayad
Comme nous l’avons vu lors des deux premières parties de cet article (ici et ici), les ajustements relativement brutaux déjà imposés, depuis que la crise actuelle a éclaté fin 2019 au Liban, ont permis de réduire la valeur réelle implicite (en dollars « cash ») de la dette publique en livres ou en « lollars » et d’imposer un « haircut » de facto sur les retraits des comptes bancaires, tout en soutenant à bout de bras un système bancaire en quasi-cessation de paiement, et en déployant un semblant de filets sociaux via les subventions. Cependant, aujourd’hui, le plus dur reste à faire, à savoir le règlement réel de la crise ainsi que (l’hypothétique) redressement économique futur du Liban.
L’ensemble des mesures prises jusqu’à maintenant ne visent en effet qu’à tenter d’éponger le passif considérable accumulé par le pays pendant des décennies. Ce travail est cependant loin d’être achevé, puisqu’il ne s’agit pas seulement de « nettoyer », mais également de reconstruire et de relancer l’économie. Et, pour cela, le Liban a absolument besoin du soutien de la communauté internationale.Il suffit de faire pour cela l’inventaire des besoins du pays : pour régler la question de la crise bancaire, il faudra, tôt ou tard, négocier avec les déposants un rééchelonnement des dettes du secteur bancaire (accompagné ou pas d’un « haircut » partiel), miroir de celles de la Banque du Liban (BDL) et de l’État. Or, à supposer même que les déposants acceptent de faire cela (en particulier les plus gros, les dépôts de plus d’un million de dollars faisant plus de 50 % du total en valeur), peut-on imaginer qu’ils consentiraient à un tel renoncement s’ils n’avaient pas, en face, la garantie d’institutions internationales sur la solvabilité future de leurs avoirs ? Peut-on imaginer que ces gros déposants consentiraient à négocier avec les responsables et la classe politique libanaise en place, et à lui faire un tel « cadeau », si les mêmes personnes qu’ils tiennent responsables du crash (à tort ou à raison) devaient rester aux commandes (et souvent avec leurs avoirs sains et saufs), après que la population et les déposants se soient vus, eux, dépouillés de leurs fonds, pour des dizaines de milliards de dollars ? Quelles garanties auraient-ils sur la pérennité de ces avoirs « restants », à l’échéance de 10 ou 15 ans ?
La même question se pose concernant la question des subventions – ou plus exactement des allocations à la population supposées remplacer les subventions, puisqu’il est clair que celles-ci ne pourront être assurées sur une longue période qu’avec l’aide de la communauté internationale, la Banque mondiale ayant déjà, de son côté, proposé de débloquer des fonds en ce sens. De même, concernant la question de la pérennité des administrations et institutions publiques, à commencer par l’armée elle-même, qui rencontre des difficultés croissantes, au point de nécessiter l’organisation d’un sommet international en bonne et due forme pour lui venir en aide. Enfin, le pays a également besoin d’un plan de réhabilitation de ses infrastructures (électricité, eau, égouts, déchets solides, routes et transports, télécommunications et internet), pour lesquelles la conférence CEDRE tenue en 2018 avait permis de réunir près de 11 milliards de dollars.
En sus de l’aide matérielle et financière, le Liban a également et surtout besoin d’un retour de la confiance des acteurs économiques locaux et internationaux, faute de quoi les investissements continueraient à stagner, et les banques demeureraient ce qu’elles sont devenues aujourd’hui, à savoir de simples « distributeurs de billets », incapables d’attirer des dépôts à long terme, d’octroyer des crédits ou de jouer leur rôle de moteur de l’économie. Le retour de la confiance nécessiterait en outre d’unifier les multiples taux de change dollar/livre actuels (1 500, 3 900, 15 000), car sans une parité unique, ainsi qu’une transparence du marché des changes (sans compter une loi claire sur le contrôle des capitaux), les investisseurs craindront toujours de revenir investir et placer leurs fonds au Liban, de peur de voir ces fonds piégés, ou leur valeur dévaluée et convertie en livres à un taux défavorable. Mais pour unifier les taux de change, le Liban a, lui, besoin de régler sa crise bancaire et de clarifier définitivement la question des « haircuts » (puisque c’est justement la multiplicité de ces taux de change, de 3 900 à 15 000, qui permet le « haircut implicite » effectué sur les retraits en dollars « bancaires », les clients retirant ces derniers à 3 900 livres, alors qu’ils doivent acheter le dollar « cash » à près de 15 000 livres en ce moment).
Il est enfin nécessaire d’engager des réformes cruciales portant sur la gouvernance économique, financière, fiscale et judiciaire, qui sont exigées aujourd’hui par la communauté internationale comme condition pour l’octroi de son aide (sans parler de la dimension sécuritaire, politique ou de la formation des gouvernements). Sans quoi le Liban pourrait continuer de stagner pendant des années, avec un niveau de vie réduit et un écart grandissant entre une poignée de nantis et le restant de la population dont une partie serait réduite à l’indigence, en attendant une reprise longue, incertaine et douloureuse pour la majorité des Libanais.
*Cet article est le dernier volet d’un décryptage qui en compte trois. Les deux premiers ont été publiés respectivement lundi et mardi.
Comme nous l’avons vu lors des deux premières parties de cet article (ici et ici), les ajustements relativement brutaux déjà imposés, depuis que la crise actuelle a éclaté fin 2019 au Liban, ont permis de réduire la valeur réelle implicite (en dollars « cash ») de la dette publique en livres ou en « lollars » et d’imposer un « haircut » de facto...
commentaires (11)
Long article pour revenir à la case zéro de la solution au problème : les voleurs doivent être écartés qu ils remboursent ou pas, ils doivent être interdit d élections et de gouvernance mais ils ont beaucoup de soutient à qui ils distribuent pour se maintenir
Azar Pierre
16 h 30, le 24 juin 2021